Moyoshi

MOYOSHI

Entre temps de réflexion et vitesse d'exécution

“Pourquoi le street-art ne devrait être que dans la rue ? Pourquoi certains graffeurs refusent d’aller en galerie ? ”

Parcours

Comment es-tu devenu artiste ?

En 2000, alors que j’étais dans le milieu musical, j’ai découvert le Graffiti et adoré le côté vandale. Je taguais déjà auparavant même si le résultat n’était pas forcément esthétique, car il s’agissait plutôt de poser sa griffe. A partir de là, j’ai fait du vandale pendant quatre ans, sans pour autant conserver de dates ou traces précises de cette période. Je n’ai rien fait pour arriver là où j’en suis aujourd’hui, tout n’était que simple expression.

A la même époque, j’avais un projet musical avec Bioshanka. Je m’approchais de mes vingt-cinq ans et je pensais que la musique me permettrait de m’exprimer tout en parvenant à obtenir une reconnaissance financière de mon travail. J’ai arrêté pendant neuf ou dix ans, avant de reprendre lorsque j’ai rencontré des personnes du milieu qui, à travers le projet Hip, m’ont édité pour me placer à côté de street artistes. C’était en 2010/2011, et je découvrais cet univers, sans comprendre pourquoi il ne regroupait que les arts visuels, sans les musiciens ou le théâtre de rue. En effet, quand on parlait d’Art de rue en France il y a encore quinze ans, cela faisait référence à des festivals comme Aurillac ou Avignon, mais pas au Street art tel qu’il est défini aujourd’hui. Ainsi, je pense que le public a davantage catégorisé mon travail que moi-même.

Une anecdote me paraît importante sur mes premiers pas en tant que dessinateur. La première fois que j’ai essayé de peindre, c’était après avoir eu une soirée « fortement colorée ». Une amie, qui avait une très bonne culture artistique, m’a emmené à Beaubourg pour me montrer une toile de Pollock. J’ai halluciné et lui ai tout de suite demandé qui avait pu peindre quelque chose qui ressemblait tant à mon tableau. Ce jour-là, j’ai compris que ce que je dessinais pouvait me donner confiance en moi.

Qu’est-ce qui t’a fait retourner à la rue après toutes ces années ?

Suite à des histoires avec la justice, j’ai voulu m’intégrer dans la vie active avec un travail qui m’intéressait. J’ai été directeur artistique et chef de projet en agence de communication. J’y ai développé toute une culture graphique en me détachant du Graffiti. Je continuais à faire un peu de vandale de temps en temps, tout en restant en retrait. Lorsque j’ai songé à reprendre, c’est avec l’œil du directeur artistique que j’ai examiné mon travail, pour savoir qui j’étais et ce que j’allais faire. En galerie, mon passé de vandale justifiait d’un état de street artiste, or j’étais entièrement en désaccord avec cela. Cet incident m’a permis de me rendre compte que je devais retourner dans la rue pour le plaisir, mais aussi qu’à proprement parler je ne savais pas graffer. Ce que je faisais c’était du vandale, mais ni des fresques, ni du lettrage.

 

Quand est apparu la figure de Moyoshi ?

Moyoshi existait déjà en 2000 :  c’était un projet musical solo avec lequel je tournais. Alors que nous devions sortir une deuxième maquette, le groupe s’est séparé, laissant beaucoup d’idées inachevées. J’avais besoin d’une identité : or, j’étais fan d’électro, d’abstract hip-hop et j’adorais la culture asiatique, de DJ Krush aux anime comme Le voyage de Chihiro ou Princesse Mononoké. Moyoshi s’est donc imposé naturellement, s’accompagnant au début d’un lettrage asiatique.

Pour toi qui est passé du Graffiti au Street art, quelle serait la différence entre ces deux univers? 

Je pense qu’il s’agit d’une question de nomenclature. Alors qu’un mec de quarante-cinq ans me disait que l’important pour lui était le caractère transgressif du Graffiti, le Street art essaie davantage aujourd’hui d’interagir avec les passants. Cependant, ce qui comptera au final est la présence d’une expression: plus elle sera spontanée, plus elle aura de valeur. Ceux qui ne s’inscrivent pas dans la durée mais matraquent la rue avant un show auront ensuite plus de mal à se faire accepter par la communauté underground. A cet égard, je pense que le monde du Street art va devoir se responsabiliser pour ne pas être un simple effet de mode, et être consommé dans dix ans.

UN TRACÉ DIRECT ADAPTÉ À SON ESPACE

Qu’est-ce que la rue représente pour toi en tant qu’espace ?  

Quand j’ai commencé, la rue était un espace de liberté, mais aussi porteuse d’une connotation négative. Lorsque Sarkozy est arrivé au ministère de l’Intérieur, elle est devenue synonyme de « racaille » et de « voyous ». Se rajoutait donc à cette liberté un côté transgressif, celui de s’autoriser des choses, de se retrouver dehors lorsque tout était fermé, même si en Normandie cela constituait un délit de sale gueule.

Cependant, la rue est aussi un espace de contraintes. J’y ai énormément traîné, même dormi un peu, avant de trouver les bonnes personnes pour m’aider. Je fais partie des gens qui aiment y marcher, à qui elle offre de nouvelles idées. Découvrir pendant des années un travail de bureau avant de revenir à la rue m’a aussi permis de passer de l’autre côté de la barrière. Or, j’ai toujours apprécié ce grand écart :  je pense que la vie n’est pas une ligne droite.

Enfin, la rue offre un moyen de conserver son anonymat. Quand tu es musicien, tu es obligé de te montrer sur scène. A l’inverse, le Graffiti permet de passer une soirée avec des personnes qui se demandent qui a peint une oeuvre, sans qu’elles puissent se douter que tu te trouves en face d’elles ! Cette capacité à rester caché a été une victoire, même si elle demande de fait plus de temps pour permettre de se faire repérer. Ainsi, les seuls qui te reconnaîtront seront les curieux et les filous.

Pourquoi avoir choisi la bombe comme outil de travail ?

Pour être honnête, au début je travaillais au Posca. Il était assez facile de les voler, jusqu’au jour où les commerçants ont compris qu’il valait mieux cacher certains marqueurs. Mais ils étaient surtout trop petits et je trouvais qu’on ne les voyait pas assez. J’ai donc récupéré des bombes plus voyantes dans une carrosserie. Un jour, j’ai rencontré sur un terrain de Graffiti deux mecs qui m’ont montré de vraies bombes et quelques techniques. Ce fût un choc, car jusque-là mon expression graphique était assez brute : pour laisser une trace, un bout de plâtre ou du cirage pouvaient suffire. J’étais déjà orienté vers des personnages et j’aimais beaucoup la mouvance abstraite avec un esthétisme proche du monde de l’illustration (le lettrage, mais qui n’était pas mon univers premier). Néanmoins, je pense que l’important est de développer sa propre esthétique, qui n’est pas forcément liée à l’outil, même s’il y a des périodes de sa vie où l’on va en favoriser un plutôt qu’un autre. En atelier, je tente aussi de retranscrire mon univers avec des craies, des pinceaux ou des marqueurs. 

 

Quel est l’importance du tracé direct dans ta démarche ?

Le tracé direct est une discipline que j’ai toujours adorée : un mur, une bombe, un seul trait. Dans les premiers festivals on m’appelait même « Le traceur », car je travaillais toujours avec ces lignes frénétiques. Je ne me suis pas rendu compte au départ de l’importance de ce style lié au Graffiti dans mon travail. Les vrais graffeurs que j’ai rencontré m’ont dit que j’étais une personnalité atypique de ce milieu, ce qui m’a fait tripé car ils m’avaient repéré.

Ce tracé s’accompagne d’un goût pour l’improvisation.

Pour une de mes dernières fresques, j’ai assumé devant le public et les journalistes ne pas du tout savoir ce que j’allais faire en démarrant. Je ne m’inquiète pas face à un mur, car avec l’expérience je maîtrise quelques palettes de couleur, des choix de dynamiques et certains esthétismes forts. J’adore le freestyle, commencer une fresque et m’étaler de plus en plus, avec de la musique à fond dans les oreilles.  J’adoptais déjà cette attitude en tant que musicien, ne voulant pas faire de reprises. Je préfère travailler ma propre expression plutôt que reprendre le travail d’un autre au risque de le dénaturer. J’ai toujours privilégié la créativité et l’improvisation, même si le freestyle m’a aussi joué de mauvais tours et qu’il m’arrive parfois d’utiliser des esquisses. A cause de cela, il m’arrivait souvent au début de devoir allonger mes fresques pour corriger un défaut d’harmonie ou de composition. Je voulais aussi finir à tout prix mes bombes, quitte à déborder sur la poubelle d’à côté.

De la créature fantastique à une recherche expérimentale

Pourquoi avoir choisi de peindre ces créatures mi-animales, mi-végétales ?

Je suis amoureux du monde animalier et de la Nature : comme cela manque de plus en plus à notre quotidien, c’est une source d’inspiration forte. Je n’ai pas forcément fait attention aux artistes qui peignaient des animaux, car tout le monde à sa propre patte graphique. Dans mon travail, je peins d’abord l’œil sur le mur que je considère comme une entité à la fois animale et végétale. J’ai ensuite conceptualisé cela, songeant à l’idée d’une nature qui nous effacerait et reprendrait ses droits. C’est une thématique qu’on retrouve par exemple dans Princesse Mononoké. Cette dualité de la Nature et des animaux s’unissant pour mener une grande bataille et se défendre m’a beaucoup inspiré, même si j’ai mis neuf ans à m’en rendre compte. D’ailleurs, pendant un an, en 2014, je n’ai fait qu’utiliser une palette de couleurs associée au Japon, de noir, de rouge et de blanc.

Comment es-tu passé de ces créatures à une démarche plus expérimentale ?

En prenant de l’âge on s’aperçoit que la dualité entre l’Homme et la Nature est très exploitée dans les arts. Si je trouvais au départ ces créatures intéressantes, j’essaie depuis un an de m’en séparer. Je veux rechercher autre chose, m’étant aperçu que si je n’étais pas en mouvement mon travail s’enfermerait dans une époque. Or, l’évolution de l’expression est permanente et il faut savoir l’accepter. En ce moment je suis très attiré par les univers abstraits et graphiques, qui permettent d’élargir ces recherches.

Je travaille par exemple beaucoup sur le concept d’anamorphose. Je ne prétends pas l’inventer, et j’ai regardé avant de me lancer avec Urb’1 qui en étaient les principaux spécialistes, comme Felice Varini ou Georges Rousse. L’anamorphose impose une contrainte et oblige à toujours revenir à son point de départ, surtout lorsqu’on travaille à l’œil en se guidant par rapport à une croix. Cela crée quelques imperfections qui font son charme. Dans la rue, si je trouve un compteur avec un mur derrière, et quelques petits meubles, je pourrai réaliser une anamorphose à l’aide de ces supports. C’est intéressant car une partie de l’œuvre restera fixe, alors qu’une autre sera éphémère.

Fragment de fresque

Avec ton projet Fragment de fresque, tu tentes de répondre à l’éternelle question opposant travail de rue et exposition en galerie.

Ce n’est pas une idée que j’ai inventée, mais j’ai réussi à conceptualiser ce questionnement qui était dans l’air. Pour mon premier solo show je voulais trouver quelque chose montrant une évolution entre Moyoshi travaillant dans la rue et les animaux que je dessinais sur papier. Cela posait en trame de fond plusieurs questions: Pourquoi le Street art ne devrait être que dans la rue ? Pourquoi certains graffeurs refusent d’aller en galerie ? J’ai lu un texte parlant de mon travail expliquant que j’avais la rue pour atelier. J’ai alors décidé d’utiliser cette phrase au sens littéral du terme, en ajoutant une contrainte à mon travail en extérieur, car j’aime travailler avec des règles lorsque je me les impose.

Comment le fragment va-t-il passer de la rue à la galerie ?

Je peins une fresque avec une toile accrochée au mur par deux clous. Cela m’a permis de constater et d’apprendre qu’à cause du vent sa fixation était déterminante pour ne pas qu’elle s’envole. Une fois la peinture terminée, un des deux photographes qui m’accompagnent prend un cliché de l’ensemble. C’est cette photographie qui sera présentée en galerie à côté du tableau (le fragment), avec des indications sur le lieu, la date, la température la plus chaude et la plus froide (pour que les gens se rendent compte que je suis en extérieur), ainsi que le nom de l’œuvre. Mon grand écart était donc réalisé et j’attendais de connaître la réaction des artistes urbains.

 

Pourquoi la présence de photographes était importante sur ce projet ?

J’essaie de travailler au maximum seul mais il faut savoir reconnaître les compétences de personnes qui ont des aptitudes spécifiques, notamment en photographie, et qui peuvent collaborer avec toi pour mettre en valeur ton projet. Il était crucial pour moi que la personne qui achète un fragment puisse voir d’où il provenait sinon cela n’aurait pas eu de sens. Sans cette information ne subsisterait que le côté esthétique, ce qui est gênant lorsqu’on propose une démarche spécifique.

Fragment de fresque apportait ainsi symboliquement un bout de mur en galerie.

Je trouve que le retour des autres est constructif, il permet de préciser ses idées pour que la thématique de fond ressorte mieux. Sous cet angle, les bons échos que j’ai pu avoir de la part de vandales m’ont plu. Ils avaient bien compris les difficultés que j’avais eu pour peindre en extérieur, même si cela rend plus polyvalent et autonome. Tout street artiste essaie de répondre à cette opposition entre la rue et la galerie, mais la plupart du temps cela ne donne lieu qu’à une reproduction. En concrétisant ce concept j’ai véritablement réussi à apporter l’extérieur à l’intérieur. Le retour d’un ancien m’a particulièrement marqué. Il a souligné le fait que la toile, qui au départ appartenait à un ensemble figuratif, devenait une œuvre abstraite une fois accrochée seule en galerie. C’était une dimension que je n’avais pas perçue auparavant.

Vous pouvez retrouver Moyoshi sur Instagram, Facebook, et son site internet.

Toutes les photographies proviennent du site de Moyoshi.

Entretien enregistré en août 2017. 

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