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Jouer avec le monde pour le donner à voir
“Je parle toujours d’intervention urbaine pour définir mon travail. Pour moi, il faut qu’il y ait un élément urbain, un morceau de rue sur lequel s’appuyer : elle est essentielle à mon travail et à ma vision du Street art.”
parcours
Comment es-tu devenu artiste ?
Je n’ai pas suivi d’études artistiques, mais administratives. Vers vingt-cinq ans, en allant travailler, j’avais le sentiment d’être dans un univers kafkaïen, ce qui m’a peut-être poussé à trouver de l’inspiration à côté. Je ne connaissais pas le Street art et ses codes, mais en passant devant une bouche à incendie ouverte j’ai pensé lui rajouter deux yeux et une bouche pour en faire quelque chose de plus humain et rigolo. J’ai fini par le faire avec du scotch double-face pour qu’elle reste accessible. De fait, tout a vraiment commencé en me baladant, recherchant un élément urbain après l’autre, avant de découvrir le travail préexistant d’autres artistes. J’ai donc poursuivi mes détournements de façon artisanale, et progressivement mon travail a été relayé de façon plus importante. Ainsi les débuts de mon parcours artistique vont de pair avec mes débuts dans la rue.
révéler le monde
En quoi la rue est pour toi un espace de création particulier ?
Je parle toujours d’intervention urbaine pour définir mon travail. Pour moi, il faut qu’il y ait un élément urbain, un morceau de rue sur lequel s’appuyer : elle est essentielle à mon travail et à ma vision du Street art. Face à un grand mur blanc je chercherai un trou ou une autre particularité pour m’en servir comme point de départ. Je voulais notamment dès le début créer des choses au sol : en effet peu de gens détournaient les passages piétons. Mais, s’il peut y avoir une tolérance pour les murs, il est plus difficile de s’attaquer au sol ou à la signalétique.
Quelle est l’importance de cette dimension contextuelle dans le Street art ?
Pour moi le contexte est l’essence même du Street art. Beaucoup de gens disent qu’il ne faut pas aller en galerie : ce n’est pas ce que je pense, cependant on ne saurait qualifier ces travaux d’Art urbain. Il s’agit d’Art, et je ne vois pas pourquoi un street artiste ne pourrait pas en faire, mais pour moi le Street art est une chose qui ne peut être faite ailleurs que dans la rue. Ma définition de l’intervention urbaine – qui en serait une sous-catégorie – est liée à la rue et aux éléments urbains. Il faut qu’il y ait un contexte, comme un trottoir à détourner. Pour trouver une œuvre je dois beaucoup marcher : on peut passer cent fois devant un élément sans qu’il ne se passe rien avant d’avoir un jour un déclic.
C’est donc un travail qui se fait presque davantage avec que dans la rue.
J’ai deux façons de procéder : soit je trouve un élément lors d’une balade qui appelle directement une intervention, comme Snoopy avec l’ombre du lampadaire faisant penser à une niche : dans ce cas-là l’œuvre est très vite préparée et il faut simplement prendre des mesures. Soit je déniche un endroit spécifique mais sans avoir d’inspiration sur le moment : je prends alors une photographie que je garde dans des albums remplis d’éléments urbains particuliers avec l’adresse. Je les reparcours de temps en temps et j’aurais un jour un déclic. C’est un peu comme se forcer à regarder des nuages pour en trouver la forme. A l’inverse, au moment de préparer un festival, toute la recherche doit se faire en amont. Or, il est parfois difficile de préparer un croquis susceptible de s’adapter à plusieurs endroits. Je demande donc souvent aux organisateurs de me donner les adresses pour que je puisse regarder et découvrir le lieu sur Street View, ou de m’envoyer des centaines de photographies des quelques rues adjacentes au lieu d’intervention. Je passe alors les semaines précédentes à regarder ces images pour trouver l’inspiration. Mais il est aussi possible d’envisager des interventions sur passages piéton, plus simples à organiser et plus classiques en festivals.
On a presque l’impression que tu entretiens un rapport physique à la rue.
Pour moi la rue c’est avant tout marcher chaque jour une heure dans des espaces que je connais ou non, guettant l’apparition de nouveaux éléments. Elle est nécessaire pour trouver l’idée qui sera préparée ensuite en atelier. En outre, l’espace urbain évolue : la rue de sept heures n’est pas celle de dix-neuf heures, les ombres varient. Il peut aussi s’agir de la transformation des feuilles d’un arbre et la période peut changer la donne. Je travaille une série sur les saisons avec de la vigne vierge, agissant toujours au même endroit sur douze mois, mais il y aura parfois des fruits, d’autres fois des feuilles qui tombent… La même rue offre une multitude de profils différents au cours d’une année, procurant autant d’idées potentielles. C’est pour cela qu’en marchant je me force à chercher des lieux et des moments, pas forcément de nouvelles rues. J’ai dû passer durant sept ans devant ce qui allait devenir la niche de Snoopy, avant qu’un soir en rentrant au bon moment l’idée apparaisse.
Tout ton travail consiste à révéler, à (re)donner à voir.
Cela permet aux gens de réaliser que même un mur avec un trou peut être perçu différemment, que toutes les villes ne sont pas forcément grises, qu’un plot peut se transformer. Il m’arrive de faire des ateliers dans des écoles, et je considère avoir réussi lorsque les parents viennent me dire que désormais toute la famille voit apparaître des visages ou des sourires dans la rue. De temps en temps certains franchissent le cap et vont prendre une craie pour rajouter eux aussi une bouche ou des yeux. On réalise ici que finalement c’est un domaine accessible à tous.
La prééminence de l'idée
Pourrais-tu revenir sur l’importance de l’idée dans ton travail ?
L’idée est centrale. En effet, les passants vont réagir en trouvant l’œuvre originale, en se disant qu’ils n’avaient jamais vu tel endroit sous cet angle. Comme je n’ai pas de formation artistique j’ai moins de maîtrise technique, mais je réfléchis toujours à la façon dont un objet rond et cassé peut être détourné pour permettre de voir le monde différemment. La simplicité est également primordiale : si un passage piéton devient trop complexe, on perd alors en lisibilité, or il vaut mieux que la pièce puisse se comprendre d’un coup. J’essaie de faire en sorte que l’élément d’origine reste plus important que mon ajout car sinon on risque de ne plus pouvoir le repérer et le but est de comprendre qu’il a été transformé.
Le choix du medium et de l’univers sont-ils soumis à l’idée ?
Au début j’utilisais surtout le collage, qui est une technique plus rapide à poser illégalement et que l’on peut préparer chez soi. Désormais qu’il est plus facile de travailler de façon officielle, autant faire du pochoir car j’ai plus de temps pour le réaliser et il tiendra plus longtemps. Les autorisations sont même nécessaires à certains endroits, notamment pour travailler sur des passages piétons car il faut alors bloquer la route. Cela peut être aussi une question de forme : à cause des rebords ou du volume d’une pièce le collage peut être difficile à poser. De plus, cela n’a pas de sens de coller au sol. Ainsi le lieu va également déterminer le matériel utilisé. L’expérience entre également en jeu : en commençant je me levais à deux heures du matin et me dépêchais, mais aujourd’hui je me rends compte que le meilleur moment est en pleine journée. Dan Witz explique qu’il suffit de mettre un gilet de placer des cônes pour que les gens pensent que l’on a l’autorisation.
Comment t’assures-tu d’avoir une idée originale ?
Le domaine de l’intervention urbaine est assez particulier, car en travaillant sur la signalétique il est difficile de savoir si personne n’a déjà eu la même idée : si certains se posent moins de questions j’essaie de vérifier sur Google si un autre a travaillé le même sujet avant moi. Mais la répétition de mon propre travail est aussi critiquée : lorsque je fais une série de trois personnages on me reproche de les avoir déjà réalisés auparavant. Avec l’intervention urbaine on a parfois l’impression qu’il est nécessaire d’être en perpétuelle évolution.
Arrive-t-il que tes idées te dépassent ?
De temps en temps on peut se dire qu’on était le premier à avoir eu une idée, mais il est presque aussi valorisant de voir une pièce nous dépasser. Il arrive aussi qu’un autre ait réalisé la même œuvre avant, ce qui calme l’ego. J’avais réalisé le panneau stop avec un ours blanc cinq jours avant la première marche pour l’environnement. J’ai reçu du monde entier des images de personnes ayant réalisé leur propre version. En une journée il ne m’appartenait presque plus, vu tant de fois qu’il aurait été difficile de dire qui en était à l’origine. Cet ours pour la planète s’est propagé comme idée. Or, l’ADAGP ne protégeant cela peut être assez difficile d’intervenir à certains moments, notamment lorsqu’une entreprise décide de reprendre notre ours pour en faire un T-shirt. Ne pouvoir être propriétaire d’une idée est parfois une limite. D’un autre côté je suis aussi le premier à réutiliser des personnages ou motifs existants, comme les Simpson ou Star Wars : je considère alors que ces personnages sont suffisamment connus pour qu’il paraisse évident que je ne les revendique pas. On m’avait demandé pour les trente ans des Simpson une autorisation afin d’exploiter une de mes photographies. Dans un sens la boucle était bouclée.
un travail fragile et discret
Renoncer à l’identification immédiate est un choix radical par rapport à la majorité des artistes urbains dont la signature visuelle est facilement identifiable.
C’est à la fois une liberté et une contrainte. Je peux faire véritablement ce dont j’ai envie : pochoirs, personnages connus, collages… Mais cela s’avère parfois difficile de ne pas avoir de signature visuelle immédiatement reconnaissable, qui est pour moi l’élément transformé. De plus, j’oublie très souvent de signer ce qui n’aide en rien ! Quand je publie une image, les gens vont me reconnaître par le détournement, il arrive donc que je sois identifié sur des œuvres qui ne sont pas les miennes : dans ce cas je me dis qu’ils ont compris la façon que j’avais d’aborder mon travail.
Ton travail se veut avant tout amusant et accessible.
Cela nous permet d’évoquer la place de l’humour dans le Street art, qui n’est pas le ton le plus employé. Dès lors qu’on parle d’humour on a l’impression de perdre en crédibilité. Pourtant, arriver à faire rire et sourire est essentiel dans ce domaine : pouvoir le faire comme Matt_tieu n’est pas fréquent. Si je peux de temps en temps avoir un message sur l’écologie tant mieux, mais mon but premier est vraiment de me balader et prendre du plaisir en créant. Il faut qu’il y ait des artistes pour tout : c’est très important que certains dénoncent, mais c’est aussi essentiel que d’autres aient un travail plus léger. Pendant le confinement j’étais content de ne pas faire une seule œuvre en lien avec le coronavirus, déjà présent en permanence dans les esprits. La pandémie a notamment donné lieu à des détournements assez faciles, comme mettre un masque à la Joconde.
Cherches-tu à employer des références qui font appel à notre mémoire collective ?
Ce n’est pas forcément toujours le cas, je fais parfois des références à un épisode des Simpson tellement précis que seules quelques personnes sauront de quoi il s’agit. Ainsi, j’utilise mes propres références, connues ou non, sans me demander si tel personnage touchera plus ou moins de monde. Cela n’aurait pas forcément de sens alors qu’il s’agit de s’adapter à un élément urbain. Lorsque j’ai travaillé sur Assurancetourix je cherchais un personnage bâillonné et il s’est imposé de lui-même. A Nantes il y avait des plots avec des cônes en formes de chapeaux melon : pour moi ils ne pouvaient aboutir que sur Charlot, la série Chapeau melon et bottes de cuir ou Orange mécanique. Peut-être que seuls 10% des gens auront la référence donc je ne réfléchis pas à ce qui pourra les toucher.
l'intervention urbaine face au muralisme
Quel est ton regard sur l’illégalité ?
Je dis toujours que moins l’on demande l’autorisation plus on l’obtient. Lors d’une carte blanche il y a toujours des contraintes qui s’ajoutent : à chaque croquis réalisé un croquis supplémentaire est demandé. L’illégalité n’est pas pour moi une nécessité, mais lorsqu’on est seul dans la rue on dessine dès qu’on en a envie, alors que s’il faut une autorisation cela peut devenir plus compliqué. J’ai l’impression que le Street art passe désormais beaucoup par des commandes publiques, des murals. Mais du coup qui choisir et pourquoi ? Je n’ai jamais participé à un concours, car je n’aime pas trop le principe qui consiste à choisir un meilleur artiste. Je fais de petites choses et n’ai pas besoin de murs gigantesques pour m’exprimer.
Avec le muralisme on perd l’idée d’un art accessible à tous.
N’importe qui peut se lever un matin et décider de peindre dans la rue. Mais il est impossible de réaliser un immense mur sans avoir jamais rien fait avant. J’aime le fait qu’un travail soit à la hauteur des passants, qui vont pouvoir le trouver. Bien sûr son espérance de vie est beaucoup plus courte : 99% de mes interventions n’existent plus, mais c’est la vie de la rue, même si je ne suis pas partisan du toyage car il y a toujours de la place à côté. Je ne m’en offusque pas mais de moi-même je n’ai jamais repassé quelqu’un. Ce caractère éphémère force à se réinventer et à continuer de travailler, car pour être présent dans la rue il faudra continuer à créer. Enfin, et pour reprendre une phrase de Jaune, je travaille le petit car si l’on peut adorer un chat, un chaton est bien plus mignon.
Ton travail comporte une dimension poétique liée à sa fragilité.
Il arrive que la notion même du temps intervienne : pour Snoopy et sa niche, lorsqu’on passe devant durant la journée on ne voit qu’un chien suspendu dans les airs. En fonction du lieu ou de la météo on ne pourra découvrir l’œuvre qu’à certains moments. J’avais représenté au sol un personnage de Xmen dont un rayon de soleil jaillissait des yeux : cette pièce ne fonctionne qu’une minute par jour. J’aime cette idée de devoir être présent au bon moment au bon endroit. Ainsi, la quasi-totalité des passants ne verront pas cette pièce : c’est un peu pour moi comme les œuvres de friches, peintes pour une poignée de personnes qui feront l’effort ou auront la chance d’être là. C’est une sorte de Graal, une toute petite chose qui nous rend privilégié car personne d’autre ne l’a découvert. Cela rend parfois encore plus heureux que si l’œuvre avait été vue par un grand nombre de personnes. C’est un peu le leitmotiv d’Invader : d’un point de vue esthétique il s’agit simplement de pixels issus d’un jeu vidéo, l’enjeu véritable est la recherche. L’œuvre réelle, c’est l’invasion elle-même.
rapport à la rue
As-tu l’impression de faire partie d’un courant artistique avec les interventions urbaines ?
C’est un courant artistique, même si les différences sont grandes entre mon travail, celui d’un muraliste ou un autre présenté en galerie. Si on parle d’étiquette pour le Street art, c’est peut-être parce que les gens ont la même façon d’appréhender ces travaux, qu’ils les perçoivent en tant qu’ensemble. Si pour eux il y a courant auquel des artistes appartiennent, c’est qu’il existe. Mais selon moi on devrait davantage parler d’Art que d’avoir des querelles entre Street art et Graffiti, entre les pionniers vandales et le mercantilisme des galeries. Les anciens graffeurs ont parfois du mal avec la démocratisation de ce phénomène, et ne comprennent pas que l’on puisse faire ce qui leur était interdit, alors que c’est grâce à ce qu’ils ont fait que nous sommes aussi libres aujourd’hui. Mais généralement ceux qui pensent qu’il n’y a qu’une façon de faire ne font pas évoluer l’Art.
Quel est ton rapport à la photographie ? Elle est en effet le moyen quasi-exclusif de découvrir ton travail.
La majorité des gens qui me suit ne me connaît que par l’image, sans avoir jamais vu de pièces dans la rue. La photographie constitue donc déjà une preuve, un témoignage, un souvenir. Partagée sur les réseaux sociaux elle prend encore plus de sens et permet à l’œuvre de résister au temps. Ainsi, l’œuvre est terminée une fois photographiée, et j’adore le principe qu’on puisse voir mon travail de Los Angeles à Téhéran, que je puisse recevoir un mail de n’importe où sur Terre, d’une personne qui n’aura vu qu’une photo. Les réseaux sociaux m’ont aussi permis de me faire connaître, tout en travaillant à Saint-Etienne.
Quel regard as-tu sur le fait d’être artiste aujourd’hui ?
Il m’arrive souvent dans galeries de regarder le résultat d’un match sur mon téléphone, et que cela surprenne les gens. Mais je préfère passer une soirée à parler football qu’à discuter d’un bouleversement artistique dû au changement d’une couleur. Je suis dans la vie comme dans mon travail, une personne pour qui le football occupe une place aussi importante que les Simpson, et je crois que l’Art est une somme de tout cela. On a parfois l’impression qu’il faut avoir étudié des années pour pouvoir en parler. Quand j’ai commencé aucun de mes proches n’était au courant, et cela m’a permis de ne pas changer. Chez moi la notion de plaisir est plus importante que l’esthétique. Comme le Street art est un courant assez récent le temps n’a pas encore été juge, et pour l’instant chacun peut prendre du plaisir, ce qui est le plus important, car sans cela rien n’aurait d’intérêt. Par ailleurs, il est souvent difficile de justifier son comportement en tant qu’artiste : ce que les gens ne comprennent pas, c’est qu’il faut parfois passer cinq jours dans son canapé à ne rien faire. Cette nécessité n’est jamais évoquée en Art, le fait de ne rien faire pour être dans un autre monde ou réfléchir. Ce moment est aussi important que les autres, et j’aime beaucoup cette phase durant laquelle il ne se passe rien. Elle permet de se déconnecter pour trouver l’inspiration.
Photographies: Oakoak
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Entretien enregistré en juin 2020.
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