MG la Bomba

mg la bomba

Liberté, Rapidité, Illégalité

Ceci est une introduction : saint oma street art.

PREMIERS PAS

Comment s’est déroulée ta rencontre avec le graffiti ?

Au départ, je recherchais un style qui me correspondait. Je dessinais beaucoup mais je n’arrivais pas à trouver ma place. Je voulais faire les Beaux-Arts, mais ils formatent le travail artistique, or c’était important pour moi de pouvoir vraiment choisir ma création. Originaire de Meaux, où il y avait déjà pas mal de graffitis, j’ai été halluciné minot de voir Shun et les CP5 peindre le portrait de Michael Jordan. Je pensais qu’il était réalisé au pinceau, mais lorsque j’ai compris que c’était à la bombe j’en tenais une dans les mains le soir même pour faire des tags dans la rue.

Du coup dirais-tu que l’apprentissage du dessin s’est fait directement via le mur ?

J’ai appris le dessin sur feuille, en sketchant beaucoup pour apprendre. Le graffiti est un art libre qui m’a vraiment plu, même si l’on prend des risques, que c’est illégal. J’ai vraiment tout connu : ma première arrestation était pour avoir écrit « Nique la police » devant la mairie de Meaux. Ma mère m’a collé une baffe et elle avait raison, même si ma faute à ce moment-là était de m’être fait attraper, pas la phrase en elle-même. J’ai poursuivi, mais n’ai jamais voulu en vivre car ce n’était pas le concept. Je pensais que c’était Guillaume Maréchal, petit artiste peintre, qui finirait peut-être par entrer dans une galerie, mais pas MG la Bomba. Finalement c’est après mon arrestation que les gens m’ont découvert.

As-tu commencé par le tag ou directement par des pièces ?

J’ai tracé beaucoup de tags qui me correspondaient bien à l’époque, beaucoup skecthé des lettrages pour trouver mon style, sans directement passer au mur. J’ai peint énormément de fresques par moi-même, avant de rencontrer un mec dans le bus en allant chez mes grands-parents. Il s’appelait C.Kel, venait de Château-Thierry et c’est lui qui m’a réellement appris la base du graffiti 3D. J’avais alors une bonne maîtrise des perspectives et peignais beaucoup de paysages. Nous avons beaucoup graffé ensemble, et même créé un crew. Comme j’ai commencé à peindre vers douze ou treize ans, nous devions alors être en 1995/1996. C’était de bonnes années, le hip-hop commençait vraiment à se populariser. J’ai grandi dans un quartier dans lequel il n’y avait pas trop de travail, l’école ne se passait pas bien car nous étions mal vus socialement, venant d’un quartier et sans trop de thune. Je n’ai pas eu la chance d’aller dans les grandes écoles, mais je me suis quand même battu pour mon dessin. J’ai suivi un lycée pro à Bobigny au sein d’une section publicitaire, mais ce n’était pas pour moi, je ne comprenais pas comment « vendre » (par exemple un packaging de boîte de céréales) sans avoir l’impression de me contredire. Mais j’ai pu y rencontrer Oreus, qui est un sacré vandale. J’ai alors arrêté mes études, apprenant davantage dans la rue avec mes potes qu’à l’école.

DE LA FRESQUE AUX LETTRAGES

En quoi la bombe est-elle un outil particulier ?

C’est un outil très difficile à utiliser, très technique. C’est plus facile aujourd’hui car il y a des caps très différentes, qui permettent d’avoir une haute ou basse pression, de la transparence. A l’époque nous avions des bombes de carrosserie volées, peu de couleurs, pas de caps hormis celles d’origine. On allait piquer celles des déodorants ou des Décap’Four. Si Mode 2 est une légende, c’est parce qu’il a peint des tueries avec des bombes pourries. Comme il y a une valve à l’intérieur et de la pression, il suffit de la taper lorsqu’elle est finie pour récupérer le fond. C’était un moyen de ne pas gâcher la peinture. Son rendu n’a rien à voir avec celui du pinceau ou de l’aérographe. J’aime bien tout réaliser à la bombe, même si pour une grande surface j’emploierais un fond à l’acrylique. Les plus jeunes qui nous voient faire pensent que c’est facile, mais ils ne savent pas que l’on trace ce trait depuis vingt-cinq ans et qu’au départ il n’était pas identique. Ne faire que des traits, les repasser dans une autre couleur, pour apprendre à conserver la même épaisseur, la même force. C’est une gestuelle à part, plus machinale, qui exige plus du corps et des jambes que du bras, la bombe restant au niveau de l’épaule tout en respectant la distance entre le mur et la caps.

Ton travail regroupe à la fois des fresques et des lettrages.

Je me considère comme un chimiste qui fait des tests afin d’évoluer dans sa peinture. Rester bloqué sur un style pendant trente ans pour des raisons monétaires ne m’intéresse pas. Je préfère celui qui est prêt à casser son acquis pour évoluer. J’apprends tous les jours et je pense que ce sera le cas jusqu’à la fin de ma vie. C’est cela qui me fait vibrer, sinon pourquoi vivre ? Ce sont les risques qui sont intéressants, même s’il m’arrive de me planter. L’essentiel est de créer de beaux souvenirs, qui resteront toujours. De plus, en les créant pour soi on en crée pour les autres. Un peu de couleur, un petit moment peut apporter à l’autre. Je dis ainsi à beaucoup de monde de m’imaginer sur mon lit de mort avec mes souvenirs. Sans qu’il s’agisse de grandes actions, j’essaie d’apporter quelque chose, et je suis content si je peux me dire que je ne sers pas à rien dans cette vie.

Tu dessines régulièrement des paysages urbains imaginaires.

Gamin j’avais la tête dans les nuages, toujours à rêver. Ce qui pouvait être un défaut est ma force aujourd’hui. J’ai une facilité à imaginer, à me projeter dans mon dessin. C’est pour cela que je me suis spécialisé dans les perspectives et les trompe-l’œil, car j’arrive à ajouter de la profondeur dans une pièce où il n’y en a pas. J’ai cette capacité à pouvoir travailler sans croquis, sans m’aider de scotch ou de carton. J’aime galérer main levée, peignant à l’aide d’une petite croix au sol, faisant tout à l’œil, là où la plupart utilisent un cordeau ou un rétroprojecteur. Je prends dix fois plus de temps et de matos mais à la fin je suis totalement heureux, fier d’avoir sué à reproduire ce que j’avais imaginé. Si j’ai changé d’idée en cours de route, je garde la première en tête pour la refaire plus tard.

Tu t’appuies souvent sur un effet fisheye particulièrement difficile à réaliser.

Je me suis beaucoup aidé de la photographie, car il est très compliqué d’imaginer un paysage fisheye à 360 degrés. Désormais je n’en ai plus besoin, et j’ai l’impression d’être un chimiste lorsque je les compose visuellement. C’est magique lorsque cela fonctionne. Lors d’une exposition, ce sont souvent les premières toiles qui sont les meilleures, car ce sont celles où je suis le plus dans ma bulle. Je me suis battu pour cela, car à l’école ils voulaient que je fasse mécanique auto. Mais on ne m’appelait pas la Main d’or au quartier pour rien. Si j’avais suivi cette voie, je me serais détruit la main, or elle très importante, je fais tout avec cette main droite. Sans elle, je ne serais plus rien. J’ai poursuivi mon chemin, faisant plusieurs métiers. C’est ce qui m’a permis de voyager et de placer la Bomba un peu partout. Quand je travaillais dans l’évènementiel, je finissais souvent très tard, mais même crevé j’allais sur les voies ferrées pour peindre des graffs. Au final aujourd’hui, j’ai trente-neuf ans et je n’ai pas le permis.

HÉRITAGES DE LA CULTURE HIP-HOP

La culture hip-hop est-elle l’influence la plus importante dans ton travail ?

Le hip-hop forme un tout et, bien qu’ayant grandi dans le quartier, j’ai d’autres influences. Il faut savoir qu’à l’époque j’avais la casquette en travers, le jean retroussé, les ghettoblasters. On écoutait beaucoup de funk, on faisait la teuf, graffait en technival. Le graffiti peut se retrouver partout, l’important étant de garder ce plaisir qui permet de créer quel que soit l’endroit ou les personnes avec lesquelles on est. Cette éthique est très importante pour moi. Je n’oublie pas d’où je viens, et reste humble par rapport à ce que j’ai fait, ou qui j’ai rencontré. Je me souviendrai toujours de cette phrase d’Afrika Bambaataa qui parle de partage et de dignité de soi. Comment veux-tu respecter les autres si tu ne te respectes pas toi-même ? Comment veux-tu aider les autres si tu ne sais pas t’aider toi-même ?

Considères-tu le crew comme un élément important de ton parcours ?

Bien sûr, même si ce n’est pas le plus important, car j’ai peint énormément seul, tout en faisant partie de plusieurs crews. Le crew c’est une famille, une bande de potes, même si nous ne nous connaissons pas forcément tous. Je fais par exemple partie des O3S : je ne les ai jamais rencontrés car il regroupe des américains, des anglais, des gens de toutes les nationalités. Pourtant nous sommes très connectés via le graffiti. C’est un lien très fort et très important, même si cela n’empêche pas les problèmes. Tous ces crews forment la grande famille du Graffiti. Lors d’une jam il arrive aussi qu’on se mélange. J’étais invité à peindre lors d’une jam TVA, car j’en connaissais plusieurs d’entre eux. A la fin, ils m’ont proposé d’être sur la photo avec eux, et si j’étais un peu gêné, c’était une fierté partagée, car cela signifie qu’ils me considèrent un peu comme de la famille.

En cela notre vie est magnifique. C’est un vrai choix parce qu’on prend des risques, qu’une arrestation peut nous bousiller. Certains ont pris de grosses amendes qu’ils vont payer toute leur vie. Les anciens n’avaient pas l’habitude de porter le masque, et le solvant est très nocif et peut nous faire partir à n’importe quel moment. Pourtant on le fait quand même car c’est ce qui nous fait vibrer. Pour ma part, je préfère une vie courte bien remplie qu’une vie longue et ennuyeuse. Je n’ai pas envie de profiter de ma retraite, plutôt du moment présent. J’ai trente-neuf ans et je pourrais partir parce que j’ai déjà bien rempli ma vie, même si j’ai envie d’en faire encore beaucoup ! Je suis comme un enfant, avec toujours cet aspect insouciant et cette capacité d’émerveillement. Cela m’apporte énormément que les gens soient surpris par la vie. C’est pour cela que je bosse beaucoup avec les gamins, que je mène énormément d’actions bénévoles avec des autistes, des orphelins. Je suis parti au Népal pour donner des cours de graff aux orphelins népalais. C’était improbable car ils n’osaient pas peindre un mur gris, pensant que c’était une bêtise. Je prends alors le pot de peinture que j’avais préparé et l’explose sur le mur. Et là, d’un seul coup, je les vois tous changer de visage. Il y a eu un moment magique où tous ont jeté leur peinture jusque sur la maison du voisin. Je leur ai montré qu’il est possible de faire quelque chose de simple et de croire en soi, alors qu’ils ont une vie difficile. Je ne sais pas si je les ai tous accrochés, mais si un ou deux dessinent aujourd’hui c’est déjà une réussite. Dans une exposition, quand un artiste me touche, je vais le voir pour lui dire « wahou ». Je suis un grand gamin et c’est cool.

La ligne de fracture entre le Graffiti et le Street-art peut s’expliquer par le rapport au public. Le graffeur s’adresse à un public de connaisseur.

La mentalité du Graffiti n’a rien à voir avec celle de l’Art contemporain. A l’inverse, le Street-art a été créé selon moi par des gens issus de l’Art contemporain ayant compris qu’il y avait de l’argent à se faire. Le Graffiti a eu longtemps une mauvaise image liée à la dégradation, même si on en voyait dans les séries. Quand j’ai commencé à exposer, on m’expliquait que j’étais un mécréant de l’art, pas un artiste. Cela m’a choqué : je ne comprenais pas pourquoi ils n’acceptaient pas mon travail, au nom d’un délire commercial qui valorisait certains graffeurs, comme JonOne. Le mot street-art est un mot fourre-tout regroupant des gens totalement différents, ce qui crée un problème. Le graffeur n’a pas la même démarche qu’un pochoiriste, ou qu’Invader avec ses mosaïques.

Désormais, même les graffeurs deviennent street-artistes car la mauvaise image liée à la dégradation ayant disparue, ils peuvent commencer réellement à en vivre. J’en ai aussi profité un an ou deux, même si ce n’est pas du tout mon éthique, acceptant de peindre pour de grosses boîtes, tout en conservant une mentalité vandale très puriste. Néanmoins, il faut parfois savoir lâcher du lest. J’analyse énormément et, pour qu’une œuvre me touche, il faut qu’elle contienne une émotion. J’accepte des styles très différents des miens, mais je suis dégouté de voir des gens qui mentent et dénigrent les anciens qui ont permis à ce mouvement d’être ce qu’il est aujourd’hui. Certains petits jeunes qui existent grâce à leurs contacts expliquent qu’ils ont vingt ans de graffiti. Mais nous, nous étions dans la rue il y a vingt ans, nous savons qui était là, on connaît les blazes. L’amateur va applaudir mais nous qui avons vingt ans de pratique non. Il ne faut pas mentir : avec le temps, l’expérience, tout le monde finit par avoir sa notoriété. Ces pseudo-artistes occupent les places que les anciens devraient avoir.

LA RAPIDITÉ DE LA CRÉATION

L’évolution de la Bomba vient de ce temps d’action très court qui conditionne le geste.

La Bomba est venue d’un concours entre potes pour voir qui trouverait le meilleur blaze et le meilleur personnage. J’avais sorti une bomba toute carrée sans penser qu’elle allait primer. A cette époque tout le monde faisait du lettrage chrome bâton et il n’y avait plus que de petits espaces disponibles. Comme je ne voulais pas repasser les autres j’allais m’y glisser, ce qui était super efficace, au point de devenir au fil du temps un marqueur d’identité. J’en ai alors peint énormément sur les blocs électriques, les colonnes et les voies ferrées.

Parlerais-tu d’une esthétique de l’urgence ?

Le fait de peindre illégalement, d’avoir peur de se faire arrêter, confère une certaine spontanéité au geste. Au départ, quand je sketchais mes lettrages, il fallait que je trouve un flow. Le blaze est très important : on choisit certaines lettres non parce qu’elles nous correspondent nécessairement, mais parce qu’on a trouvé un flow intéressant à y associer. Un flop suit cette logique, devant être fini en vingt à trente secondes. A cet égard, la Bomba est une forme de flop très rapide et arrondi que je peux reproduire les yeux fermés.

En quoi est-ce important de suivre son instinct artistique ?

A l’école, pour la fête des mères, j’avais réalisé un cendrier explosé, car ma mère fumait beaucoup. Certains enseignants ont pensé que j’avais un grain et ont voulu m’emmener voir un psy. Je ne comprenais pas pourquoi, alors que j’avais adoré le faire. C’est un souvenir magique de penser à ma mère débarquant tout à coup et prononçant cette phrase, depuis très importante pour moi : « Au lieu d’être dans la petite boîte, il en déborde. » Dans le graffiti on a le droit de déborder, pourquoi devrait-on être dans une case ? J’ai bossé avec Pimax dans une école. Nous avons tracé un cadre avec écrit qu’il fallait dessiner à l’intérieur. Nous y retournerons, et je suis sûr que celui qui aura débordé aura du potentiel, là où les autres auront dessiné dedans par peur. On a le droit à l’erreur, à l’accident : il peut avoir du bon. J’ai souvent dans mes peintures un bâtiment de travers ; beaucoup de gens s’interrogent, mais moi je le recherche, car il était ainsi dans mon croquis de départ.

LA LIBERTE DU VANDALE

Cette liberté offerte par le vandale est-elle essentielle dans ta démarche ?

Cette liberté offre une adrénaline que je n’ai jamais trouvé ailleurs dans un courant artistique. La peur de se faire arrêter est propre au graffiti. Un bon graffeur, c’est celui qui en deux secondes peut peindre illégalement une tuerie, ce en quoi il est très différent des street-artistes qui travaillent des pièces léchées en atelier pour les coller ensuite dans la rue. C’est d’ailleurs difficile pour moi de les désigner comme tel, car 99% du travail se fait alors en atelier pour quelques secondes de plaisir en extérieur. Pour moi, l’art de rue se vit de A à Z dans la rue, et interroge le fait de prendre ou non des risques. C’est la base du graffiti d’être illégal : avant le hip-hop, avant la bombe de peinture, les gens gravaient sur les arbres ou sur les murs. A Chambord on retrouve des gravures de Victor Hugo ou Jean de la Fontaine réalisées illégalement en illégal : ce sont des graffitis.

Appréhendes-tu différemment l’espace en fonction de sa difficulté d’accès ou de l’illégalité associée ?

Les ambiances sont différentes. Aller sur une voie ferrée, c’est partir en mission après le passage du dernier train. On galère pour y arriver, on doit sauter des barrières… J’ai trente-neuf ans et je n’ai jamais commis d’infraction pour y aller, trouvant toujours une solution pour m’y rendre. De plus, si dans la rue il est possible de tomber sur quelqu’un à n’importe quelle heure, c’est très rare sur la voie ferrée. Si on entend un bruit il y a de fortes chances que ce soit la ferroviaire et il faut se casser.

Pourquoi ai-je fait énormément de vandale ? Parce que l’adrénaline est thérapeutique. Cela m’a permis de dégager énormément de frustration. Je pourrais dire que j’ai une âme d’artiste, car en peignant je dégage de l’émotion. Si certains trouvent leur équilibre dans le sport, je l’ai trouvé à l’époque dans le vandale. Lorsque je prenais le train au retour j’étais sale et fatigué, les gens me regardaient bizarrement. Ils ne savaient pas combien j’étais heureux, fort de ce que j’avais dégagé, de mes photos, de tous ces souvenirs magiques, crevé mais d’une bonne fatigue. Je pense que je ne serais plus là à l’heure actuelle si je n’avais pas eu ça. J’étais dans un mal être et l’adrénaline m’a sauvé.

Peux-tu retrouver cette sensation quel que soit l’endroit où tu peins ?

On la retrouve aussi dans la rue car à cause du monde on doit peindre encore plus vite. Il y a également plus de flics alors que sur la voie ferrée on a plus de temps, mais il faut être nyctalope pour pouvoir y travailler. Combien de fois me suis-je fait arrêter ? Aujourd’hui je ne cours plus car je ne veux plus prendre de risques. Il y a beaucoup d’histoires de petits qui ont voulu fuir les flics et qui sont morts car ils ont sauté dans l’eau. Sur la voie ferrée, il faut faire super gaffe, comme dans le métro où le troisième rail a tué beaucoup de monde. Le vandale est une passion à risques. Lorsqu’on fait une élévation, que l’on monte sur les toits, il faut faire attention. Il m’est arrivé de monter et de redescendre sans rien faire car le danger était trop grand. Certains jeunes sont trop fougueux, n’y font pas attention, et parfois ils tombent. Je continue pourtant car c’est dans mes gènes. Dès que j’ai bu un verre je sors mon marqueur pour faire un tag, même si je sais qu’il ne faut pas que j’en fasse pour ne pas me faire reprendre. Ce n’est pas glorieux de se faire arrêter devant sa mère, de prendre trente mille euros d’amende, le tout pour avoir mis de la couleur sur les voies ferrées. Ironiquement, la SNCF m’a embauché plus tard en tant que graffeur, ce qui paraît improbable. Je travaille aussi pour des associations ou des actions bénévoles. Les bonnes causes le méritent, surtout lorsqu’on se rappelle qu’il s’agit à l’origine d’un art gratuit et pour tout le monde.

Considères-tu que les voies ferrées témoignent d’une démarche pour soi ou pour les autres ?

Quand je peins en illégal c’est avant tout pour moi : comme pour une thérapie, je pars du principe qu’il faut que je me fasse du bien. Ensuite cela devient un partage. Pourquoi ? Les gens qui prennent le train tous les jours et voient mes productions me disent souvent en me rencontrant : « Ah c’est toi que j’ai vu pendant tant d’années. » En fin de compte, cela veut dire que j’ai impacté leur vision, leurs souvenirs du matin lorsqu’ils vont travailler.

MONTRER LA VOIE

Quel est ton rapport au temps, entre l’adrénaline du moment, le caractère éphémère des pièces créées ou les souvenirs gardés en mémoire ?

Quand une de mes prods disparaît j’ai un petit coup au cœur, tout en étant conscient depuis le départ que c’est un art éphémère. Mais j’ai mes photos, mes souvenirs, j’ai profité du moment, c’est ça qui est important. Comme c’est un art de rue, il faut aussi laisser la place aux autres. Il y a parfois des durées improbables : des pissotières sur lesquelles on pense que ça va rester mais qui sont effacées le lendemain, ou au contraire une bomba à côté du pont Alexandre III qui est là depuis des années. Comme c’est un endroit où les mariés viennent se faire prendre en photo, cela signifie que l’on retrouve un petit peu de mon travail partout dans le monde. Je ne touche pas les monuments, les églises ou les cimetières, respectant toujours la surface et le lieu. S’il est naturellement beau, je ne vais pas le pourrir. Mais le souvenir c’est aussi l’endroit, la sensation, l’odeur. Parfois je ne me rappelle plus de ce que j’ai peint, mais je me souviens du copain qui est tombé de l’escabeau. On pourrait tous écrire un bouquin, c’est ce qu’a fait Comer. Les voies ferrées, les dépôts de train, le procès de Versailles… Je l’ai lu en une soirée car je m’y retrouvais. Il n’y a que nous qui prenons autant de risques pour mettre de la couleur, dans un délire égocentrique notamment lorsque la station Louvre-Rivoli a été cartonnée et que le résultat est passé au journal télévisé. Cela a changé l’image du graffiti. Lorsque les premiers graffeurs ont commencé sur les quais, les flics ne comprenaient pas. Il n’y avait pas de loi sur la dégradation, pas d’arrestation. A partir de là tout a changé. C’était l’époque où il y avait des tags partout, même sur les portes d’entrée. Il y a eu l’article 322, la loi sur la dégradation, la brigade.

Je ne suis pas forcément « clean », j’ai eu ma vie de marginal pendant suffisamment longtemps. Je me suis fait arrêter par la brigade de la voie ferrée qui regroupait des passionnés devant ma mère, alors que je fais une exposition dans un petit bar. Mon appareil photo contenait une image de moi en train de peindre une Bomba. Comme j’étais grillé j’ai avoué. J’étais comme un trophée pour eux, et leur bureau contenait des pièces de tout le monde, mais aussi les black books des artistes du procès de Versailles. C’est un historique incroyable du Graffiti français, avec les photos, les blazes. Ils prennent les graffitis en photo, les barrent, pour ensuite les répertorier dans une base de données qui s’appelle Octopus. Ils m’ont ainsi proposé de sortir plus tôt si je réalisais un dessin et comme je refusais ils ont fini par coller sur leur ordi des stickers récupérés pendant l’exposition. Une façon de montrer aux autres qui ils avaient attrapé. Au tribunal de grande instance j’ai pris trente mille euros d’amende, opposé à la SNCF et la RATP. Cela s’est mal passé car je parle avec mon cœur, sans phrases toutes faites. Sur le moment j’ai arrêté de peindre sur les voies ferrées, mais je me suis rattrapé en allant beaucoup plus dans la rue. C’est à partir de là que le public a commencé à réaliser qui j’étais et qu’on m’a proposé mes premières expositions en galerie. Cela a un peu changé la donne, même si j’ai toujours peur qu’ils débarquent un jour à la maison pour faire une saisie. C’est un plaisir aujourd’hui de peindre des fresques illégales tout en ayant les policiers qui parfois te saluent. Il y a eu suffisamment de répression, de coups de bâton à cause d’un tag, de spray projeté au visage car ça les amusait lorsqu’ils t’ont arrêté. D’ailleurs, ils ne percent jamais les bombes qu’ils récupèrent, car eux-mêmes ont des graffs sur les voies ferrées ! Ils ont un blaze, les Catz, mais aussi toutes ces pièces que l’on peut voir avec une croix et un trait. Au départ on pensait que c’était un mec qu’on connaissait qui toyait tout le monde, avant de comprendre que c’était en réalité la ferroviaire.

Est-ce important pour toi d’être un exemple pour les jeunes ?

A l’époque à Meaux c’était très compliqué. Le hip-hop était la seule chose qui nous permettait de tenir sans dealer ni faire de conneries. Heureusement que les grands du quartier nous prenaient sous leur aile. Le dessin et le graffiti m’ont ainsi permis de prendre une autre direction. Lorsque Jean-François Coppé est arrivé, il a mis en place le plan Décentralisation Sécurité et a commencé à faire détruire des bâtiments dans les quartiers très excentrés. D’un certain côté cela était nécessaire car ils contribuaient à créer un ghetto. De l’autre, cela a rasé toute la scène hip-hop locale, qui avait pourtant un gros potentiel. La Fantastik Armada vient de Meaux. On nous a alors cassé la seule chose que nous avions. Plein de potes bourrés de talent ont été cassés par ce système et par la vie. Ils sont devenus alcooliques ou drogués, sont tombés au plus bas et sont désormais trop usés pour remonter la pente. On m’a démoralisé un million de fois, mais j’ai cru en moi et me suis battu. Finalement, Jean-François Coppé a fini par me serrer la main car j’ai fait un graffiti à Meaux, qui a suivi cette ligne du tourisme artistique qui a permis à des villes comme Vitry de se transformer. Je suis content car cela prouve que nous n’étions pas des petits délinquants, que ce que nous avons fait n’était pas rien. Un jeune comme Rabel m’a dit que j’avais coloré son enfance. Quand j’ai eu ce projet je l’ai mis direct dessus car il le méritait. Aujourd’hui, les petits qui s’accrochent commencent à en vivre un peu, à la différence de notre génération qui ne pensait pas faire d’argent avec. Je leur répète cependant de ne pas oublier de kiffer. J’ai trois règles dans le graffiti : d’abord le kiff, le délire, la thérapie personnelle. Ensuite, le regard des gens, des graffeurs aux passants. Enfin, l’argent et la possibilité d’en vivre. Cela passe en dernier car j’ai peur qu’y penser change mes pensées et ma création.

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Photographies: MG la Bomba

Vous pouvez retrouver MG la Bomba sur Facebook et Instagram.

Entretien enregistré en janvier 2022.

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