Aurel Rubbish

aurel Rubbish

L'ombre et la lumière à travers le papier découpé

J’ai toujours aimé la nature et progressivement au cours de mon parcours artistique on voit le végétal prendre le dessus sur l’Homme.”

parcours

Comment es-tu devenu artiste ?

Je ne sais pas si on peut parler d’artiste, mais j’ai toujours aimé dessiner depuis que je suis gamin. J’aurais voulu faire les Beaux-Arts, mais j’avais un autre rêve, celui d’être agent forestier, et je me suis orienté dans cette voie pour finalement ne jamais y travailler. Vers vingt-cinq ans, alors que j’étais au chômage, je me suis remis au pochoir pour les placer dans la rue car la vitesse d’exécution permettait d’y intervenir rapidement. J’appréciais beaucoup le travail de C215, et mes découpes se voulaient déjà assez fines. On en retrouve encore dans certaines rues de Besançon.

Lors d’une exposition à la librairie Camponovo j’avais installé quelques pièces, dont certaines matrices. Un jour, le libraire m’appelle pour me dire qu’un client est intéressé, mais pour la matrice et non pour le pochoir ! En rencontrant ce monsieur, je découvre chez lui des œuvres de tous les artistes que j’aimais à l’époque, ainsi que ma matrice encadrée. Il me dit alors qu’il faut que cette dernière devienne la pièce centrale, voire qu’elle soit collée dans la rue. J’ai ensuite réalisé ma première découpe que j’ai placé à la Jarry à Vincennes, une ancienne usine investit par les artistes. Les rencontres sont importantes, certaines peuvent nous faire changer de vision : grâce à ce collectionneur, j’ai fait évoluer ma façon de travailler pour être un des seuls à utiliser à l’époque le papier découpé :  à l’époque il devait y avoir Swoon et moi. Peu de personnes passaient une centaine d’heures en atelier pour coller ensuite dans la rue. J’ai ensuite rapidement été repéré par des galeries comme le Cabinet d’amateur. C’est là que j’ai compris que je pouvais en faire un métier.

SCULPTER LE PAPIER

Le papier retrouve alors sa dimension de matériau brut comme pour une sculpture.

Le but étant de coller dans la rue, j’utilisais un papier kraft assez fin de soixante-dix grammes, susceptible de résister le plus longtemps possible. Je superposais trois couches pour la découpe, ce qui me permettait de dupliquer l’œuvre en autant d’exemplaires. Cela me permettait de garder une trace de ce fastidieux travail, même si j’ai fini par tout coller au fil du temps. Je pouvais les faire évoluer en mettant des couleurs, les décliner avec de la peinture ou des coulures. Progressivement j’ai monté le grammage du papier jusqu’à cent soixante grammes pour la rue, avec un autre plus épais pour la galerie. Mais plus l’épaisseur est importante, plus la découpe est compliquée, les lames pouvant se casser facilement.

Comment composes-tu tes pièces souvent constituées d’un foisonnement de motifs ?

La composition est pensée en amont, et je réalise une petite étude, mais à chaque œuvre terminée je constate énormément de choses qui ne me conviennent pas, même si le public ne le remarque pas. Au fur et à mesure de la découpe je me retourne un peu pour voir ou j’en suis et, si je peux me laisser emporter sur certains gestes, tout est toujours rattrapable par de légères variations.

Une des conséquences du paper cut est la perte de la reproductibilité offerte par le pochoir. La découpe est dès lors une composante essentielle du travail.

A un moment j’aurais pu scanner les pièces déjà faites pour les découper en machine avant de les coller dans la rue. Cela prend très peu de temps mais j’ai abandonné cette idée car le résultat n’est pas le même. Il y a une dimension artisanale dans la découpe, et l’on ne demande pas à un peintre utilisant de l’huile de travailler sur un IPad. Ce travail manuel comporte une dimension qualitative. Or, la satisfaction procurée par le travail terminé est ce qui me fait avancer, qui me procure une sensation qu’il serait impossible à reproduire autrement.

FOURMILLEMENT DE DETAILS

On perçoit d’abord la pièce dans son ensemble, avant de s’apercevoir de la multiplicité des éléments.

J’avais le livre Le détail : pour une histoire rapprochée de la peinture de Daniel Arasse, et j’ai toujours aimé cet aspect du travail, la possibilité de découvrir une pièce en un instant mais aussi progressivement. Lorsque j’ai commencé à exposer en galerie je me disais qu’une personne achetant une œuvre pourrait encore y trouver des éléments plusieurs années après l’acquisition. J’adore rajouter ces petites choses imperceptibles, même si elles ont pris presque trop de place à une époque, ce fourmillement devenant trop dense.

Pourquoi avoir choisi de travailler presque exclusivement en noir et blanc ?

J’ai toujours aimé le rapport de couleur constitué par le noir et le blanc, même s’il s’agit parfois de bleu nuit, ou de bleu de Delft. A un moment j’ai été tenté de suivre les critiques qui me conseillaient d’utiliser plus de couleurs flashy et des dorures car mes pièces paraissaient trop sombres. En conséquence de quoi on ne reconnaissait plus mon travail. Une critique peut faire prendre des directions autres que celles que tu aurais choisi et influencer grandement un travail. Je m’en veux un peu de m’être laissé tenter par cette voie : aujourd’hui j’assume complètement le choix de ces deux couleurs.

As-tu toujours développé une imagerie baroque ?

J’ai commencé par de simples portraits qui se sont très vite végétalisés. J’ai toujours aimé la nature et progressivement au cours de mon parcours artistique on voit le végétal prendre le dessus sur l’Homme. Il est parti d’à côté du portrait pour le grignoter petit à petit, arrivant sur le visage au point de le rendre méconnaissable. Désormais, mes thèmes sont influencés par les travaux de William Morris et de l’Arts & Crafts : la présence de l’être ne ressort plus que par touches, qu’il s’agisse de dents ou d’yeux.

Existe-t-il une narration au sein de tes pièces ?

Il y en a eu, et j’appréciais beaucoup les symboles, comme la mouche qui est revenue très souvent, représentant la mort, mais aussi la ténacité et l’obstination. Les soldats égyptiens en portaient une sur leur casque pour cette raison, et je crois que ce sont des qualités essentielles pour un artiste. J’ajoute aussi souvent des allégories sur des expériences vécues, sans que le public le sache. C’est ainsi que le motif des dents est devenu récurrent, partant d’une histoire personnelle pour parfois devenir le dernier élément visible au milieu des végétaux. Il s’agit d’une corrélation amusante car ce qu’il reste à la fin de l’Homme c’est le plus souvent ses dents.

L’OMBRE, LA LUMIERE ET LE TEMPS

Tu travailles beaucoup sur l’ombre et la transparence.

L’ombre portée du travail peut parfois abimer la lecture de la pièce : elle est pourtant fascinante, notamment sur les découpes assez larges pour lesquelles elle permet plusieurs niveaux de lecture. Si la découpe est trop fine la perception se retrouve vite brouillée. J’ai réalisé une pièce pour le musée des Beaux-Arts de Besançon : une frise chronologique et archéologique, partant de la Préhistoire jusqu’au Mérovingien. Cette frise dispose d’une triple ombre portée et sa lecture change tout au long de la journée. Le choix de l’encadrement est aussi déterminant dans l’exploitation de l’ombre portée : avant, j’utilisais du double vitrage. Désormais j’emploie un système d’aimants de tailles différentes que je peux placer partout sur la pièce sans la figer. Cela permet au papier de vivre, de gondoler un peu, mais aussi de jouer sur différentes profondeurs.

Le corolaire de cette utilisation de l’ombre est que mes pièces ne sont pas photogéniques : elles sont difficiles à photographier, leur rendu dépendant considérablement de leur emplacement, du cadre et de la lumière. Ainsi, les gens sont souvent marqués en découvrant les œuvres après les avoir vus dans un catalogue, la photo leur ayant fait parfois penser qu’il s’agit de dessin sur verre. Ce non-pouvoir photographique pose problème car lorsqu’on veut être reconnu en tant qu’artiste aujourd’hui il est nécessaire de passer par les réseaux sociaux, or l’image ne rendra pas justice à la découpe. Sur cet aspect, aller coller contre le support dans la rue permet au moins de résoudre ce problème.

Quel est le rapport particulier que ton travail entretient avec le temps ? Le processus de découpe semble en effet antinomique avec le côté spontané du collage.

Ce rapport au temps est le plus souvent inconscient mais reste bien présent. Certaines pièces comportent plusieurs centaines de découpes, souvent plus de mille pour les grandes pièces. Au cours de sa réalisation mon état d’esprit change et l’œuvre se découvre : il y a des moments où j’en ai marre, et d’autres où je la vois apparaître. Auparavant je m’obligeais à ne travailler que sur une découpe à la fois, alors qu’aujourd’hui je peux en commencer plusieurs, chacune avec un niveau de travail distinct. Des logiciels comme Procreate m’ont donné la possibilité de travailler la composition de façon immédiate alors qu’auparavant j’étais obligé de la penser à l’aide de calques. L’emploi de l’écran permet ici de diversifier le travail au sein d’une même journée.

Mais ce rapport au temps s’est aussi exprimé d’une autre façon. Lorsque j’ai commencé en galerie j’ai reçu beaucoup de commandes, lesquelles m’ont éloigné de la rue, d’autant plus que le paper cut était devenu mon métier et qu’il fallait en vivre. Je me suis alors un peu oublié et c’est grâce à Orlinda Lavergne, qui a une galerie à Mulhouse, que je me suis remis à coller, cherchant à retrouver les sensations que je pouvais avoir au début. J’ai également été invité par le festival Points de vue à Bayonne qui m’a redonné envie de créer dans la rue.

créer dans la rue

Pourquoi avoir choisi de créer dans la rue ?

J’avais graffé pendant un temps, mais vite abandonné car je ne me trouvais pas assez bon. J’aurais aimé être vandale mais n’en avais pas l’âme. Ainsi, quand j’ai débuté au pochoir, j’intervenais le plus souvent sur des poubelles, du mobilier urbain inutile, mais je ne me serai jamais permis d’agir sur un des nombreux bâtiments historiques de Besançon. Du moment où j’ai commencé à travailler le papier découpé, je n’ai plus refait de pochoirs, passant radicalement à la découpe. Pourtant, je songeais pendant le confinement que le papier étant blanc avant que je le repeigne en noir, il demeurait toujours en creux un négatif de la pièce.  Je ne voyais plus le papier comme une matrice, sinon comme une œuvre à part entière, pouvant de plus tenir très longtemps dans la rue : les gens viennent la gratter, la déchirant bout à bout, permettant à l’œuvre d’évoluer. A l’époque je faisais beaucoup de portraits qui se désagrégeait, se transformant pour devenir une autre œuvre. Le côté éphémère fait alors partie de sa nature même, ce qui est extrêmement intéressant.

En quoi la rue est-elle un espace de création particulier ?

Je trouve cela magnifique de coller des œuvres dans la rue, d’avoir envie de participer, d’ajouter une petite pierre à l’édifice. Je n’ai pas abordé la rue dans le but de me faire connaître. De plus, si au départ je cherchais des endroits où coller rapidement, marchant beaucoup dans Paris pour repérer des lieux, j’aimerais désormais pouvoir contextualiser davantage mes pièces.

As-tu l’impression de faire partie d’un courant artistique avec l’Art urbain ?

Tout dépend de la technique et du medium utilisés. Les pochoiristes portent une histoire, tout comme les graffeurs, qui font partie d’un courant artistique. Mais mon travail, comme celui de Mademoiselle Maurice qui utilise aussi le papier découpé, me paraît être un peu à part. A une époque je me sentais plus proche du Pop surréalisme ou du Lowbrow, chose que je ne ressens pas avec le Street art. Je ne pense pas non plus qu’il y ait un esprit commun, et mes sujets ne sont pas habituels en Art urbain.

Photographies:  Aurel Rubbish

Vous pouvez retrouver Aurel Rubbish sur Instagram et Facebook.

Entretien enregistré en juin 2020.

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