Dawal

DAWAL

Complainte dystopique du progrès

Ceci est une introduction : saint oma street art.

“Je trouve que les métiers d’aujourd’hui ont une distance assez phénoménale avec le concret, nous sommes tous derrière un bureau. Les messages que je passe essaient de dire quelque chose par rapport à cette surabondance de confort et de choix. Je critique notamment l’utilisation de la technologie à des fins de confort trop poussées : je pense qu’il existe des problèmes plus graves à résoudre à l’échelle mondiale en priorité.”

PARCOURS

Comment es-tu devenu artiste ? Quand as-tu commencé dans la rue ?

J’ai beaucoup dessiné avec ma mère lorsque j’étais petit. Je m’en suis un peu éloigné durant mes études supérieures, jusqu’à ce qu’un soir un pote achète des bombes de peinture. Aller peindre dans la rue a été une claque, on se sentait puissant. Après y être allé une deuxième puis une troisième fois, l’adrénaline est devenue une sorte de drogue, car agir de nuit était addictif. Lorsqu’ensuite on recroise ses peintures en plein jour et qu’on commence à repérer le travail des autres, la machine est lancée.  Même si ce côté un peu artiste avait toujours été présent, je me suis ainsi remis à fond au dessin à vingt-deux ans, car le fait d’avoir découvert la bombe a nourri mon travail sur papier et réciproquement, les deux se complétant. Le deuxième point de bascule a été d’habiter à Athènes, à Montréal et à Marseille. Ces villes ont une culture folle du Graffiti et de l’Art de rue. Athènes a été une claque monumentale dans le rapport décomplexé des gens à cela : dans le quartier anarchiste on peut peindre à n’importe quelle heure sans être stigmatisé par le fait de tenir une bombe dans la main et j’y allais toutes les nuits avec un pote. Si l’on rajoute à cela les murals de Montréal, ces villes m’ont non seulement concrétisé en tant qu’artiste, mais également donné envie d’y croire.

OCCUPER L’ESPACE

Ton utilisation de l’espace passe souvent par la saturation du cadre. Est-ce une chose que tu recherches systématiquement ?

J’ai toujours été fasciné par la complexité. J’adore quand on peut se perdre dans le dessin, se noyer dans les traits de quelqu’un. En dessinant, je me laisse complétement aller, partant dans mes pensées : il y a alors des choses qui me viennent à l’esprit et s’empilent les unes sur les autres. Pour moi c’est une forme d’exutoire : mon but est de m’évader à travers l’œuvre, de faire s’évader aussi celui qui la regarde. Ainsi, ce passage par l’accumulation fait depuis longtemps partie de mon travail. J’essaie cependant de ne pas faire que cela car c’est parfois un peu lourd, mais de l’améliorer au fur et à mesure, en ajoutant de plus en plus de perspective dans mes dessins.

Quelle part occupent respectivement l’improvisation et la composition préalable ?

Parfois, se prendre trop la tête sur la composition finit par tuer l’inspiration. Les deux cohabitent et je fonctionne pour certaines œuvres par intuition, dans une improvisation portée par quelque chose de névralgique. Mais cela m’arrive aussi de réfléchir en amont pour démarrer avec une idée ou un concept en tête. Je suis constamment à la recherche de nouvelles idées, tout en cherchant à ne pas me travestir. C’est une chose difficile pour un artiste d’explorer de nouvelles voies sans devenir quelqu’un d’autre. C’est bien quand il y a une ligne directrice, qu’on peut reconnaître un peu le trait.

Tu sembles également jouer avec la notion de perspective, la brouillant consciemment.

J’aime que le cerveau parvienne à voir la ligne d’horizon, mais je peux casser un peu cette perspective pour ne pas obtenir un dessin technique qui serait parfait. C’est intéressant d’obtenir un résultat un peu bancal, qui garde son charme. J’ai fait beaucoup de création en 3D sur ordinateur ce qui a peut-être influencé mon travail d’une manière ou d’une autre.

Ton dessin est marqué par la présence d’un grain que tu parviens à reproduire indépendamment du medium.

Je trouve qu’un dessin avec de la texture impressionne tout de suite davantage. Il y a eu un long chemin de recherche et d’essais pour obtenir ce grain. J’ai beaucoup travaillé sur Photoshop et j’adorais les textures de demi-ton et les brushes qui donnent du grain : j’ai très vite essayé d’intégrer ces effets à mon travail sur papier et sur les murs. A un moment, j’ai compris que les petits points apportaient cette texture très facilement et joliment. J’ai alors automatiquement essayé de le reproduire à la bombe et la maîtrise du « crachotis » m’a ouvert la voie pour reproduire cet effet sur les murs, en dépit des imperfections. On me dit souvent que mes dessins de rue ressemblent à des illustrations, notamment à cause de cette utilisation particulière de l’outil. Mais le résultat ne sera jamais identique entre un dessin au rendu propre et un trait à la bombe qui est bien plus brut.

La particularité est alors d’utiliser la bombe comme un medium lent. N’y-a-t-il pas un décalage entre cette dimension graphique et la nécessité d’aller vite sur les murs ?

Je suis plutôt content de parvenir à peindre à la bombe dans la rue, car l’utilisation que j’en fais prend du temps alors que cela reste un outil très stigmatisé. Face à une bombe on ne pense pas street artiste mais vandale. J’essaie de trouver des supports qui en pleine journée me permettent de prendre mon temps sans pour autant prendre trop de risques vis à vis de la loi. Le collage m’intéresse aussi, parce qu’on peut en placer partout en très peu de temps, mais il n’y a plus de processus créatif une fois en extérieur et l’action même devient plus machinale.

LA COMPLAINTE DU PROGRES

Tu expliques que les personnages forment la base de ton travail. Ils possèdent souvent une dimension organique à tes œuvres, qui rend fluide le jeu entre ce qui est vivant et ce qui ne l’est pas.

La figuration, à travers les personnages et les caractères, a été à l’origine de mon travail. Le personnage, notamment à travers le visage, est pour moi la meilleure manière de retranscrire une émotion. Il y a aussi parfois des autoportraits cachés. L’organique est quelque chose qui me fascine esthétiquement et visuellement, c’est pour cela qu’on le retrouve souvent dans mes dessins. J’essaie de mélanger cette dimension à l’urbain, à la technologie et aux objets, de relier ainsi l’Homme à ce qu’il crée. C’est une source d’inspiration incroyable.

Ton travail présente une vision du future sombre où l’être humain se noie dans la société de consommation, sorte de Complainte du progrès dystopique.

Mes dessins contiennent souvent plein de petits éléments symboliques au milieu de leur accumulation, qui font référence à la société de consommation et à la technologie. J’essaie parfois de dénoncer les dérives de notre système et je pense que mes études supérieures scientifiques, qui m’ont donné le sentiment d’être formaté, ont joué en cela un rôle. Je trouve que les métiers d’aujourd’hui ont une distance assez phénoménale avec le concret, nous sommes tous derrière un bureau. Les messages que je passe essaient de dire quelque chose par rapport à cette surabondance de confort et de choix. Je critique notamment l’utilisation de la technologie à des fins de confort trop poussées : je pense qu’il existe des problèmes plus graves à résoudre à l’échelle mondiale en priorité. On crée des gadgets qui détruisent la planète afin d’éviter au consommateur d’avoir à faire un petit effort en plus, cela en devient ridicule. Je suis assez admiratif de la technologie mais elle va parfois trop loin, peut-être à cause de notre système économique. J’en viens ainsi parfois à dessiner des personnes qui n’ont plus besoin de marcher car un robot les transporte. J’explore beaucoup en ce moment le rapport entre l’Homme et la machine, la biomécanique, c’est pour cela qu’on retrouve de temps en temps des cyborgs dans mon travail.

SUR L’ART URBAIN

En quoi la rue est-elle un espace de création particulier ?

Si je suis dans la rue, c’est un peu parce que je suis tombé dans l’addiction de la peinture murale : l’adrénaline, mais aussi le plaisir de peindre un après-midi ensoleillé avec des copains, de discuter avec les badauds intrigués. Laisser une empreinte de notre passage, montrer son travail aux autres, sans forcément avoir de contact direct. Je n’aimais pas trop l’idée de penser que ce que je dessinais allait pourrir dans ma chambre jusqu’à la fin des temps. Permettre aux gens de te rencontrer à travers tes pièces sans savoir qui tu es est une chose recherchée par une bonne partie des street artistes. Cela donne le sentiment d’exister tout en passant des messages, en partageant des œuvres. Peut-être que certains ne se l’avoue pas, mais l’Art permet aussi de se sentir unique.

Quel regard as-tu sur le caractère éphémère de l’Art urbain ?

On n’a pas trop le choix, c’est vrai que cela peut donner une valeur poétique à certaines œuvres. Les gens essaient de les capturer parce qu’ils savent qu’elles vont disparaitre : cela leur donne de la valeur. Néanmoins, si certains l’adorent, le côté éphémère n’est pas forcément ce que je recherche : cela ne me dérange pas et fait partie du jeu, mais il est pénible de voir sa pièce recouverte deux jours après. C’est d’ailleurs assez marrant de voir cette guerre entre artistes et autorités locales. Dès que j’ai commencé à peindre dans la rue, je me suis rendu compte que cela disparaissait. Mais le passage du temps fera de toute façon tout disparaître. J’essaie d’être plus malin pour contourner cette limite, notamment à travers le choix du medium et du spot, car je recherche quand même la pérennité.

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Photographies:  Dawal

Vous pouvez retrouver Dawal sur Facebook,  Instagram.

Entretien enregistré en mai 2021.

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