Zariel

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Quand tu regardes l'abîme, l'abîme regarde aussi en toi.

“Lovecraft est un marin tout seul dans son phare ; mais après tout, il y a toujours aujourd’hui des marins seuls dans leur phare.”

continuez !

Le titre de ta dernière exposition Continuez ! semble être une injonction adressée aux personnages abattus que tu représentes.

C’est en référence au Titre d’un livre de Jérôme Gontier, Continuez. C’est un recueil de pensées qu’il peut avoir tout au long de la journée en allant voir son psy deux fois par semaine. Il y raconte les plus petits faits. Si le titre de mon expo est lui à l’impératif, ce mot est moins un ordre qu’une ouverture sur la discussion.

 

Ces personnages évoquent une humanité passive et nue, évoquant parfois le travail de Philippe Hérard. Représentes-tu toujours les humains de cette façon ? 

Il y a plusieurs facettes de mon travail, mais cet aspect contemporain concerne plus ma vision du monde. Il faut arrêter de faire croire que la vie est belle et que tout va bien. J’essaie de retranscrire cette sensation dans mes dessins. Philippe Hérard a une vision très poétique de la vie, alors que la mienne est un peu hardcore. Par exemple, je me complais à Paris lorsqu’il fait gris et qu’il pleut. Chez Hérard il y a de la couleur et des questionnements. Dans mon travail il n’y a plus de questions, mais uniquement des faits.

Zariel & Philippe Hérard
Il y a pourtant quelques échappées de couleur.

Cette exposition représente 20 minutes d’une vie, du coucher à l’arrivée au travail. Le personnage se lève, tout est terne et sale, puis il commence à se sentir pousser des ailes, à rêver, à penser par lui-même. Alors qu’il se libère enfin il arrive au travail, et retombe en dépression. Ces notes de couleur sont là pour lui dire de continuer, mais elles ne restent qu’en idées.

raconter une histoire

Est-ce que chaque image raconte une histoire, ou crées-tu toujours des liaisons entre elles ?

Je ne m’enferme pas dans une idée préconçue pour ne pas toujours reproduire la même chose. Avec Continuez ! je voulais une narration qui s’inscrive dans la longueur, qui prenne de la place, voire même qui sorte du cadre pour résonner chez le spectateur. Je ne voulais pas que ce soit une histoire parmi d’autres. Je crois que l’ensemble du travail d’un artiste ne raconte qu’une seule histoire, qu’un seul questionnement, qu’une seule direction. C’est l’incarnation d’une personnalité.

D’où vient cette dimension narrative ?

La bande dessinée a eu une grande influence sur moi, cette narration vient sûrement de là. J’ai aussi eu un professeur d’histoire de l’Art qui m’a appris qu’un travail figuratif racontait toujours quelque chose. Et moi-même, sans que je sache forcément pourquoi, quand je dessine ou crée un personnage j’ai le besoin de me raconter une histoire. J’ai ainsi beaucoup de scénarios de bandes dessinées sur lesquels je n’ai jamais travaillé.

Quelque part l’écriture occupe donc une place très importante dans ton dessin.

Quand je dessine un personnage, mon singe par exemple, je lui attribue des artefacts, comme un casque d’astronaute « d’un futur vu des années 70 », et en le dessinant, je me dis qu’il pourrait voyager dans le temps. Lorsque le dessin est achevé, j’ai donc un personnage qui existe physiquement, mais pour lequel j’ai aussi développé une histoire et une chronologie. Je sais quand il est né, ce qu’il a vécu, pourquoi il est intelligent et comment il se retrouve dans l’espace. Après l’histoire est bonne ou pas, mais elle existe.

Quand je croise les gens dans la rue, je leur invente des vies : tel est psy, tel autre n’a pas eu une bonne journée. J’ai envie de le partager, et c’est pour ça que j’ai continué à dessiner, à écrire des histoires. Lorsqu’on travaille sur une bande dessinée ce n’est pas pour le garder pour soi. Mon premier personnage s’appelait Bidael, un petit angelot, avant qu’apparaisse Inkman, un mutant qui avait des tentacules sur la gueule et une vie de merde.

As-tu des éléments récurrents dans tes dessins ?

J’ai tendance à mettre des pansements et des bandages partout sur mes personnages. Celui de Continuez ! à une cicatrice sur le nez. Ce n’est pas forcément pour symboliser une souffrance, plutôt pour créer un vécu, une histoire qu’il pourrait raconter aux autres. Tout le monde a une anecdote. J’avais fait une affiche pour un festival, un gamin qui jouait de la guitare, recouvert de pansements. Même si ça n’a aucun rapport avec le sujet, je trouve que ça apporte une densité aux personnages, leur évitant de paraître trop lisses. Bien que mon super-héros préféré soit Superman, je n’aime pas les héros qui vont trop bien.

construire une image

Comment construis-tu une image ?

J’ai plusieurs façons de travailler : soit j’agis de façon très spontanée, et je dessine directement à l’encre sur du papier sans réfléchir. Mais je peux aussi réfléchir longuement en amont à ce que je souhaite communiquer et je fais tout pour que ça fonctionne, que ce soit en numérique ou sur papier.

Dans Continuez ! on notait cependant un fort contraste entre des parties très dessinées au niveau des personnages et des aplats de couleurs plus abstraits en fond.

Cela joue sur la dualité du rêve et du réel. Quand on rêve c’est concret, très formel, on s’en souvient le matin, ayant l’impression d’avoir vécu quelque chose. Je trouve la réalité beaucoup plus abstraite que le rêve, car on n’y décide rien, on subit ce qui nous arrive, et lorsqu’on désire quelque chose on sacrifie énormément pour espérer l’avoir. Comment savoir ce que l’on aime vraiment, entre ce qui nous a été inculqué et les désirs dont nous gavent les publicités ? Nos propres sentiments sont ainsi très abstraits.

Dans un rêve notre inconscient s’interfère, mais nos craintes et nos désirs nous appartiennent. Nous avons soit le choix de les fuir, soit de les garder, là où nous ne maitriserions rien dans la réalité. Si je commande une salade, je me fais l’idée d’un plat, et au final je n’obtiens pas ce que j’ai commandé. Pareil quand je prépare une exposition, il y a une grande différence entre mon idée de départ et ce que je fournis.

Lovecraft et l’abîme

Lovecraft a une influence importante sur ton travail.

Chez Lovecraft, tout vient de l’extra-terrestre, du passé et du futur. Ou que tu cherches, tu reviens toujours sur des Déités inconcevable, sur une possible invasion venue d’ailleurs, il y a des éons. C’est pour cette raison là que cet auteur est génial : il est impossible de confirmer ou d’infirmer scientifiquement ce qu’il dit, et son écriture est si fantastique qu’après tout cela pourrait bien être possible. Lovecraft est intemporel : ses textes contiennent certes des références, et ses accents racistes témoignent du fait que ce n’est pas un écrivain actuel, mais il ne fait aucune description et sa narration linéaire et non contemplative ne permet pas de s’identifier à une époque. On s’identifie à une atmosphère : Lovecraft est un marin tout seul dans son phare ; mais après tout, il y a toujours aujourd’hui des marins seuls dans leur phare.

Pour ton exposition précédente, tu cites aussi Nietzsche « Si tu plonges longtemps ton regard dans l’abîme, l’abîme te regarde aussi. »

C’est une idée qui reste enfoui en moi depuis que je suis gamin. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas chez chacun. Rien que le concept de la mort fait chier tout le monde. Mais on l’oublie, on le met de côté, faisant semblant de ne pas savoir que notre mère peut mourir à n’importe quel moment. C’est une fatalité que décrit Nietzsche : si tu regardes ta peur en face, tu t’aperçois quelle est en toi. Il faut juste le savoir. C’est une idée du miroir, quand tu vois l’abîme tu réalises sa présence, mais pourtant il a toujours été là.

Par exemple, Il y a dans le monde du travail beaucoup de gens qui ne se rendent pas compte de la façon dont ils parlent, de la façon dont ils se comportent avec les autres. Ils n’envisagent pas les répercussions que cela peut avoir. La seule personne qui s’en rend compte est celle qui est soumise. Et elle, elle voit l’abîme. Pour cette expo « #INTOTHEDEEP » j’ai essayé de représenter ça. La définition de l’intelligence est de faire des liens entre les choses, de rassembler des idées. Si tu crées une liaison entre les gens, n’est-ce pas une forme d’intelligence sociale ? Si tu regroupes des idées qui n’ont rien à voir entre elles par un fait, est-ce une forme d’intelligence ou de la folie ? C’est un questionnement auquel je n’ai pas de réponse.

Les Super-Héros peuvent-ils eux aussi voir l’abîme ?

Dans l’univers DC Comics les personnages sont tous tarés, même Superman qui est obnubilé par sa vertu et son envie du juste à tout prix. Dans une version alternative qui s’appelle Red Son il ne tombe pas dans le Kensas mais en U.R.S.S. Grandissant en pays communiste il devient le fils rouge de la nation, avec une faucille et un marteau sur son costume.

Avec New 52 DC Comics a osé faire une refonte de tout son univers pour le rendre plus sombre, avec des personnages encore plus écartelés qu’auparavant. Ce sont des dieux vivants, avec des problématiques extrêmement fortes. Flash lutte contre la volonté de retourner dans le passé pour sauver sa mère alors qu’il sait qu’il ne le doit pas ; Superman est si puissant qu’il ne peut plus agir et ne fait que se poser des questions. Ces super-héros sont comme nous, à une échelle divine ; c’est pour ça que j’ai toujours préféré les dieux antiques aux religions actuelles.

Zariel & Codex urbanus

Le seul Super-Héros que je pourrais dessiner serait un être incompréhensible, comme le Dr Manhattan dans Watchmen. Il peut tout faire mais personne ne le comprend, et part vivre sur Mars en laissant les gens s’entre-tuer car ce sont eux qui l’ont voulu.

Pour l’anecdote c’est DC Comics qui a édité Watchmen à la suite du rachat de Charlton comics. Les protagonistes devaient être des personnages que l’on connaît aujourd’hui, Mais Alan Moore a décidé de créer des personnages inédits. Néanmoins, on retrouve une trace de ces héros dans les personnages de DC Comics : Dr Manhattan est adapté de Captain Atom, Le Hibou de Blue Beetle, Rorschach de The Question …

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Photographies: Zariel

Entretien enregistré en mars 2019.

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