Miss.Tic

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Celle qui écrit dans nos marges

Ceci est une introduction : saint oma street art.

“Mon travail évoque l’époque dans laquelle je vis : je préférerais moi-même devenir une icône que de travailler sur les icônes.”

CRÉER POUR EXISTER

Pourquoi avez-vous utilisé la technique du pochoir ?

J’ai assisté à la naissance du hip-hop et du Graffiti aux Etats-Unis, au début des années 80. J’avais été comédienne, principalement du théâtre de rue, donc attentive à ce qui se passait dans l’espace urbain. De retour à Paris, j’ai aussi vu des étudiants des Beaux-arts s’y exprimer. Pour peindre en extérieur, j’ai décidé d’utiliser la technique du pochoir car elle était simple et permettait de reproduire mes dessins et mes textes. J’ai appris sur le tas: en créant ma propre typographie, je donnais une identité visuelle à mon travail.

Vous dites de votre passage à la rue : « Au début c’était un compte à régler, je l’ai fait de toutes les forces de mon cœur et ce sentiment ne m’a jamais quittée. » Considérez-vous que votre principal moteur artistique soit de créer contre ?

La colère est un moteur qui pousse à agir. Vous citez une phrase que j’ai dite, il y a bien longtemps. Depuis ma colère a pris d’autres couleurs… Après plus de trente-cinq ans de pratique, j’ai le sentiment d’avoir aussi créé pour : pour la vie, pour le désir, pour la liberté, pour la poésie. Il n’y a pas que mon texte qui est poétique, mais aussi la manière pour le public de le découvrir. Si je débutais aujourd’hui, ferais-je du Street art ? Probablement pas. J’ai commencé parce qu’il s’agissait d’un territoire vierge. Cela aussi a été un moteur, le fait qu’on ne soit pas nombreux, c’était nouveau ! On ouvrait des portes bien verrouillées, on essuyait les plâtres. La plupart des institutions culturelles et des galeries nous ont longtemps ignorées. Dès lors, je n’aurais pas envie de me glisser dans un mouvement aussi ancien. Je n’ai pas l’âme d’une suiveuse.

Votre travail est fortement associé à la ville de Paris et apparaît dans de multiples quartiers.

Je suis née à Paris et j’y vis. J’y travaille aussi. Chaque année, je choisis un quartier différent. Il y a un grand malentendu autour de mon travail à ce sujet. Pour le public je semble liée au XIIIe arrondissement, car j’y ai mon atelier. Je connais quelques commerçants à la Butte aux Cailles et dès qu’un dessin est abîmé ils m’appellent par sympathie pour que je vienne repeindre. De plus, en 2006, j’y ai fait un projet pour la mairie demandé par le maire de l’époque, Serge Blisko. J’ai réalisé une trentaine de peintures dans l’arrondissement et une exposition « Parisiennes, Femmes Capitales » à la mairie. Ce projet a été très relayé par les journalistes. Depuis, ces derniers recopient ce qu’ils trouvent sur Internet, et c’est ainsi que je suis étiquetée XIIIe ! Je profite également de mes expositions dans des villes en région comme Arles, Saint-Etienne ou Lille… pour peindre.

LA FEMME ET LE REGARD DE L’AUTRE

Vous projetez sur les murs l’image d’une femme fantasmée et éternellement jeune, tout en parlant de « peau du souvenir » et rêvant à des « corps sans mémoire ». Il s’agirait presque d’une réincarnation de la figure de Dorian Gray.

Je propose une vision sublimée de la femme. Elle est jeune, en bonne santé, désirable. Je ne fais que reprendre des images qu’on nous donne à voir dans les médias comme la mode, la publicité, les magazines féminins. Je les détourne, les rends désirantes et leur donne la parole. Vous citez Dorian Gray, seulement c’est l’inverse qui se produit dans mon œuvre: ce n’est pas le tableau ni le personnage qui vieillit, c’est bien moi… Je n’ai pas vendu mon âme au diable, j’ai vendu la sienne !

En affichant dans la rue une image érotisée, vous provoquez une réaction du regardeur, qui peut aussi être un rejet. Surtout, vous le confrontez directement à son propre regard et à ses préjugés. Dans de vieilles photographies on retrouve ainsi des autocollants par-dessus vos textes avec la mention « le porno ras le bol ».

Une image sexuée fera toujours plus réagir les gens qu’une image qui ne l’est pas. C’est sur que si je dessinais des chatons je n’aurais pas les même critiques. On peut trouver mes peintures obscènes, mais c’est celui qui le pense en regardant mes créatures qui devrait se poser des questions, car c’est lui qui voit l’obscénité. Je trouve que le regard sur les femmes est pire aujourd’hui qu’il y a trente ans et je pense que la société est plus régressive qu’auparavant. Je revendique le côté sexuel et érotique de mon travail. Je l’assume. Je fais partie de ces artistes qui aiment provoquer dans tous les sens du terme. Provoquer ce n’est pas seulement choquer, c’est susciter une réaction, une pensée, une émotion, même si c’est de l’indifférence ou du rejet.

Cette image d’une femme indépendante et libre fait qu’on vous rapproche aussi des combats féministes.

Il y a des féministes qui n’aiment pas du tout mon travail car elles le trouvent trop sexué : pour elle, cela rappelle la femme objet. Je ne me considère pas uniquement féministe, je suis aussi anarchiste, hédoniste etc. Je n’aime pas être enfermée dans un rôle unique. Bien entendu il y a des combats qui me touchent, des injustices que j’ai subi en tant que femme mais je ne suis pas une militante. Je pense avant tout être une femme qui s’exprime, je crée d’où je suis avec ma part de féminité.

ECRIRE POUR SE DECOUVRIR

Vous dites : « J’écris ce que je sais, mais je ne le sais vraiment que lorsque je l’ai écrit. » Percevez-vous l’écriture comme un exutoire, ou comme un révélateur de pensées ?

J’envisage l’écriture comme un révélateur. Je pense que dans toute création il y a de l’inconscient. On commence à un certain endroit et l’on arrive ailleurs. J’aime être surprise. Écrire, c’est une aventure. La littérature me passionne et je trouve que les mots sont importants.

« Dans la vie il y a un passage, le plus souvent c’est à l’adolescence, où on se met à écrire, ne serait-ce qu’un journal de voyage, de chagrin ou d’amour. La plupart du temps cela ne dure pas, moi j’ai continué. » Percevez-vous la rue comme un journal intime ?  

Je ne considère pas que j’écris le récit de ma vie, mais plutôt celui de la vie en général. Mes textes ne sont pas autobiographiques : il est impossible d’établir un lien certain entre mon humeur et ce que j’énonce. Lorsque je peins un texte chagrin, je ne suis pas forcément triste. Ce n’est pas parce qu’on dit je qu’il s’agit de nous : comme disait Rimbaud « Je est un autre ». L’Art et la vie ne font qu’un, on ne peut pas les dissocier. Inévitablement, mes créations subissent des émotions, des pensées, des sentiments que je porte.

Pourriez-vous revenir sur l’évolution de votre processus d’écriture ? Au début vous écriviez des textes assez longs, proche des poèmes comme « Toi en moi » qui comporte plusieurs strophes, avant de vous rapprocher d’une forme brève, presque un haïku.

Au début j’écrivais une poésie plus classique, mais l’usage m’a fait m’apercevoir que le temps d’attention et de lecture des gens dans la rue étaient en réalité très bref. J’ai donc raccourci et concentré mes écrits pour les rendre plus facilement lisibles par le public, utilisant notamment des couleurs propres à la signalétique : le rouge et le noir.

MUSES ET HOMMES

Comment a été conçue la série Muses et Hommes ? Réalisée en 2000, elle change de vos codes de lecture habituels en juxtaposant vos textes à des tableaux de maîtres classiques.

En 1998, Yves Mourousi était commissionné par la Mairie de Paris afin de s’occuper des grandes manifestations culturelles et festives prévues pour l’an 2000. Un soir, pendant un vernissage, il m’a demandé de lui proposer un projet. Quelques semaines plus tard, je lui présente Muses et Hommes, l’idée étant de réinterpréter une vingtaine de  tableaux de grands Maîtres. Botticelli, Rembrandt, Manet, Titien, Renoir, Ingres, Vinci, Gauguin etc.… Il s’agissait d’une relecture de l’image de la femme et de sa représentation dans des peintures d’hommes. Le choix de ces œuvres célèbres montre  combien les femmes apparaissent sous des formes opposées de la sainte à la courtisane, de la vertueuse à la tentatrice, de la maman à la putain.

Initialement, je prévoyais de peindre sur les quais de Seine entre le musée d’Orsay et le Louvre où ces tableaux étaient exposés. Du musée à la rue, de la rue au musée il n’y avait qu’un pas. Mais en avril 1998 Yves Mourousi meurt et ses projets avec… J’ai pu finalement le réaliser en l’an 2000 mais dans le XXe arrondissement, soutenue par la mairie ainsi que l’espace Ricard dans le VIIIe.

Comment choisissiez-vous la partie du tableau à isoler ?

Pour La mort de Sardanapale d’Eugène Delacroix, j’avais extrait l’image d’un guerrier en train d’assassiner une servante, en bas à droite du tableau. Cette scène avait fait scandale à l’époque, car le public y avait perçu une forme de jouissance de la femme. La phrase « Mon corps est un chant de bataille » voulait questionner l’histoire racontée. C’est étonnant de se dire que la perception des spectateurs portait sur ce détail, alors qu’il n’est pas certain que le peintre lui-même ait pensé à cette interprétation. Les critiques, en portant plus loin la réflexion des créateurs, nous font parfois découvrir des choses auxquelles nous n’avons pas pensé !

Vous expliquez qu’utiliser la photographie était une évidence, « la seule façon de résister au temps, de donner une pérennité à mon travail dans la rue. » S’agissait-il d’une photographie d’Art ou d’archivage ?

Au début, ma pratique photographique visait surtout à faire une sauvegarde de mes œuvres. Je voulais pouvoir constituer mon propre archivage, sans devoir demander à des photographes. Par contre la série Muses et Hommes est un travail photographique. En 2000, les appareils numériques n’étaient pas encore au point et comme mon projet était d’exposer les photos de mes peintures sur les murs en grand tirage 120 x 160 cm, j’ai travaillé à la chambre et réalisé les prises de vue.

Cette série interroge aussi la place du regard masculin en Art, une question qui est devenue plus brûlante ces dernières années.

C’est vrai que ce sujet a pris récemment beaucoup d’ampleur au niveau médiatique. C’est aussi ce qui rend cette série intemporelle : les œuvres d’origine résonnent encore aujourd’hui, qu’elles présentent des choses alors de bon goût devenues détestables, ou l’inverse, comme Toulouse-Lautrec montrant l’humanité d’une prostituée. Je ne fais parfois que surligner ce que le peintre dénonçait, comme Paul Gauguin qui évoque la colonisation dans le tableau Femmes de Tahiti, l’une étant en tenue traditionnelle, l’autre portant déjà le vêtement des colons.

STREET ART : UNE ÉPOQUE

Contrairement à beaucoup d’artistes urbains, vous ne semblez pas travailler sur la mémoire collective mais interrogez de façon frontale notre société actuelle.

Mon travail évoque l’époque dans laquelle je vis : je préférerais moi-même devenir une icône que de travailler sur les icônes. Seul Ernest Pignon a mené au sublime cette expérience, avec des œuvres qui sont autant poétiques que politiques. Je trouve donc que les suiveurs qui égrènent les portraits de gens célèbres me fatiguent, car les hommages sont choses faciles. C’est certain qu’il est simple de faire un portrait d’Einstein, de Frida Kahlo, Jim Morrison etc. Le pire est celui qui récupère les SDF, les malheureux, les victimes d’attentats pour se faire remarquer. On a le droit de parler de ses morts, mais il est indécent de parler des morts qui ne vous appartiennent pas.

Vous avez toujours mis en avant la place du texte dans votre travail. Considérez-vous avoir été précurseur de l’utilisation des mots dans l’espace urbain ?

Quand j’ai commencé, il n’y avait dans la rue que des images. En plaçant mes textes j’étais persuadée qu’une multitude de gens se mettraient à écrire sur les murs, mais ce n’est que très très récemment que cette pratique commence à apparaître, notamment avec les travaux de La Dactylo ou de Petite Poissone. On y retrouve le sens des jeux des mots, bien que cela reste cantonné à du texte et que le travail plastique ne soit pas développé. Il ne faut pas oublier Ben qui est beaucoup intervenu sur les murs sans jamais cesser d’être plasticien, ou le travail très intéressant de Paella ? qui n’est pas assez mis en avant.

En quoi la rue est-elle un cadre de création particulier ?

Je suis très attachée aux arts populaires. Tout ce qui me détourne du quotidien est important. J’aime aller m’exprimer dans la rue, il est nécessaire de ne pas être présent uniquement dans des lieux dédiés : je n’ai rien contre, mais c’est bien d’en sortir. Dans mon cas, le vandalisme n’a jamais été un sujet. Dès le début, je ne peignais pas parce que c’était interdit. J’avais conscience de ce qu’il fallait transgresser pour agir, mais l’adrénaline et les courses poursuites avec les flics ne constituaient pas mon objectif. Mon propos était de faire exister mon travail et je prenais les risques qu’il fallait pour que cela advienne.

Pensez-vous qu’il soit possible de parler de chefs-d’œuvre éphémères, alors même que le rapport à la pièce n’est rapidement plus possible autrement qu’en image ?

Je pense que les œuvres d’art les plus anciennes seraient aussi éphémères si on ne les restauraient pas. Oui, il existe des chefs-d’œuvre disparus, mais cela n’est pas grave. L’important est qu’une pièce interpelle sur son époque, qu’elle parvienne à une certaine forme d’universalité. On parle alors de chef-d’œuvre quand elle dépasse le cadre du temps et de l’espace pour résonner à différentes époques. Des artistes comme Ernest Pignon-Ernest ou Gérard Zlotykamien ont réalisé des œuvres majeures en situation, utilisant la photographie pour garder une mémoire de ce travail. On pourrait écrire à leur sujet: « Ci-gît un chef d’œuvre ».

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Photographies:  Miss.Tic

Vous pouvez retrouver Miss.Tic sur Facebook,  Instagram et son site internet.

Entretien enregistré en janvier 2021.

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