Ami imaginaire

ami imaginaire

Un ami qui vous veut du bien

“J’essaie d’atteindre cette petite personne à l’intérieur des gens, mais c’est aussi celle qui s’exprime chez moi lorsque je crée.”

parcours

Comment es-tu devenue artiste ?

Cela a été à la fois très simple et très compliqué. On devient artiste avant de l’être profondément. Petite je demandais toujours à mes parents  pourquoi il n’était pas possible de peindre sa maison en couleurs avec des fleurs. Plus tard, les artistes m’ont permis de découvrir que certaines personnes peignaient effectivement leur maison comme elles le voulaient. Je dessine depuis toujours, mais j’ai suivi des études de cinéma car il n’y avait pas d’orientation dessin possible à l’endroit où j’habitais et que c’était le parcours choisi par ma meilleure amie. Cela m’a finalement passionnée, et pendant plusieurs années j’ai progressé dans cette voie sans jamais pour autant m’arrêter de dessiner et de peindre. Je travaillais notamment des storyboards que je souhaitais en permanence rendre plus esthétiques. Durant les dernières années je réalisais des films d’animation en stop motion, en volume avec de la pâte à modeler. C’était fascinant de voir la matière prendre vie et d’avoir véritablement les mains dans le cambouis. Mais il est difficile de réussir à en vivre quand quatre minutes nécessitent un an de travail. Entre deux tournages je me remettais à peindre, jusqu’à ce que je traverse une période où j’allais moins bien. J’ai alors commencé à peindre ces animaux pleins de joie et, réalisant qu’ils m’aidaient à me sentir mieux, j’ai eu envie de les partager, d’où l’idée de les mettre dans la rue.

Avais-tu une connaissance préalable de l’Art urbain ?

Quand je suis venue pour la première fois à Paris lorsque j’étais ado, le Street art m’a tout de suite fascinée. Avec mes amies nous prenions le RER jusqu’à Chatelet pour passer nos après-midis dans la Banque de l’Image à côté de Beaubourg. C’est à cette occasion, en voyant une carte postale représentant l’affiche de la Ruée vers l’Art peinte par Speedy Graphito, que j’ai pris une de mes premières claques artistiques. Je découvrais ses œuvres, et celles de Jérôme Mesnager, que j’essayais de reproduire sur mon cahier de textes.

La question de la légitimité a été centrale dans ton passage à la rue.

Lorsque j’ai commencé, je me suis fortement posée la question de la légitimité. Il y a de grands maîtres derrière nous et cela me préoccupait de savoir si ce que je pouvais mettre était assez beau, assez pertinent, pour s’y trouver. Cela allait-il rendre la ville plus jolie ? Était-ce quelque chose que je plaçais par ego ? J’ai énormément travaillé pour avoir résultat qui me satisfaisait davantage, et lorsque mon entourage m’a poussé à m’inscrire sur Instagram, les retours des gens m’ont confortée dans cette direction.

Quand s’est effectué ce basculement ?

Après avoir collé mon premier chat (en 2012), j’ai mis un an avant de retourner dans la rue et c’est à la suite des attentats de Charlie Hebdo, où j’ai dessiné une colombe que j’ai installée place de la République que je m’y suis inscrit véritablement.  Il est certain que cet évènement a eu une influence.  Le choix du collage s’est lui effectué pour plusieurs raisons : le manque d’assurance pour peindre à même le mur, la possibilité laissée à l’habitant de retirer la pièce si elle lui déplait, ainsi que celle de travailler à mon rythme et sans pression en atelier, et de proposer ainsi quelque chose de propre et d’abouti.

Ces questions sur le sens de ta démarche devaient déjà exister dans ta précédente activité artistique ?

Ce n’était pas exactement pareil car je n’étais pas complètement libre de faire ce que je voulais : il se pose des problèmes de budgets si monstrueux dans la conception d’un projet cinématographique que tout devient compromis, quand cela ne mène pas simplement à une annulation du projet. Être réalisatrice est un parcours du combattant. Pour moi, la possibilité de proposer dans la rue une action très simple mais parfaitement sincère a changé les choses. Avec Ami imaginaire, j’ai pour la première fois produit une création artistique librement, et sans chercher à l’intellectualiser. Coller ce premier chat couleur arc-en-ciel rue Sainte-Marthe sur un bord de porte m’a fait du bien, car je ne cherchais plus alors à camoufler quoi que ce soit, à l’inverse de ces projets de scenarii dont la sincérité, au fil de l’écriture, finissait par disparaitre sous une couche de symbolique (l’analyse filmique pollue l’écriture, et ce qui peut être au départ authentique le devient moins à chaque nouvelle version).

DE LA SIMPLICITE DU TRAIT

Ton trait passe par une très grande simplification pour représenter l’animal.

Cela part d’une inspiration Pop art, de Speedy Graphito et Keith Haring : à l’époque où j’ai découvert son travail, le premier réalisait ses personnages couronnés, au trait particulièrement simple. J’avais douze ans et je pouvais les dessiner, ce qui s’est révélé très marquant. J’ai découvert que la peinture pouvait aussi être une chose qui n’était pas forcément hors de portée techniquement, à l’inverse de la peinture classique, magique mais au niveau technique hallucinant. Que des lignes et une technique « simple » n’en était pas moins belles et efficaces. Voir ces lignes enfant a permis de m’ouvrir le champ des possibles.

Tu aboutis ainsi à un résultat qui devient une sorte d’animal-type.

Désormais, plusieurs étapes sont nécessaires pour atteindre ce trait, car j’ai envie qu’il soit lisible de loin et que la composition soit la plus fluide possible. Je travaille les formes séparément du reste, au feeling, au cours de journées de seul dessin. J’utilise des photographies animalières et comme je n’ai pas de technique réaliste j’en décalque plusieurs pour trouver la bonne position. Le motif viendra uniquement ensuite, lorsque je serais contente de la forme. Il y a des animaux que je n’ai jamais colorisés car je n’en suis pas satisfaite. Une fois la ligne trouvée je prends une photo que je travaille sur ordinateur afin d’en faire un pochoir qui ne bougera plus. Durant mes premières années je faisais tout à la main, mais lorsque j’ai réalisé un montage regroupant tous mes chats pour mes deux ans dans la rue je me suis rendue compte qu’ils n’étaient jamais identiques. C’est à partir de là que j’ai décidé de les pochoiriser.

Ton travail passe par la double composante de la ligne et du fond. Concernant le choix des motifs, as-tu une galerie que tu appliques à des formes préexistantes ou des lignes que tu cherches à remplir ?

Le fait d’avoir un travail d’épure sur la forme des animaux est une chose, le motif en est une autre, qui apporte lui la couleur et la joie. J’ai en effet une galerie de motifs que j’aime réaliser, et qui grandit avec le temps. Certains d’entre eux sont faisables au pochoir comme les chevrons, mais je préfère en général travailler sur des motifs un peu plus compliqués (floraux par exemple) que je peux peindre à la main, car je ne suis pas pochoiriste et la découpe m’ennuie vite. C’est aussi une façon de progresser dans un style un peu plus réaliste.

CLES DE LECTURE D’UN MONDE INTIME

Le choix du nom Ami imaginaire offre presque une clé de lecture sur ton travail. As-tu fait ce choix pour la proximité immédiate qu’il peut offrir dans l’interaction avec le public et les enfants ?

Je parle à l’enfant qui vit en chacun, qu’il ait quatre ou soixante-dix ans. J’essaie d’atteindre cette petite personne à l’intérieur des gens, mais c’est aussi celle qui s’exprime chez moi lorsque je crée. C’est un élément précieux : nous avons des vies frénétiques en ville, qui ne sont pas tous les jours évidentes, et voir des animaux et de la couleur suffit pour se rapprocher de cette innocence-là. Le concept d’ami imaginaire me fascine, or il est souvent abordé du point de vue de la psychothérapie comme une défaillance : si l’on a un ami imaginaire c’est que quelque chose ne va pas. Je trouve au contraire que cette projection de nous-mêmes, comme une petite main sur l’épaule, est la première bienveillance que nous pouvons nous accorder. La compréhension et l’écoute des autres commence peut-être ici.

Indiquer ce nom sans le e relève ici d’une intention de neutralité ou de conservation du terme médical ?

Il ne s’agit ni de l’un ni de l’autre. Un ami imaginaire peut être un éléphant rose avec un cou de girafe, qu’il/elle s’appelle Alfred ou Georgette, on s’en fiche un peu.

La question de genre dans le Street art, dans l’Art en général, se pose souvent. J’ai participé à plusieurs expositions qui ne rassemblaient que des femmes. Mais à partir du moment où ton travail est dans la rue ton genre n’a plus d’importance et je ne me demande jamais quel est le sexe de l’artiste dont je découvre le travail, à vrai dire je m’en fiche, seul compte l’émotion que je ressens devant son travail. D’une certaine façon il est problématique que l’on se pose encore la question. Si mon travail était plus militant, j’appréhenderais peut-être cette question différemment mais ce n’est pas le cas. Je trouve que le petit milieu du streetart parisien que j’ai la chance de côtoyer est très ouvert sur cela, parmi mes camarades artistes je n’ai jamais senti la moindre différence de traitement due au fait que je sois une femme. Ça change agréablement.

LE CADRE DE LA RUE

La dimension graphique de ton travail est multipliée par l’endroit où tu le poses. Comment le choisis-tu ? Anticipes-tu dès cet instant la photographie de l’œuvre ?

Je ne fais généralement pas de repérage, me baladant avec mes dessins à la recherche d’un lieu qui me plait. Ainsi, il m’arrive régulièrement de ne pas coller du tout, ne trouvant pas le bon endroit. Comme ce que je fais est assez petit, je me concentre sur une zone réduite dans laquelle le collage peut prendre vie, quitte à ce que cela paraisse parfois incongru en regardant de façon plus large. La plupart des murs parisiens sont d’un beige assez laid qui s’accorde mal avec ma palette de couleurs, et comme je n’aime pas l’accumulation de collages, je recherche des murs vierges avec si possible un élément architectural visible. Cependant je ne colle pas en pensant à la photographie, sauf à être dans un endroit incroyable que j’ai envie de partager. Je réalise surtout des gros plans à destination des personnes qui ne pourront pas voir l’œuvre elles-mêmes.

Quel est ton rapport au caractère éphémère du collage ?

Au début cela m’affectait beaucoup que l’on déchire ou arrache rapidement une de mes pièces, d’autant plus que je faisais tout à la main. Mais aujourd’hui je n’aime pas que mes œuvres restent trop longtemps dans la rue. Le caractère éphémère permet d’éviter la dégradation progressive de la pièce et ce n’est pas mon but d’éparpiller des collages à moitié déchirés pour simplement indiquer mon passage. En effet, les murs recouverts d’une multitude de collages ne vieillissent pas toujours bien, or peut-on parler encore de création artistique si l’ensemble devient juste une pollution visuelle ? Je recolle ainsi les collages en péril des copains quand j’ai du matériel sur moi, comme le font beaucoup d’autres artistes. Lorsque mes collages finissent néanmoins par s’abîmer, j’essaie de replacer un autre animal par-dessus car j’aime bien l’idée de spot : pendant deux ans j’ai ainsi eu trois ou quatre flamants qui se sont succédés sur une porte à côté du canal de l’Ourcq.

En quoi la rue est un espace de création particulier ?

Coller dans la rue est un acte gratuit, sans calcul autre que celui d’espérer faire plaisir à quelqu’un. La rue est un espace de liberté, mais il n’est pas possible de faire n’importe quoi et certaines pièces génèrent un peu plus de pression. Au départ je collais de nuit, ce qui me donnait l’impression d’agir de façon répréhensible. Les personnes croisées à cette heure de la journée ne sont pas non plus les mêmes, et ce n’est pas non plus la même chose de coller seule lorsqu’on est une femme. Travailler de jour me force aussi à sortir un peu de ma coquille, à travers ces rencontres qui font du bien, comme ces enfants à la sortie de l’école, qui s’arrêtent et discutent. Les retours sont en général très bienveillantes, c’est très agréable.

As-tu l’impression de faire partie d’un courant artistique ?

C’est difficile à dire, car le Street art est si protéiforme qu’il est légitime de se demander s’il s’agit bien d’un courant artistique. Il y a des pionniers qui ont ouvert la voie d’une démarche, mais pas d’un courant comme pouvaient être définis ceux qui ont précédé. En son sein j’ai rencontré une multitude d’amis qui me donnent l’impression de faire partie d’une famille et d’être à ma place. Il faudra s’interroger dans trente ans sur ce dont il s’agissait, mais oui il se passe quelque chose. Je pense que prendre une liberté qui n’est pas offerte, sans rien attendre en retour, est une forme d’opposition au monde dans lequel on vit. Cet état de franche camaraderie, comme une bande de gamins, témoigne aussi du fait que pour le très grande majorité les artistes commencent pour la même raison, en proposant un travail qui vient du cœur et des tripes. Notre société très individualiste nous pousse à écraser notre prochain pour avancer : le Street art montre un chemin inverse qu’il serait génial de parvenir à transmettre. D’une certaine façon c’est une réaction à la catastrophe : essayer d’introduire de la douceur et du vivant là où tout n’est que destruction et violence.

Photographies:  Ami imaginaire

Vous pouvez retrouver Ami imaginaire sur Instagram,  Facebook et son site internet.

Entretien enregistré en août 2020.

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