Furniss

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Raconter des histoires par la voix et par l'image

“Tout part de l’écriture et d’une vision, d’une esthétique et d’une ambiance.”

essays

Essays, peut faire à la fois référence à une première ébauche, mais également à une période de ta vie.

L’EP s’appelle Essays, mais c’est également le titre du premier long-métrage que j’écris. Les deux abordent des thématiques très similaires, qui correspondent à un même état d’esprit, à une même période de ma vie, le début de la vingtaine. Ça ne me dérange pas que tout ce que je puisse produire porte le même nom, pour autant qu’il renvoie à la même période. C’est une retranscription des mêmes sentiments sous une autre forme.

Essays fait aussi référence à une ébauche, car j’aimerais bien réenregistrer ces morceaux. Ces enregistrements datent d’il y a deux ans, et même si j’en suis fière car c’est la première chose que je produis en musique, les associant à de très bons souvenirs en studio, je ne les interpréterais plus de cette façon aujourd’hui. A l’époque je n’avais ni le même temps, ni les mêmes capacités musicales, ni les mêmes moyens. Il manque encore quelque chose à cet EP et Essays est un titre parfait pour ça. J’aimerais trouver une autre tonalité pour Silentium qui est assez mélancolique, et la version live de Homecoming, plus planante, retranscrit mieux l’ambiance. Je pourrais ainsi ressortir un Essays 2 avec ces mêmes morceaux produits complètement différemment, et c’est aussi l’esprit de cet EP : il est désormais inscrit dans ma vie, mais reste libre d’être totalement réécrit.

Pourquoi t’être orientée vers la musique folk ?

C’est la musique qui me touche le plus, sans doute à cause de la place qu’y a l’écriture, plus présente que dans d’autres styles musicaux. Elle associe musicalité, composition et importance des paroles. Elle porte une certaine mélancolie, qui me semble belle, et dans ma construction musicale elle m’a appris à aimer la musique que je chante aujourd’hui.

Dans tes chansons elle paraît aussi être porteuse d’un imaginaire américain. Penses-tu que ce dernier y soit nécessairement lié ou fait-il partie de ta construction personnelle ?

Les années charnières durant lesquelles j’ai commencé à écrire et à jouer se sont toutes déroulées aux Etats-Unis, donc je pense que cette connexion s’est établie organiquement. C’est aussi un pays dans lequel j’ai passé une partie du lycée, de mes études, dans lequel je retourne tous les étés. Il fait partie de moi, et j’ai hâte d’y retourner : toutes mes chansons ont été écrites là-bas.

La scène comme étape

En quoi la scène représente-elle une étape dans ton parcours ?

Être sur scène c’est prendre le temps, c’est également concevoir une mise en scène dans laquelle j’ai longtemps perçu quelque chose d’indélébile quant à l’image d’un artiste, alors que finalement ce n’est pas vrai, et il est possible d’y évoluer. Je me mettais tellement de pression que j’en ai un peu oublié le plaisir qu’elle pouvait procurer, pensant qu’il fallait que tout soit rodé, alors que faire des petits concerts est justement primordial. Je l’ai vue comme du marketing, alors qu’elle devrait intervenir avant le studio, et le jeu avant l’enregistrement. Donner un concert, c’est faire un coming-out. C’est demander aux gens de se déplacer pour venir voir quelque chose qui nous appartient, mais qu’on abandonne lorsqu’on y est. Cette peur de se confronter est assez saine, et même si j’aurais préféré ne pas l’avoir je pense qu’elle est propre à chaque artiste.

Pourquoi avoir voulu attendre de jouer sur scène pour lancer Essays ?

Je voulais sortir l’EP avant, mais il y avait aussi un clip en préparation. J’avais surtout peur de sortir cette chose sans qu’elle existe, et faire des concerts permet de donner vie à cette musique. En parallèle, avoir le support de l’EP permet plus facilement de monter sur scène à Paris ou New-York. Même si je crois que la peur de jouer seule est un peu absurde – beaucoup d’artistes dégagent plus d’émotion seuls – il était important pour moi de partager ce premier concert avec d’autres artistes. Cela permet également d’avoir un rendu plus musical, même si je me rends compte que je peux maintenant aller seule sur scène avec une guitare, en ayant le rendu que je souhaite et en me sentant légitime.

En quoi le passage à la scène a-t-il modifié le regard des gens qui t’entourent ?

Je suis née dans la musique avec ma famille, et c’est quelque chose que j’associe au bien-être, à l’épanouissement et à l’expression. Quand je me suis rendue compte en grandissant que la musique me touchait à ce point, me définissant presque, je me suis dit qu’il fallait que je la vive pleinement. Dès lors les gens qui m’entourent savent très bien à quel point la musique compte pour moi, sans pour autant se rendre compte de la place qu’elle occupe, ni du temps investi en composition et répétitions. Composer ou écrire, pour tout auteur, c’est se mettre à nu. Aujourd’hui j’ai moins d’angoisses quant au fait d’assumer cette passion.

Quelles différences fais-tu entre les approches artistiques française et américaine ?

A Seattle, beaucoup de gens travaillaient tout en ayant des pratiques artistiques : ils font de vrais enregistrements, des concerts, sans être professionnels. En France on sépare beaucoup plus facilement professionnels et amateurs. Cette peur est culturelle, c’est celle de faire autre chose, la peur du jugement aussi. Il est difficile ici d’être multi casquette, qui pose très vite la question de la légitimité artistique. Il est cependant possible de faire des choses différentes, d’avoir des ambitions dans des disciplines diverses, et d’être passionnée par plusieurs sujets.

Raconter une histoire par la voix, l’écriture et l’image

Le cinéma et la musique sont ainsi pour toi deux façons de raconter des histoires.

Les outils sont différents mais la création est la même. Tout part de l’écriture et d’une vision, d’une esthétique et d’une ambiance. En musique, comme au cinéma, certains projets sont plus commerciaux que d’autres, mais plusieurs albums ont inspiré des chefs-d’œuvre de la littérature ou des films, et réciproquement. Ce qui est compliqué c’est que ces industries nécessitent des moyens très différents, et que pour espérer réussir il faut parvenir à se dédoubler en termes de temps et de compréhension de ces deux milieux.

On pourrait pourtant penser qu’ils portent des approches esthétiques divergentes.

Oui, mais tout part d’une même intention artistique, de la façon dont on veut peindre son album, écrire ou composer son film. Tout est composition. La complexité vient des connaissances techniques indéniables exigées par chacune de ces pratiques. Dès lors, je pense que quelqu’un qui aime le cinéma ne peut pas ne pas apprécier la musique qui en est au cœur. Mon morceau The Waves a été composé pour un film. Le travail réalisé avec la réalisatrice m’a obligé à sortir de ma coquille pour faire coexister nos deux visions, ce qui était à la fois impressionnant et professionnalisant. Selon moi la musique est inhérente au cinéma et si je peux trouver un lien entre ces deux arts ce serait formidable.

Dès lors la forme d’expression devient presque secondaire, étant au service d’une expression.

Exactement, mais ce regard est subjectif. J’ai toujours lié ces deux univers, des paroles à des scénarios, des images à des sons. Si j’étais peintre ou photographe je le considérerais peut-être de la même façon, mais cette double vision ne sera pas partagée par tout le monde. Je sais que c’est assez utopique mais j’espère pouvoir conjuguer ces deux dimensions dans le futur.

Créer à 20 ans

Dans un entretien tu expliquais que « le passage de la vingtaine avait été une prise de conscience forcée de ta temporalité ». Est-ce une façon de signifier que ce que tu fais commence à compter ?

C’est une idée à double tranchant : ce que je fais commence à compter, et en même temps rien n’est grave. Depuis cette phrase je pense être apaisée et beaucoup moins angoissée par cette temporalité, mais c’est quelque chose que j’ai toujours en moi qui me pousse à faire ce dont j’ai envie. Nous vivons dans une société dans laquelle les gens se sentent parfois contraints à entrer dans un système, à avoir des prises de position qui ne seraient pas authentiques. Cette temporalité est aussi construite, et si certaines choses doivent sortir, elles doivent pouvoir le faire maintenant ou dans 10 ans, pour un public ou pour moi seule.

Ce passage de la vingtaine correspond à une prise de responsabilités, au fait de devoir apprendre à gérer sa vie. Avant cet âge-là il est difficile de prendre des décisions, mais dès qu’apparaît ce peit vide on se demande quoi y mettre : des études, un travail, un pétage de câble, une carrière, telle personne ou telle autre ? Toutes ces questions peuvent vite devenir angoissantes, et nous font prendre conscience du temps qui passe par leurs répercussions, dont on se rend compte chaque jour au travers des gens qui nous entourent, pour le meilleur ou pour le pire.

N’est-ce pas le signe d’une certaine frénésie ?

C’est possible, et c’est pour cela que je le fais maintenant, pour cela que je pars à New-York, pour cela que j’ai cette envie de concerts avant de partir. Pourtant je pense que cette frénésie n’est pas forcément saine, et si elle est parfois inévitable il faut savoir la gérer car elle peut vite devenir maladive ou anxiogène, ce qui m’est arrivé lorsque je n’ai pas réussi à en tenir compte à 20 ans.

Que souhaiterais-tu réaliser ?

Un premier album prendra moins de temps à réaliser qu’un premier film, et pourrait arriver avant. Mon rêve serait de pouvoir avoir la possibilité de faire librement les deux, d’alterner entre musique et cinéma, travaillant sur mes projets entre la France et les Etats-Unis tout en étant heureuse. Mais si je sens que c’est trop pour moi, ou que je me rends compte demain que ce n’est pas ce qui me plaît, je m’écouterais et m’orienterais vers une vie différente.

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Photographies: Furniss

Entretien enregistré en juillet 2019.

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