Levalet

Levalet

Le monde est un théâtre, la rue en est la scène

“Je pense qu’il est beaucoup plus facile d’arriver à une prise de conscience un peu tragique par le burlesque que par le tragique lui-même.”

De la vidéo à la décomposition du mouvement

Tu t’es beaucoup intéressé à la vidéo au début de ton parcours : comment cela a-t-il pu jouer sur la suite de ton travail ?

En tant qu’étudiant en Arts plastiques je m’intéressais à tout type de support et de medium, de la peinture au dessin en passant par la photographie. C’est en master que je me suis tourné vers la vidéo, car il me semblait qu’à travers l’installation et la projection il était possible de superposer deux niveaux de réalité. Je m’intéressais aussi beaucoup au cinéma et j’avais l’impression que pour produire une création artistique de qualité il fallait nécessairement inventer un nouveau dispositif plastique. Je suis un peu revenu sur cette idée en réalisant qu’elle n’avait rien de neuf, mais je crois que la vidéo reste fantastique car elle permet de donner l’illusion de la vie à travers une simple projection de lumière.

Self-défense
Tes œuvres mettent en avant une décomposition du mouvement, à la façon des chronophotographies d’Eadweard Muybridge.

Ce sont des choses que je connais parce qu’elles m’ont marqué durant mes études. Cependant, ce qui m’intéresse là-dedans est davantage l’aspect esthétique et l’impact créé par une perception du mouvement produite par une image fixe. Dans ma pratique, j’essaie de proposer une narration avec de telles images, qui se rapprochent autant de la bande dessinée que de la vidéo. Dans le cadre d’un cycle de conférence auquel je participais au Louvre, j’ai réalisé que le système narratif utilisé dans la peinture égyptienne était très proche de celui que j’emploie. Il s’agit de la déclinaison des actions d’un personnage à travers différentes postures, en étant le plus explicite possible pour permettre de comprendre en un coup d’œil ce qu’il est en train de faire.

Photographe

la rue comme espace de travail

Quelle est l’importance de la rue dans ta démarche ?

La rue a toujours été pour moi un possible espace de création : étudiant j’y faisais des projets et gamin des graffitis. En arrivant à Paris je n’avais plus d’espace d’exposition et c’est ainsi que j’ai commencé à coller mes dessins dans la rue.  Cette dernière offre un répertoire infini de décors possibles, et j’entends ce mot au sens large : la rue citadine ne me paraît pas plus intéressante que la rue rurale. Je peux trouver autant de richesse dans un village au fond de la Creuse qu’au milieu de Tokyo. Ensuite, mettre de l’Art dans la rue crée un décalage et un effet de surprise plus important que dans une galerie ou un musée. Cela est bien sût vrai pour tout lieu inapproprié : si j’allais poser des collages dans un funérarium ça surprendrait tout autant.

 

Pour toi, « l’effet de surprise est nécessaire pour pouvoir susciter le questionnement » : comment l’œuvre va-t-elle surprendre le regardeur ?

Comme ce sentiment de surprise m’intéresse, je vais d’abord essayer d’alpaguer le spectateur. Cela peut soit se faire par une démarche illusionniste ou par l’humour, pour lui permettre dans un second temps de s’intéresser au sous-texte de l’œuvre, et ce qu’elle offre de plus profond ou d’intellectuel, et ce même parfois malgré moi.

Hold-up
Géostratégie
Tes travaux sont très contextuels : leur place dans la rue est déterminante dans leur signification. Dans ton processus de création, est-ce lieu qui détermine l’oeuvre ?

La quasi-totalité du temps je pars du lieu pour créer l’œuvre. Il m’arrive parfois d’avoir une idée qui peut se faire dans un lieu neutre, mais la plupart de mes interventions sont pensées en fonction de l’endroit. Je tiens d’abord compte de son aspect formel, qui apparaît au premier regard, que ce soit sa forme géométrique, sa dimension sémantique, ou des inscriptions identifiables. Je réfléchis ensuite à son histoire, à ce qu’on ne voit pas forcément, pour pouvoir aussi révéler des choses cachées de prime abord.  

 

Tu prends donc le risque de voir le lieu disparaître ?

Cela m’est arrivé quelques fois, mais en général je travaille sur un temps assez court. Lorsque j’ai une idée trois mois après avoir repéré le lieu, je vais y retourner avant de faire le dessin pour vérifier qu’il est toujours le même. Quand il n’est plus disponible alors que l’œuvre est terminée, j’essaie dans la mesure du possible d’adapter celle-ci pour la retransposer ailleurs.

Comment utilises-tu la photographie dans ton travail ?

Si une œuvre est vue par trente personnes dans la rue, elle le sera par trois mille sur les réseaux sociaux.  Le plus souvent ce sera donc la photographie qui fera œuvre. Cependant je ne pense pas faire de la photographie artistique mais plutôt documentaire. Je me place frontalement à la scène en essayant de prendre l’image la plus neutre possible, que ce soit au niveau du cadrage ou de la lumière, dans une volonté de témoignage du travail réalisé.

technique et choix du collage

On parle parfois d’Hyperréalisme pour désigner tes travaux, mêmes s’ils semblent plutôt illusionnistes. Quel effet peux-tu générer chez le spectateur grâce à ces figures à taille humaine ?

Je n’ai jamais cherché à faire de l’hyperréalisme et j’en serais incapable. Ce terme désigne avant tout un courant de peinture américain dans lequel on ne fait plus la différence entre photographie et peinture. Au contraire, j’aime que mes images soient réalistes dans la mesure où les proportions sont justes et cohérentes, mais sans être dans la caricature, ni dans la stylisation. J’essaie de conserver une forme de neutralité, même si en travaillant à l’encre de Chine et à la brosse j’offre au spectateur la possibilité de voir la facture de l’image s’il s’en approche.

 

Pourquoi avoir choisi le collage ?

A mon sens le collage est moins contraignant que le pochoir. Je n’ai pas besoin de découpe or, la grosse différence entre mon travail et celui d’un pochoiriste est que je ne reproduis jamais deux fois la même figure. Le pochoir n’aurait aucun intérêt dans ma démarche, alors qu’il est par définition une matrice à produire des multiples. Personnellement, j’ai horreur de me répéter et je préfère recommencer un nouveau dessin correspondant à un nouveau lieu. L’aspect pratique compte également : quand j’ai commencé j’étais un peu moins à l’aise avec le fait d’intervenir dans la rue, et le collage permet d’agir très vite.

Chiffoniers
Accrochage
C’est aussi un medium ultra éphémère, à la différence du pochoir.

J’ai très vite accepté ce caractère éphémère. De manière éthique je trouve ça pas mal que mes images, que personne n’a demandé et que j’impose, soient facilement enlevables. C’est presque une politesse à l’égard du public. La dimension éphémère joue aussi sur la perception de l’œuvre, car l’effet induit par le collage est perceptible et apporte des qualités plastique que n’ont pas forcément les autres techniques. Le rendu que je vais avoir avec ma brosse sur du papier n’est pas du tout celui que j’aurais eu directement sur le mur. La nature du dessin est complètement différente en fonction du support utilisé et le collage permet ce genre d’effets.

Dans ton travail d’intérieur, tu utilises beaucoup d’objets comme supports.

Quand Je travaille sur un autre support, je réalise souvent un fond à l’acrylique avant de travailler à l’encre de Chine. Ce choix m’intéresse alors car il me permet de construire de petits espaces scénographiques amovibles. Dans l’exposition Undercover, le choix de livres comme support permettait d’obtenir des fonds très riches, presque des abstractions géométriques. Cela permettait aussi de faire des liens entre la représentation et le titre, l’auteur et la couleur, ce qui offre une superposition de niveaux de lecture. De plus, cela permet en choisissant un détail d’en changer le sens et de permettre d’intéressants découpages abstraits.

Sérénade

la représentation de l'homme

Comment construis-tu tes images de corps en mouvement ?

J’ai fait du théâtre d’improvisation, ce qui me sert car je dessine la plupart du temps d’après des photos de moi-même. Cette pratique m’a apporté une certaine capacité à exprimer des émotions par la simple posture corporelle. Mes images sont silencieuses, et je m’attache à ne pas mettre de texte dans mes installations. Je pense que si je devais y avoir recours, cela signifierait que l’image n’est pas bonne. En outre, j’ai l’impression qu’ajouter du texte revient à sortir du domaine de l’Art pour entrer dans celui de la communication visuelle. Selon moi, ce que l’image a de plus que le texte c’est son ambiguïté. Je tiens à ne pas la figer dans un sens unique, à cultiver sa polysémie, c’est pourquoi je cherche au maximum à véhiculer l’idée de cette façon.

Colonisation
Joute
On perçoit tes personnages comme des Buster Keaton ou Charlot des temps modernes, des figures burlesques prises dans l’engrenage infernal de la société.

Je pense qu’il est beaucoup plus facile d’arriver à une prise de conscience un peu tragique par le burlesque que par le tragique lui-même. En se plaçant dans un registre dramatique on tombe très vite dans le pathétique. Mais si j’ai recours à l’humour dans tout ce que je mets en scène c’est aussi par pudeur, j’ai besoin de ce filtre là pour pouvoir parler. Mes personnages finissent parfois par mourir, mais c’est une mort mal jouée, à la façon des films muets.

 

Existe-t-il une dimension sociale dans ton travail ?

Je ne pense pas qu’il s’agisse de considérations sociales. Je parle forcément de choses qui me touchent ou m’interpellent au quotidien, mais qui peuvent autant être des raisonnements métaphysiques que des interrogations sociales. Je ne me considère pas comme un artiste militant, même si dès l’instant où tu places quelque chose dans l’espace public cela devient politique.

Envolée sauvage
Tes œuvres se distinguent aussi par la présence régulière d’objets incongrus qui dénotent dans leur approche visuelle.

Ces objets renforcent la dimension illusionniste de mon travail, en mélangeant deux niveaux de réalité, des éléments réels et des éléments représentés. J’essaie de faire en sorte que les deux cohabitent harmonieusement pour qu’on se pose la question du statut de l’un et de l’autre. En termes d’impact sémantique, je ne pense pas qu’il soit très différent d’inclure une vraie scie ou de la dessiner. Par contre, l’impact visuel en est d’autant plus fort et questionne le statut de l’image.

Vous pouvez retrouver Levalet sur sa page Facebook et son compte Instagram.

Entretien enregistré en septembre 2017. 

Toutes les photographies appartiennent à l’artiste.

vous aimerez aussi

Ardif

Rencontre avec un street-artiste dont les influences Steampunk lui font constituer créature après créature un univers à mi-chemin entre faune et robotique.

nadège dauvergne

Rencontre avec une artiste qui joue sur le collage et le trompe-l'oeil pour confronter des univers, publicité et peinture, citadin et faune sauvage.

nemo

Rencontre avec un des artistes les plus discrets du Street art français, dont le personnage noire est une représentation poétique de l'Art urbain.

Panier