Antonio Gallego

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Itinéraire d'un flibustier de l'Art

Ceci est une introduction : saint oma street art.

“On a démocratisé l’Art, voulu le rendre accessible. Il est étonnant de voir à quel point cette mémoire artistique se construit à très court terme. C’est aussi pour cela que j’appelle ces productions « variété » : or, ceux qui écrivent les tubes musicaux d’aujourd’hui connaissent-ils Christophe ou Michel Polnareff ?”

parcours

Comment sest construit votre parcours artistique ? On a l’impression que la musique a joué un rôle dans l’expansion de l’Art urbain des années 80, en favorisant notamment l’apparition des performances.

A la fin des années 70, étudiant aux Beaux-arts de Versailles, j’avais comme professeur d’histoire de l’Art Bernard Borgeaud, un artiste proche de Daniel Buren qui nous emmenait visiter les expositions d’alors, au Centre Pompidou et dans les galeries du Marais. Lors de nos périples, passant d’un Joseph Beuys à un Andy Warhol, nous croisions dans la rue une silhouette bombée de Gérard Zlotykamien. Adolescent, j’ai baigné dans la culture rock et la presse alternative de ma génération. J’étais plus attiré par les affiches de Mai 68 et la culture de masse comme le cinéma ou la BD que par l’art académique muré dans les musées.

Au début des années 80, alors étudiant aux Arts-déco de Paris, j’ai commencé à prêter attention aux affiches de Roman Cieslewicz et celles du groupe Grapus. Parallèlement à l’emballage du Pont-Neuf par Christo, j’ai eu la chance de croiser in situ Les expulsés d’Ernest Pignon-Ernest sur un mur du XIIIe arrondissement, de voir les premières apparitions du Corps blanc de Jérôme Mesnager ou d’être interpelé par les peintures sur panneau 4×3 de Jean Faucheur ainsi que celles de ses compères Les Frères Ripoulin.

En 1982, avec le groupe de peintres Banlieue-Banlieue, nous avons commencé par monter des expositions accompagnées de concerts rock et, à partir de 1984, nous avons réalisé des fresques urbaines éphémères que j’avais déjà expérimentées à Poissy à la fin des années 70 sous la forme de dazibaos collés sur les murs de la ville en compagnie de mon frère Max et d’une bande d’étudiant.e.s féministes, lecteurs de Charlie Hebdo. Lorsque le collectif intervient dans la rue, il n’y a pas de tag, ni de graffitis sur les murs, exceptées de vieilles inscriptions politiques. En 1984, durant une intervention à Bondy, les passants nous ont demandé: « Mais pourquoi ne déployez-vous pas cette énergie dans la décoration des préaux des écoles ? ». Ils ne comprenaient pas la beauté du geste impliquant la disparition des fresques éphémères sur papier kraft. Certaines figures ont alors permis de regrouper les artistes, comme Didier Moulin à travers son association « Peinture sauvage » qui réalisa en 1985 la première exposition parisienne sur le Graffiti. La même année, les VLP organisaient à Bondy, sur le bord du canal de l’Ourcq, le premier festival d’art urbain « Les Flamboyants », avec Speedy Graphito, Blek Le rat, Jérôme Mesnager, Raphael Gray, B-B et beaucoup d’autres. Les années 80 passèrent ainsi de fresques en expositions, créant une communauté de styles.

A cette époque, si un artiste urbain réalisait une fresque sur un mur, nous collions la nôtre un pâté de maisons plus loin, à l’exception des palissades du Louvre ou tout le monde s’agglutinait pour laisser sa trace. Notre démarche s’inscrivait dans la mouvance de la Figuration Libre, de la Trans-avant-garde italienne teintée d’Expressionnisme allemand. Puis arriva vers 1985, avec le graffeur Bando, la mode du tag à l’américaine. Lors de l’exposition de Gordon Matta-Clark, au Jeu de Paume, il est intéressant de voir que les graffitis du début des années 70 qu’il avait photographiés ont plus à voir avec l’esthétique psychédélique Peace & Love qu’avec le Hip-hop. L’histoire du Graffiti américain naît du style floral hippy donnant forme à une certaine musicalité, de même que dans les années 80 les performances de Futura 2000 lors des concerts des Clash ont contribué à l’émergence d’une nouvelle forme d’expression caractérisée par ses couleurs acides et sa rapidité d’exécution. Le Graff, dix ans plus tard, donne l’opportunité à de jeunes rappeurs, passés par des écoles d’arts appliqués, de devenir de bons graphistes.

UN NOUS structure collaborative avec Antonio Gallego, José Maria Gonzalez, Roberto Martinez, Patrick Pinon. Collages, Xè Biennale de Lyon, 2009.

BANLIEUE-BANLIEUE, CREATION COLLECTIVE

Lors de sa formation, Banlieue-Banlieue choisit de mettre le collectif au centre, par lintermédiaire dune signature commune.

J’ai souvent recherché des projets collectifs, tout en étant vigilant à la notion d’effacement de l’individu, c’est d’ailleurs pourquoi je préfère le mot coopératif. Banlieue-Banlieue a abouti à une écriture collective après mon départ, car nous ne partagions plus la même conception du groupe. Pour moi, d’autres artistes pouvaient se joindre à tout moment, pour se nourrir mutuellement, et non d’un quatuor précis, arrêté: quatre Picasso pour constituer les Beatles de la Peinture. J’étais à l’époque réticent à toute idée qui pouvait entraîner des rapports de domination. De groupe en groupe, je cherchais à affiner la coopération entre des personnalités dans une création collective, même si cela peut aboutir à une écriture plus brutaliste, plus chaotique, comme avec UN NOUS, une structure collaborative au sein de laquelle j’avais été invité à participer à l’exposition « La Force de l’art » où nous avions divisé la durée de l’exposition en donnant un temps égal par artiste. A l’inverse, lors de la Biennale de Lyon, en 2009, nous avions proposé une œuvre collective.

UN NOUS structure collaborative avec Antonio Gallego, José Maria Gonzalez, Roberto Martinez, Patrick Pinon. Collages, Xè Biennale de Lyon, 2009.
Tout alors était susceptible de devenir medium, de se transformer en Art, du collage à la fresque en passant par le fanzine, le décor de cinéma ou le jardin zen.

L’Art contemporain recherchait un étirement du sens de l’œuvre. Depuis les premières avant-gardes, il y avait une volonté de mettre un A majuscule sur les démarches mineures aujourd’hui entrées dans les mœurs, une tradition du nouveau. A présent les singes savent crier :  a . R . T. 

UN NOUS structure collaborative avec Antonio Gallego, José Maria Gonzalez, Roberto Martinez, Patrick Pinon. Collages, Xè Biennale de Lyon, 2009.
Quelle différence existe-t-il entre limaginaire porté par les banlieues à l’époque du collectif et aujourdhui ?

Banlieue-Banlieue naît à l’époque des marches pour l’égalité et contre le racisme, des grèves des immigrés. La banlieue représente alors cet espace périphérique, constitué de grands ensembles, dans une vision très fonctionnelle de l’habitat urbain. Notre but était de montrer qu’elle était dynamique et capable de produire des créations artistiques. La plupart des villes de banlieue étaient alors des communes « rouges » avec une forte conscience politique, des milieux populaires depuis longtemps dirigés par le Parti communiste. Ces villes furent fortement décriées dans les années 80, mais on constate aujourd’hui que lorsque cette conscience politique disparaît, ces espaces se ghettoïsent. Aujourd’hui, les voies singulières qui tentent de s’exprimer sont censurées, comme les Black Lines. De même, les scènes sexuées que l’on peignaient avec Banlieue-Banlieue seraient impossible à réaliser aujourd’hui à Aubervilliers, La Courneuve ou Pantin…

UN FLIBUSTIER DE L’ART

Vous vous définissez comme « flibustier de lArt » : cela se définit par une action urbaine anonyme et discrète, proposant une autre forme dengagement.

J’emprunte cette idée aux situationnistes, celle d’agir puis de disparaître, pour ne pas finir usé, ne pas être consommé, à l’inverse d’autres artistes qui recherchent le maximum de visibilité. Je n’aime pas le mot performance qui annonce avec un carton d’invitation son déroulement, l’heure et son lieudit. Je préfère le mot action,  une attaque impromptue, rapide, pour repartir ensuite vers d’autres lieux, visible uniquement pour celui ou celle présent.e au bon moment et ayant le regard culturel pour la lire.

Cabane dans les arbres - 1996
Borie - 1996
Votre volonté de garder lanonymat est-elle liée à cette nécessaire disparition, ou le fait même dagir est-il plus important que de rendre l’œuvre identifiable ?

Si je mets mon nom dans la rue, je signe, je fais de l’autopromotion. Si je place une image et qu’elle intéresse quelqu’un, peut-être que cette personne pourrait me retrouver. La démarche ici est de l’ordre de la discrétion, car fondamentalement vivre en société c’est vivre collectivement. Je n’estime pas forcément les spéculateurs, la grande bourgeoisie et les institutions : je pense qu’il s’agit de super-prédateurs qui mettent en exergue certains noms pour en oublier d’autres indésirables. Peut-être certaines choses ne doivent-elles pas être exposées car elles sont hors-système (?).  Pourquoi montrer untel et oublier l’autre? Y-a-t-il une volonté de censure non désignée (!?)

Que doit-on montrer dans notre univers néo-libéral : glorifier « la Liberté » entrepreneuriale? Et ne pas montrer « l’’Egalité » réclamée des Gilets Jaunes?

Ce rapport à la discrétion est intéressant, allant à rebours dun Street art devenu un art spectacle.

Autrefois la culture alternative m’intéressait et non cette pollution de masse d’aujourd’hui, une production urbaine qui relève davantage de la variété et de la conception de tubes (musicaux). On accumule les pièces dans une logique invasive, il n’y a plus d’espace, plus d’histoire, plus de contexte. Cette répétition est une forme d’agression du passant devenu consommateur. A l’inverse, mon but était d’étonner et d’offrir une œuvre insolite qui, mise en situation, devait être découverte.

gallego street art
Affichage "anonyme"
gallego street art
Plutôt que de disparition de l’œuvre éphémère, vous préférez parler de destruction.

Construction et destruction sont les fondements des civilisations : Sumer, Ur, Carthage, Babylone,  Athènes ou Rome, etc. En tant qu’êtres humains nous ne sommes pas plus immortels que les œuvres d’arts ne sont  éternelles.

Le choix de laffiche en tant que medium éphémère participe aussi de cette idée.

L’affiche sérigraphiée participe en effet de cette démarche, prenant toujours le risque d’être arrachée par un passant. On retrouve ici une fascination pour l’art éphémère. La vallée des Merveilles dans le Mercantour abrite des milliers de gravures datant de la préhistoire, qui témoignent, en dépit de leur ancienneté et de leur caractère magique, de la fugacité des choses par l’érosion. Il s’agirait avant tout d’un rituel que l’on fait pour soi-même. Peut-être que certains artistes urbains sont aussi dans cette répétition inconsciente d’un vieil art pariétal, de gestes ancestraux tracés au charbon de bois sur les premières voies de transhumance, dont seule Lascaux serait le souvenir.

UNE IMAGE DANS LA RUE

Vous questionnez la nature même de limage placée dans la rue. Dans un entretien vous dites :   « Une proposition est ratée lorsquelle est rattrapée par un sens univoque. »

Je recherche de multiples lectures possibles, essayant d’ouvrir le sens de mes images au maximum. La dimension qui échappe à la compréhension de l’image fera la réussite de la proposition, qui n’est alors plus dirigée par son auteur mais devient insaisissable, polysémantique avec une  multiplication du sens. Cette mise en abîme me satisfait. Lors du siège de Sarajevo, j’ai collé tout autour de Paris, des affiches, simulacre d’un panneau signalétique routier portant le nom de cette ville. Ici il n’y avait plus d’ambiguïté. L’objectif est donc d’aller au-delà, de ne pas énoncer de façon frontale un sens qui se voudrait objectif.

gallego street art
Comment envisagez-vous le fait quen proposant cette image à un public extérieur elle est appréhendée par un autre regard ?

Je pense que le regard culturel du passant ne se mesure pas. Au début des années 2000, je collais mon image de « yourte », lorsqu’un jeune à l’allure intimidante est venu me voir pour me demander s’il pouvait en avoir une pour sa chambre. J’aime l’inattendu qui peut surgir ainsi de mes propositions, correspondant à chaque fois pour moi à un état particulier. C’est pour cela que je ne produisais qu’une affiche tous les ans ou tous les deux ans : il s’agissait de sérigraphies, pas de photocopies numériques. Cette démarche consistant à offrir des images de qualité proposant un questionnement a toujours été au cœur de mon travail.

gallego street art
gallego street art
A cet égard, lArt urbain, en se démocratisant, a peut-être perdu cette culture artistique propre à lespace dans lequel il se déploie. Sans image, un artiste dil y a dix ans nexiste plus. Cela questionne notre rapport à la mémoire de cette pratique.

On a démocratisé l’Art, voulu le rendre accessible. Il est étonnant de voir à quel point cette mémoire artistique se construit à très court terme. C’est aussi pour cela que j’appelle ces productions « variété ». Or, ceux qui écrivent les tubes musicaux d’aujourd’hui connaissent-ils Christophe ou Michel Polnareff ? Jean Faucheur avait collé une affiche 4 par 3 sur le M.U.R du XIIIe que j’avais découvert toyé : mais le jeune « toyeur» avec sa bombe savait-il qui il était en train de tagguer !? Les institutions n’ont pas fait leur travail. Un jour, un critique à qui je parlais d’Invader m’avoua ne pas savoir de qui il s’agissait, alors qu’il se rendait toutes les semaines dans les galeries et les musées. Il ne se rappelait pas ce que Charles Baudelaire disait des plaques de rue : La modernité, cest le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de lArt, dont lautre moitié est l’éternel et limmuable… Ces professionnels ne savent plus voir le spectacle de la rue.

REGARD SUR L’ART URBAIN

LArt urbain a gardé pendant longtemps un côté accessible, avant que la multiplication des pratiques entraîne un partage de lespace.

A Paris, les rues furent toyées dès le début des années 90. Si je voyais un graff à un angle je me mettais plus loin, estimant que le promeneur ne devait pas se sentir agressé comme par la publicité, mais plutôt se sentir éveillé par une surprise, à la façon des situationnistes. Le respect était présent : il y avait un cousinage de regards, au travers d’écritures totalement différentes. Peu à peu, avec la réduction de l’espace disponible, cet Art urbain est devenu un art du spectacle. J’ai continué à coller régulièrement jusqu’en 2016 avec UN NOUS. Je continue seul désormais quand je suis sollicité, occupé à peindre dans mon atelier et à coéditer ma revue de dessin contemporain Rouge Gorge.

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Les fresques vont ainsi à lencontre dun Art urbain se voulant accessible, nécessitant des autorisations.

Cela résume aussi tout le cheminement depuis les interventions sauvages dont la hauteur n’excédait pas trois mètres de hauteur. Banlieue-Banlieue avait souvent des autorisations, donc des échelles, parfois même des échafaudages. Les Ripoulin allaient jusqu’à la hauteur des panneaux publicitaires de 4 mètres par 3. Avec l’évolution du genre et des styles, aujourd’hui la prouesse figurative des muralistes est à la hauteur d’un mur pignon d’une tour comme le projet du XIIIème arrondissement de Paris que je trouve intéressant car cachant ainsi la misère architecturale répétitive. D’autres sauvages, comme les Modern Jazz Graffiti,  brouillent les références avec leur écriture décalée entre abstraction et néo-bad painting.

En quoi la rue est-elle un espace de création particulier ? 

Dans les années 80, Banlieue-Banlieue avait l’ambition de réaliser un art pour tous. Il s’agissait d’une utopie d’époque. Ce que la rue avait de spécifique comme situation et action, elle l’a perdu par la multiplication des interventions urbaines. Aujourd’hui, ce n’est plus un endroit particulier car la rue est saturée d’images, me donnant l’impression de polluer en collant, ou de faire de la publicité. JR est en cela une figure intéressante : autodidacte, il arrive avec une énergie et des idées neuves, mais dans la durée il s’avère qu’il utilise les mêmes procédés que les marques. Jusqu’au début des années 2000, il y avait encore de l’espace, alors que désormais, il est possible d’être recouvert par un autre produit artistique avec lequel je me retrouve en compétition : est-ce vraiment la peine de se battre pour un territoire ? Paradoxalement, peut-être que l’époque où nous recevions des amendes était plus excitante car il y avait moins de monde, alors que désormais l’espace urbain est une course à la plus grande fresque, au plus m’as-tu-vu

Un jour, j’ai vu un petit garçon avec son grand-père en train de coller un dessin sur un mur. Leur demandant ce qu’ils étaient en train de faire, le papy me répond : « J’initie mon petit-fils au Street art. » J’ai trouvé cette réponse  attendrissante : comment nommer cet « Art » quand grands-parents et petits-enfants collent ensemble dans la rue comme on va le dimanche au Guignol !

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Photographies:  Antonio Gallego

Vous pouvez retrouver Antonio Gallego sur Facebook.

Entretien enregistré en septembre 2020.

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