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Le papillon qui ne voulait pas quitter les murs

“Susciter l’émotion est le but de notre travail à tous, même si ce n’est pas celle que nous avions prévue.”

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Comment as-tu commencé à travailler dans la rue ?

J’ai toujours regardé ce qui se passait sur les murs, sans pour autant me dire que j’allais y prendre part. La naissance de mes nièces m’a fait basculer, et un jour j’ai décidé de poser de petites fourmis devant leur école. Je ne connaissais pas alors l’histoire de Nemo, qui dessinait la nuit la suite des récits qu’il racontait le soir à son fils pour l’endormir. Ce dernier les découvrait le matin en allant à l’école, tout comme moi qui prenait les mêmes chemins. De façon similaire, mes nièces ignoraient qui était derrière ces fourmis mais venaient me voir pour me montrer les dernières apparues.

Ton travail est très lié au quartier de Belleville.

J’ai grandi ici jusqu’à mes vingt-huit ans, c’est mon village. Je fais souvent mes premiers pochoirs ici, et dès lors qu’ils trouvent leur mur je ne les refais plus. J’aime l’idée qu’ils parlent aux gens. Avec Internet, nous nous adressons à un public venu du monde entier, mais beaucoup n’ont jamais vu notre travail en vrai. Dès lors que les curieux te découvrent davantage sur Instagram (ou hier sur Flickr) que dans la rue, ta démarche devient presque du Net art. Chaque nouveau média permettant de diffuser les créations génère son lot de personnes qui ne descendent plus dans la rue pour les voir. La différence avec les gens du quartier se situe précisément ici : il y en a qui ne connaissent pas ma tronche alors qu’ils vivent avec mes personnages depuis des années. Et cela passe par la réutilisation des mêmes murs, souvent avec les mêmes figures.

Comment choisis-tu l’endroit où tu places tes œuvres dans la rue ?

Je connais tous les murs du quartier et je savais où mettre mes derniers pochoirs. L’un sur un mur où ma pièce précédente avait été arrachée et le mur repeint, l’autre à un endroit que j’espérais disponible. En effet, j’aime bien revenir sur les mêmes murs, c’est une façon de poursuivre l’histoire. J’ai beaucoup de pochoirs rue des Cascades, certains dont il reste des traces après huit ans, avec du lierre qui pousse par-dessus. Ce n’est pas tant une volonté d’occuper un territoire que de travailler avec et pour les gens du coin. Ceux qui viendront prendre une photographie parce que le nom de la rue est indiqué sur Internet ne feront pas le même cheminement que moi. Il faut respecter les gens qui vivent dans ce lieu et le fait de raconter une histoire sur un même mur en fait partie. Or ceux-là n’ont pas de raison de prendre mon travail en photo, car ils passent devant tous les jours.

DU POCHOIR SUR PAPIER

Pourquoi avoir choisi de travailler le pochoir ?

J’aimais l’aspect noir et blanc d’un pochoir simple, qui le place très vite hors du temps. On va s’intéresser alors davantage au fond qu’à la forme, tandis qu’avec de la couleur on sera influencé par sa présence. Le noir est blanc permet aussi d’aller à l’essentiel, en portant un autre imaginaire que celui du Graffiti. Avec le pochoir, j’apporte tout de suite une image qui mélange les temps modernes et anciens pour former une imagerie propre.

Pourquoi avoir choisi de pratiquer le pochoir sur du papier, alors que le collage n’est pas une technique aussi pérenne ?

La première raison est technique : mes pochoirs ont cinq layers (quatre gris et un noir) et pour les réaliser directement sur le mur il faudrait que je sois en mesure de faire sécher les couches les unes après les autres, ce qui demanderait beaucoup de place et de temps. Travailler sur du papier très fin, qui s’incruste et s’adapte à toutes les anfractuosités, rend mon travail presque aussi pérenne: certaines pièces n’ont pas bougé depuis cinq ou six ans. J’utilise pour cela de la nappe en papier, suivant un conseil qui m’avait été donné par Jef Aérosol. Avec le temps, celui-ci va prendre une texture qui me plaît, s’arrachant par petits bouts, avant de disparaître avec panache, transformant progressivement l’œuvre.

De façon plus pratique, cela me donne la possibilité de venir en sac à dos sans transporter tout mon équipement, ce qui serait trop compliqué. Dans certains quartiers je ne pourrais pas travailler car il me faudrait une heure pour superposer les différentes couches, sans compter le vent qui risquerait de faire s’envoler les pochoirs et le manque de place pour faire sécher les matrices.

Ton travail se dévoile à travers de petites pièces. En quoi le format fait partie intégrante de l’histoire racontée ?

Je suis d’accord avec Codex Urbanus lorsqu’il dit que ce n’est plus faire du Street art que de toucher au muralisme. Si l’oeuvre est trop grande elle raconte autre chose, mais le Street art doit rester à taille humaine. Je ne le rejoins cependant pas sur le caractère obligatoirement illégal. Je ne me pose jamais cette question-là: d’ailleurs, est-ce que les murs extérieurs de nos villes appartiennent à celui qui possède la maison ou à ceux qui passent devant tous les jours ? La réappropriation de l’espace n’est pas forcément illégale, mais l’affirmation d’un lieu de vie. La rencontre entre un mur, mon pochoir et ce que je raconte à travers lui.

LA RELATIVITÉ DU TEMPS

Quelle est la place du temps dans ton travail ?

En réfléchissant à mon travail – notamment par la discussion avec d’autres – je me suis aperçu que la plupart de mes œuvres étaient ancrées dans le temps, combinant tout à la fois un aspect éphémère avec des figures intemporelles comme celle de l’Ange. Je joue également sur l’opposition entre le passé et la modernité : lorsque j’étais à Florence au pied du Duomo, j’écoutais le requiem de Mozart sous la pluie, ma capuche sur la tête. J’ai alors eu l’idée de peindre mes anges avec des sweats à capuche, car nous n’avons plus de raison de les représenter en toge aujourd’hui. Ils seraient habillés comme nous.  En ce moment, je les accompagne souvent de papillons, qui par leur fragilité me permettent de jouer sur cette dualité, des ailes éphémères contre des ailes éternelles.

Cette réflexion, si elle est renforcée par le caractère éphémère de la rue, n’est pas pour autant présente dans le travail de tous les artistes urbains.

Je me suis aperçu de cela au fil du temps. C’est vrai qu’il y a un lien entre les gargouilles, les anges, mes reprises de David et des personnages mythologiques. On crée sans toujours avoir de réflexion globale, mais en creusant on s’aperçoit que tout tourne toujours autour de quelques thèmes. Les Fragiles ne sont à cet égard pas si éloignés du reste. Ce qu’il manque en fait dans l’Art urbain c’est une vraie réflexion sur le sens de ce que l’on fait.

En atelier tu utilises l’oxydation pour montrer ce passage du temps.

En travaillant sur un papillon en acier, en l’oxydant, je manipule l’aspect éphémère symbolique pour l’user et le dénaturer. Les gens ne devinent pas forcément qu’à travers ces papillons je réalise des vanités, car notre époque n’a plus les codes pour comprendre les objets qu’on utilisait avant et s’interroger sur le fond. Le fond m’intéresse bien plus que la forme : je travaille ainsi de plus en plus le papier, comme avec la série Fragiles, pour jouer sur la superposition des couches.

Je voulais que ces portraits tronqués soient le moins possibles identifiés, pour que les gens comprennent qu’ils parlent de nous. Qu’ils représentent un homme ou une femme n’a que peu d’importance, du moment qu’ils s’accordent à l’aspect délabré du mur. Personnage, papier et mur sont ainsi imbriqués les uns dans les autres.

TRANSMETTRE DES ÉMOTIONS ET VIVRE AVEC LES GENS

Tes Marioles s’amusent et tirent la langue, créant un jeu avec le regardeur. Quelles émotions cherches-tu à faire naître à travers ces figures goguenardes ?

Susciter l’émotion est le but de notre travail à tous, même si ce n’est pas celle que nous avions prévue. Je ne considère pas que ce que j’ai voulu dire est plus important que ce que la personne ressent devant l’un de mes personnages. Cette vision vient de mon enfance dans le quartier de Belleville, de ce qu’il se passait dans ces rues, des créations de Nemo et des autres pionniers qui œuvraient ici. Leurs images étaient intégrées aux murs, elles nous parlaient, nous les voyions régulièrement. Les maisons commençaient alors à être démolies, un temps nouveau remplaçant l’ancien. Quand j’ai commencé j’ai voulu faire comme eux. Inclure mes personnages dans le tissu urbain. Cela ne m’intéresse pas que les gens trouvent ça « beau », je préfère qu’ils me disent avoir été interpellés ou émus.

En quoi ton travail de comédien nourrit l’importance du corps dans tes créations ? Est-ce qu’il s’agit d’autoportraits ?

Ce ne sont pas des autoportraits, et l’ange masculin n’est pour moi qu’une représentation. C’est la même chose que pour un comédien : je prête mon corps pour servir de modèle. C’est parfois un peu difficile à faire comprendre dans le milieu de la peinture, les gens ayant tendance à vouloir me retrouver derrière le personnage. Mais ce n’est pas moi : comme Philippe Hérard ou Levalet, il est surtout plus facile d’exprimer ce que l’on a en tête en se prenant pour modèle car on sait directement ce qu’on recherche. Le corps est un élément central pour transmettre une émotion, et c’est souvent plus simple de l’exprimer avec le sien corps qu’à travers celui de quelqu’un d’autre.

Le Street art génère une ruée d’artistes à certains endroits passants, comme à Shoreditch à Londres. On a l’impression qu’alors c’est une visibilité qui est avant tout recherchée, bien plus qu’une présence.

On voit rapidement ceux qui s’installent uniquement pour obtenir une visibilité : souvent leur travail ne reste pas longtemps et va être arraché, ou tagué. Les gens ont l’œil et savent quand tu viens là pour t’inscrire dans l’histoire de l’Art urbain du quartier.

A contrario, il y a toute une catégorie d’œuvres un peu « faciles », composées de petits cœurs ou de chatons. L’Amour qui se passe bien est-elle la chose la plus intéressante en Art ou ne vaut-il pas mieux Roméo et Juliette ? Que nous raconte l’artiste avec un petit chat ? Ce qui m’intéresse c’est de savoir que ce dernier à des choses à nous dire, qu’il a des fêlures. C’est pour cela qu’on s’entend bien avec Philippe Hérard : bien que nos univers soient différents, nous racontons des choses assez semblables, et voulons qu’il y ait du fond, pas uniquement faire de la décoration.

Vous pouvez retrouver Ender sur Instagram, Facebook et sur son Flickr.

Photographies: Ender

Entretien enregistré en novembre 2018.

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