VLP

VLP

La course folle des pionniers du Graffiti

Ceci est une introduction : saint oma street art.

“Le mur est un fronton de pelote basque. Notre image est proposée à ceux qui la prennent et la renvoient. Certaines personnes nous racontent ce qu’elles ont vu dans nos toiles à la lumière de leur vécu, ce qui est très intéressant car il ne s’agissait pas forcément de notre perception.”

FORMATION D’UN COLLECTIF

Votre rencontre a lieu dans les catacombes, véritable matrice du Paris artistique des années 80.

Nous nous sommes rencontrés lors d’une fête punk dans les catacombes. Nous étions trois à intervenir sur les murs, simplement éclairés à la bougie. Alors que nous avions fraternisé et décidé de nous revoir, Actuel, revue de l’époque consacrée à ce qui était branché, a publié un reportage sur les peintres anonymes parlant de notre travail. Nous sommes alors revenus quelques jours plus tard pour écrire « vive la peinture ». C’était une façon d’apporter de la dérision. A la façon des punks avec la musique, nous voulions fracasser la Peinture, tout en la proclamant. C’est ainsi que ces trois mots sont devenus notre nom, que nous avons abrégé en VLP. C’est une période où l’Art conceptuel tenait le haut du pavé : la Peinture était méprisée, considérée ringarde. Nous voulions pourtant la travailler, tout en tenant compte de Marcel Duchamp. Pour cela nous avions un concept, travailler à plusieurs, avec une signature unique, VLP, qui devenait le peintre.

Chez vous, la culture musicale est très prégnante. Vos performances s’accompagnent toujours d’une bande-son.

Dès le début, en 1983, nous avons en effet peint dans la rue en emportant notre ghettoblaster. Nous avons aussi été invités à peindre au Palace, au Rex Club, à la Locomotive… Lors de ces performances, nous étions accompagnés par des groupes de rock, de rap ou de techno comme Depêche Mode.

Contrairement à d’autres collectifs où les identités restaient distinctes, vous avez préféré une signature commune.

Nous avions l’habitude de dire que nous avions renoncé à l’ego pour créer un logo. Par la pratique, plusieurs choses sont apparues : à la façon de Joseph Beuys, les lièvres de la modernité se levaient. Nous avions suivi des écoles d’art. Il fallait  se débarrasser de cette culture pré-existante pour trouver notre style, simplifier à l’extrême pour atteindre la liberté. Lorsque nous sortions, la surveillance de la police nous obligeait à travailler très rapidement, ce qui a contribué à créer un style au trait proche de la bad painting et des nouveaux fauves. Il fallait signer en vitesse et user d’un acronyme. Un nouveau concept est apparu, faisant de nous des media-peintres. La rue nous a ainsi permis d’aller à l’essentiel. Il s’agissait alors de « peindre à l’air libre ». La rue devenait la plus belle des galeries. Naissance du french graffiti.  

Nous étions comme un groupe de punk-rock. Comme le souligne Picasso, il fallait « casser la guitare » . En poursuivant cette métaphore musicale, on imaginait électrifier nos pinceaux pour proposer une peinture irradiée, ayant pour seul mot d’ordre « do it » : foncer et oser. A cette époque, Jack Lang est à la Culture. D’un seul coup, il y avait de l’argent et des autorisations. Lors de nos performances, si la police survenait, nous prétendions agir pour le Ministère de la Culture et dans le doute on nous laissait faire.

Photographie Benoit Macé
Ce nom, VLP, est une véritable déclaration d’intention.

Lors de notre rencontre nous avons mis les choses à plat. A l’époque, personne n’avait encore peint dans la rue. La peinture conservait une dimension sacrée. Une peinture se devait d’être encadrée et présentée dans une galerie : la placer à l’air libre, l’exposer aux intempéries, était une idée neuve, scandaleuse.

L’autre aspect innovant était le travail de groupe. Pour nous, cela procède d’une réflexion sur la Peinture. Alors que de tout temps elle a été une fenêtre sur le monde, nous avons pensé qu’il y avait là une nouvelle façon de la faire avancer, en travaillant à la périphérie du tableau. Autour des rapports humains qui existent en dehors et deviennent partie intégrante de l’œuvre. La Peinture ne se limite pas au fait d’ouvrir un pot et de prendre ses pinceaux, elle est aussi tout ce qui l’accompagne. Ainsi, le fait pour le spectateur d’aller communiquer avec les artistes fait partie de l’œuvre.

Dès le départ, nous avons aussi écrit des fanzines pour indiquer dans quelle direction nous allions, avec des mots d’ordre semblables à des haïkus. La peinture comme une poésie urbaine. La couleur correspond en effet à des mots, des notes, qui peuvent rimer ou non entre elles. Cela inclut aussi le jeu de mots, la dérision, comme par exemple « VLP peint le bref. » Nous avons rencontré Basquiat à New-York et il nous a avoué faire de même. Cela doit pourtant être distingué des writers et taggueurs que nous ne connaissions pas personnellement à l’époque.

Le collectif peut être une source d’instabilité. Est-ce difficile de perdurer ?

C’est pour cela qu’il est intéressant que VLP soit le peintre. Notre but est d’avancer, non pas de nous asseoir pour regarder passer les trains. On explore, on sait où on ne veut pas aller. Lorsque nous commençons une nouvelle toile, on ne sait pas ce qu’elle sera. Par contre, on sait comment la construire à plusieurs. En nous réunissant, nous discutons d’un titre qui servira de texte. C’est de là que naît la peinture. Dès lors, elle ne sera jamais ratée car nous la poursuivons jusqu’à ce qu’elle nous convienne. Si l’un de nous n’est pas satisfait, alors nous la mettons de côté pour la reprendre plus tard.

COMBATTANTS DE L’ART URBAIN

En réaction à une idée élitiste de la culture, vous écrivez « vouloir vous attaquer aux forteresses de l’art institutionnel. »

Notre envie d’aller créer dans la rue s’y oppose en portant une dimension sociale, politique, écologique, mais également le fait de se réapproprier l’espace urbain pour ne pas le laisser à la publicité. C’est de là que vient notre envie d’encercler Beaubourg. Une de nos fresques s’intitulait « Sovaj dé villes atak fort Beauboug » : l’artiste était pour nous une sorte de sauvage urbain, un indien attaquant le Fort de la Culture. La palissade valait pour nous la plus belle des cimaises. Elle nous offrait une surface énorme que nous n’aurions jamais pu avoir ailleurs. Il ne faut pas oublier que notre travail comporte une dimension intellectuelle, avec beaucoup de références à l’histoire de l’Art et de slogans.  Léonard de Vinci déclarait « la pittura è mentale . Nous, nous voulions que notre travail ait aussi du sens. L’illustration seule n’a pas d’intérêt. Nous voulions faire partie de l’histoire de l’Art, dans la lignée d’artistes que nous aimons comme les Impressionnistes ou les Expressionnistes.

vlp street art
Que représentait alors symboliquement Beaubourg vis-à-vis du monde de l’Art ?

Beaubourg devait être un lieu pour l’Art contemporain, c’est-à-dire en train de se faire. Certaines salles du haut devaient être ainsi consacrées à l’émergence de nouveaux peintres. Très rapidement, c’est devenu un lieu comme les autres où l’on exposait les œuvres d’anciennes générations. Il est difficile pour les musées de proposer des choses nouvelles, car le public se sent parfois perdu lorsqu’il s’y trouve confronté. Cela restait cependant un lieu très intéressant, pour son architecture d’une part, mais aussi pour sa dimension ouverte.

L’évolution de votre travail est aussi beaucoup passée par le regard porté sur l’individu.

La Peinture est le lieu de l’utopie : si l’argent utilisé pour la Défense était versé à la Culture, cela changerait complètement les rapports dans le monde. En l’an 2000, nous avons créé un personnage, Zuman, métaphore de l’être humain. Zuman est un corps social décapité qui rejoint l’indien attaquant Beaubourg. Pour l’obtenir, nous avons demandé aux artistes du monde entier de nous envoyer leur profil via Internet. Nous les avons synthétisés et transformés pour obtenir ce visage, cette tête pixellisée de l’artiste idéal qui, pour paraphraser Malraux, pourrait sauver le XXIe siècle. Ce personnage est aussi le prolongement de « L’Anonyme » que nous avions créé auparavant. Il redonne voix à l’humain en le remettant au centre des débats. Depuis sa création, il nous accompagne sur toile et dans la rue, que l’on colle ou que l’on peigne. VLP a toujours tenu compte de son environnement et des nouvelles technologies.

Au-delà de Zuman, employez-vous des éléments symboliques récurrents ?

Nous avons plusieurs éléments qui reviennent, que nous modifions, ou de nouveaux sujets qui sont intégrés. Après quarante ans, notre besace est pleine de personnages venus de tous les univers, de l’histoire de l’Art à la bande-dessinée. Picasso, Dubuffet, Twombly, Guston, Gasiorowski … on construit à partir de tout cela.

REFLEXIONS SUR LA PEINTURE

Vous poursuivez une réflexion autour d’une peinture vivante, portant énergie et intensité.

VLP devait être un lieu de stimulation et non pas un éteignoir. Nous ne sommes pas toujours d’accord certes, mais notre but est d’arriver à un accord pour avancer. Nous travaillons pour VLP comme des musiciens travaillent pour leur groupe. Sur une palissade, nous peignons parfois trois ou quatre tableaux différents, car c’est euphorisant de travailler dans la rue.

vlp street art
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On en revient à l’idée de performance qui, de la palissade à la toile, témoigne d’une décharge d’énergie.

Couleurs franches, rapidité d’exécution, peinture qui vient des tripes… Il y a une énergie et une passion folles dans le graffiti. Les années 80 sont une grande période de retour à la Peinture, avec les Nouveaux Fauves en Allemagne ou la Trans-avant-garde en Italie. Mais elle revient sous une autre forme, comme le rap en musique. Le Street art apporte de nouvelles images et percepts.

Peu d’artistes urbains mettent la recherche au centre de leur travail,

Mais c’est pourtant ce que doit faire un artiste ! Nous avons créé et mis sur la voie le train du Graffiti. Et aujourd’hui encore, des gens montent dans ce train. De temps en temps, des figures intéressantes arrivent, mais la grande majorité a un travail fait de lieux communs. Or, la création n’a pas pour objet d’être plaisante. Elle doit perturber le regardeur. L’avantage de travailler en groupe, c’est aussi de toujours devoir se remettre en question.

L’ŒUVRE ET LA RUE

En quoi la rue est-elle un espace de création particulier ?

Dans la rue, nous avons le geste qu’il faut, à défaut d’avoir l’œil absolu, parce qu’il faut faire vite. Une intervention dans la rue est comme un concert, elle n’a lieu qu’une fois. Aucune n’est identique. Il y a à la fois une intensité et le fait d’assumer certains gestes alors qu’ils seraient repris en atelier, que l’on trouve souvent intéressant avec le recul. Pour les trente ans de VLP, nous avions organisé une rétrospective en alignant des travaux de toutes les époques : l’ensemble était très cohérent, avec une part de provocation positive. On part ainsi d’une peinture clash, qui dégouline et part dans toutes les directions, pour arriver à une peinture plus construite, mais qui reste forte et signifiante.

Le travail de rue porte un style créatif parfois marqué par l’urgence sociale.

Il est fou de penser qu’il y a plus de vingt ans nous exposions pour la libération de Nelson Mandela, mais que le racisme existe toujours. Le Graffiti a la capacité métaphorique de prendre des positions. Et de faire bouger les choses ? Peut-être. Mais comme toute fin de mouvement, l’Art urbain est en train de devenir décoratif, sans aucune contestation du système. Nous sommes dans l’attente d’une nouvelle vague d’artistes qui bousculent. Un bon élève en Art ne sert à rien.

Dans la rue, la visibilité a tendance à constituer présence.

Quand nous avons commencé, nous étions peu nombreux, donc nous étions vus. Mais aujourd’hui, il existe tant de choses qu’il n’est plus possible de rien voir, car tout s’annule. Pour nous, l’important est aussi l’environnement du collage. En 2005, le profil de Zuman a eu un corps. Il est devenu Zuman Kojito, accompagné d’une bulle qui traduit ses pensées (« Je pense donc je nuis », « Je ne suis pas un ready made »). Nous le plaçons à hauteur d’homme, à un angle de rue, pour que les gens le croisent subitement. Le texte devient alors grain de sable perturbateur.

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L’important devient alors la réflexion partagée.

Le mur est un fronton de pelote basque. Notre image est proposée à ceux qui la prennent et la renvoient. Certaines personnes nous racontent ce qu’elles ont vu dans nos toiles à la lumière de leur vécu, ce qui est très intéressant car il ne s’agissait pas forcément de notre perception. Différentes personnes construisent leur système de pensée en réponse à ces réflexions, se les réappropriant : ce sont ces regardeurs qui créent. Cela permet à une peinture d’avoir plusieurs vies et plusieurs niveaux de lecture. Sans connaissance de l’histoire de l’Art, il est impossible de reconnaître les références.

Quel regard portez-vous sur le caractère éphémère d’une œuvre placée dans la rue ?

Ce qui compte pour nous, c’est le geste. Ensuite l’œuvre vit, qu’elle disparaisse ou non. L’éphémère laisse une trace dans l’esprit des gens. Il renvoie aussi à la dimension gratuite, celle d’un travail offert au public, qui peut choisir de l’accepter ou pas. Il y a aussi des espaces qu’on a occupés plus longtemps que d’autres : la palissade de l’église Saint-Merry nous a ainsi « appartenu » durant plusieurs années. Nous l’avons repeinte souvent et parfois même avec des amis. Aujourd’hui, nous avons à côté du centre Pompidou une fresque appelée « Ceci n’est pas un graffiti », puisque c’est la première pour laquelle nous avons obtenu une autorisation.

REFLEXIONS SUR L’ART URBAIN

Vous parlez beaucoup d’histoire de l’Art. Mais au sein de l’Art urbain, on peut avoir l’impression qu’il existe des micro-époques qui ignorent l’historique des générations précédentes.

C’est dommage mais ce n’est pas très grave. Dans les expositions, nous croisons beaucoup de gens qui ont pu découvrir notre travail, parfois grâce à des livres ou via internet. Nous, nous n’arrêtons pas de lire et de nous intéresser aux autres peintres, toutes époques confondues. Mais dans le milieu artistique comme dans la vie courante, certaines personnes sont curieuses et d’autres regardent leur nombril.

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Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’Art urbain en tant que mouvement artistique ?

Pour nous, il s’agit du dernier mouvement en date, car aucun n’a pris la suite bien qu’il approche des cinquante ans. Il s’est transformé plusieurs fois, se présentant comme un pont entre la Nouvelle Figuration et le Bad painting. En allant dans la rue, nous avons fait franchir un pas à ces démarches. On l’oublie mais à l’époque une certaine presse présentait souvent côte à côte une peinture graffiti et une vitre fracassée. Le garde des Sceaux de nos jours prend encore le graffiti en exemple d’acte de délinquance, comme un fait de société. D’ailleurs, on se souvient du nom des artistes, pas de celui des ministres !

Un autre moment fût la crise traversée par le courant dans les années 90, parallèlement à l’effondrement économique ou à l’extension du SIDA. Ces évènements ont bouleversé beaucoup d’artistes, mais nous avons résisté, formant avec Paella ?, Miss.Tic et Daniel Baugeste le groupe Etant donné. Clin d’œil à Marcel Duchamp. Par ailleurs, nous avions fédéré le mouvement urbain dès 1985, en organisant le premier festival de Graffiti en France à Bondy, le long du canal de l’Ourcq, à travers l’exposition « Les Flamboyants » qui regroupait des personnalités comme Miss.Tic, Blek le rat, Speedy Graphito, Futura 2000, Kriki, Kim Prisu, Epsylon, les Frères Ripoulin…

Etre un artiste, c’est un parcours long et difficile mais ô combien euphorisant. Et vive la peinture !

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Photographies:  VLP

Photographie réseaux sociaux: Benoit Macé

Vous pouvez retrouver les VLP sur Facebook et  Instagram.

Entretien enregistré en octobre 2020.

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