Žilda
C’est le plus souvent en dehors des sentiers battus que se construit l’œuvre de Žilda. En effet, ses installations, qu’elles soient nichées au milieu de la forêt, sur la coque d’un bateau attendant que la marée monte ou dans les ruines d’un palais napolitain, ne sont pas toujours visibles par le spectateur. C’est que pour lui, la peinture ne vit que par rapport à un lieu, et tant pis si celui-ci n’est pas dans des artères bondées ou au milieu du passage. Dans ces endroits, l’artiste fait revivre par petites touches les œuvres des oubliés de l’histoire de l’Art, de ceux qui ne sont pas forcément mis en valeur dans les musées. Comme il le dit lui-même: “Il n’y a pas l’Histoire de l’Art de ceux qu’on retient et celle de ceux qui pourrissent dans les caves du Louvre.”
Ainsi, le travail de Žilda ne repose pas seulement sur la méticulosité de la préparation. C’est aussi un travail de chercheur et d’historien, comme lorsqu’il décide de se lancer dans une quête iconographique autour de la figure des Saints bretons. A l’encontre du caractère éphémère de l’art de rue, celui-là se dévoile dans le temps. Chaque figure est unique, porteuse d’histoire pour celui a la chance de la regarder.
FORMATION ET MÉTHODE DE TRAVAIL
Comment es-tu devenu artiste ?
J’ai toujours dessiné au fond de la classe et après mes études je me suis perfectionné dans la peinture. C’était hors de question de passer par une école pour qu’on me tienne le pinceau, alors j’ai appris en autodidacte en travaillant d’après des toiles de maîtres. Au bout de deux ans enfermé à reproduire des œuvres de Van Gogh, Rembrandt ou Murillo, j’avais la technique en poche et je me suis dit qu’il était peut-être temps de trouver mon propre mode opératoire et de sortir prendre un peu l’air…
Pourquoi travailler par cycle ?
J’ai toujours aimé travailler par cycle, empoigner une thématique et l’étudier longtemps, vivre un sujet à fond pour le peindre. Mais au bout d’un certain temps, plutôt que de m’encroûter confortablement dans ce que je maîtrise déjà, je préfère chercher un souffle nouveau sur une page vierge, construire d’autres histoires en ouvrant de nouveaux chapitres.
Quelles sont les étapes de la réalisation de l’œuvre ?
Le travail commence au pied d’un mur qui m’inspire : je réfléchis alors à une œuvre qui pourrait s’y inscrire. J’interprète librement cette oeuvre en veillant cependant à ne jamais annuler l’esprit et la touche de l’originale. Je réalise d’abord une épreuve au dessin : sa trame servira d’architecture à la peinture à venir. L’ensemble donne un résultat difficilement discernable et les gens se demandent souvent ce à quoi ils font face. En effet, je travaille au pinceau, à l’huile et à l’acrylique, avec un outillage à chaque fois différent : eyeliner, TIPex, brosse à dent, feuille d’or, etc. afin de jamais employer exactement la même méthode. La peinture est un art fabuleux, il ne faut jamais s’en dégoûter mais toujours y voir une dimension ludique à laquelle on ajoute de nouveaux éléments.
choix du cadre
Comment choisis-tu les lieux d’installation de tes peintures ?
Tout démarre en trouvant des endroits inspirants qui expriment des choses intenses. Ce sont souvent des lieux reculés, peu accessibles, qui nécessitent d’escalader une grille ou de se perdre en forêt… On se retrouve ainsi dans des lieux où le temps s’est arrêté, avec de grandes particularités de langage et d’atmosphère.
Comment associes-tu l’atmosphère de ce lieu à une peinture ?
Chaque mur qui attire mon attention renvoie à une émotion : une mélancolie, une douleur, un spleen. Je m’assieds, allume une clope et essaie d’entrer en connexion avec les tableaux que j’emmagasine. Parfois le déclenchement se fait, parfois non. A d’autres moments je déniche un endroit incroyable, mais ne trouve pas l’inspiration pour y inscrire quelque chose. Il faut toujours que je trouve l’adéquation, qui peut être aussi une contradiction, entre le lieu et l’œuvre.
Agir dans des lieux isolés rend l’œuvre moins accessible au regard du public.
Je ne suis pas très fan du positionnement du Street art qui recherche la lisibilité à tout prix. Ma démarche va complètement à l’encontre de cela. Mon truc, c’est avant tout me faire plaisir et raconter des histoires dans des endroits qui me parlent.
En plus de ne pas être très accessible au public, ma peinture est éphémère et disparaît au fil du temps. De fait, je considère que la finalité de mon travail est photographique et s’arrête avec la prise de vue. L’attente de cette image peut être longue, parfois des journées entières, pendant lesquelles il n’y a pas la bonne lumière. Le résultat est parfois imprévu : à Naples, où j’ai l’impression que tout est possible, je me suis retrouvé enfermé dans un palais abandonné après avoir installé une scène sur le toit. On était entre chien et loup et, après avoir attendu longtemps, la pleine lune est apparue, éclairant la scène d’un rayon mystique. Travailler dans ces conditions était incroyable ! Ensuite, j’ai passé trois heures avec un briquet pour essayer de ressortir. C’est souvent le prix à payer pour capter un beau moment.
Du coup, considères-tu la photographie comme le résultat de ton travail ? Comment la conçois-tu ?
Mes photographies expriment mon regard sur la scène à travers le choix du cadrage et l’angle est toujours frontal pour ne pas modifier les perspectives.
Cette composition est souvent anticipée car je prends du plaisir à réfléchir en amont à des éléments qui viendront activer la scène. Par exemple, à Lorient, j’ai travaillé sur une série de peintures spécialement installées un jour de grande marée. L’idée était de créer des scènes dans lesquelles mes personnages auraient les pieds dans l’eau et finiraient complètement avalés par la mer. C’était une démarche totalement improductive car j’ai passé des mois à bosser là-dessus pour finalement tuer littéralement mes images à peine collées. Phrosine et Mélidore ont eu un temps de vie si court qu’elles n’ont pas été visibles par le public. Ma satisfaction venait alors vraiment de la fabrication de cette scène.
C’est un véritable travail de photographe dans la composition de l’image.
Le défi est de toujours aller plus loin, notamment sur l’aspect plastique. L’assassinat de Marat est le résultat d’une envie de travailler avec du mobilier, en collaboration avec Rö. C’était un pur délire plastique, la jonction entre la partie picturale et l’installation.
A Naples, il m’est arrivé de créer des décharges au pied de mes personnages pour casser le côté trop romantique de l’image. Trois marins bourrés me regardaient balancer des chaises et des pneus, éclatant de rires comme d’éternels gamins. Ils avaient compris la démarche et ont été chercher tous les déchets qu’ils ont pu trouver pour m’aider.
Est-ce qu’il t’arrive d’avoir la démarche inverse ?
Je ne me balade pas avec une peinture sous le bras à la recherche d’un lieu où elle pourrait s’intégrer. Je travaille toujours sur mesure en fonction d’un endroit précis. Cela me demande tellement de temps de préparation qu’il m’est arrivé de revenir sur l’emplacement de friches qui n’existaient plus. Je me retrouve alors avec des peintures jamais installées ou jetées car il est hors de question pour moi de les recycler sur un autre mur.
J’ai une fois travaillé sur une Pietà que j’avais installé à Paris. J’étais parti prendre un café le temps que la colle sèche mais à mon retour la peinture avait disparue sans que je puisse la photographier. Je ne l’ai pas refaite une seconde fois car c’est une expérience à chaque fois unique et j’ai trop de choses à faire pour pouvoir radoter.
naples
Quel est ton rapport à la ville de Naples ?
La première fois que j’y suis allé, j’ai trouvé cette ville éreintante. Mais j’ai eu la chance d’y revenir avec des gens qui la connaissaient et je l’ai ainsi redécouverte jusqu’à l’apprivoiser. C’est incroyable de voir ce que l’on peut accumuler comme sensations en très peu de temps à Naples où plusieurs ambiances cohabitent à chaque détour de rue. Ce qui me stimule c’est de travailler sur l’émotion et lorsqu’on se retrouve dans un tel vivier, cela devient volcanique ! Du coup, j’ai été pris d’une frénésie de travail sur place, à aucun moment je n’ai produit aussi intensément. Les histoires à Naples ne s’arrêtent jamais et mon rapport à cette ville est très intense. Un lien très fort s’est aussi soudé avec les napolitains, qui n’a pas de pareil.
La peinture y a-t-elle un écho plus grand dans la vie quotidienne ?
Parler de cela revient à parler du regard, or c’est toujours intéressant de voir la manière dont est reçue une image. En France, si tu travailles sur des allégories ou des choses qui ne délivrent pas une explication immédiate, on va raisonner et donc enfermer l’œuvre dans des grilles de lecture. A Naples, on prend l’image pour ce qu’elle est et elle rentre directement dans le sang ! Les napolitains vivent dans une ville qui regorge de joyaux, où tu peux côtoyer une peinture du Caravage le dimanche en allant à l’église. Cela explique sûrement leur rapport si particulier aux œuvres : ils ne font pas que cohabiter avec elles, ils les absorbent.
traqueur d'art et saints bretons
Ton travail s’intéresse particulièrement aux laissés pour compte de l’histoire de l’Art.
On m’a souvent dit que je ne m’intéressais qu’aux losers de l’histoire de l’Art. Les gens ne savent généralement pas prononcer le nom des peintres allemands ou roumains que je réinterprète. Pour autant il ne s’agit pas pour moi d’une sous-catégorie d’Art. Il n’y a pas d’un côté l’histoire de l’Art de ceux qu’on retient et de l’autre celle de ceux qui pourrissent dans les caves du Louvre. Je me laisse guider par l’émotion et si un peintre me touche alors qu’il n’a rien laissé à la postérité je n’en ai rien à faire. Cela explique sans doute pourquoi je suis souvent amené à sortir d’un répertoire d’œuvres rabachées.
Comment les as-tu découverts ?
C’est une curiosité boulimique. Un illustrateur comme Sascha Schneider me fascine, il a réalisé des choses incroyables bien qu’on ne trouve pas un musée qui lui est dédié. J’ai découvert deux de ses dessins et voulais tout connaître de lui. Cela peut mener assez loin: si j’apprends par exemple qu’un collectionneur ou un particulier détient une lithographie, j’enfilerai mon costume de premier de la classe et j’irai le voir en me faisant passer pour un thésard. C’est ma méthode pour aller découvrir et photographier des pépites, absentes d’Internet et des bibliothèques, que les gens détiennent chez eux.
Tu deviens alors traqueur d’Art et met en lumière des pendants oubliés de notre mémoire collective.
Je référence toujours ces peintres pour les honorer et perpétuer leur travail. Mais il m’arrive aussi de ne pas m’appuyer sur une œuvre préexistante, pour être dans la création pure. C’est le cas de mon projet actuel qui aborde des sujets qui n’ont pas ou peu été traités en peinture : les saints et les saintes bretonnes.
Hormis quelques naïves sculptures d’église ou de fontaines, je ne travaille d’après aucune iconographie réaliste. Ainsi, l’outillage se transforme lorsque je traite ces sujets. Je m’offre ainsi la liberté de glisser des influences moins évidentes. Pour représenter une sainte, j’emploie la somme de mes connaissances techniques, en y greffant des choses que j’ai vues de mes yeux comme l’expression d’une femme dans le métro. J’essaie de mémoriser la fragilité d’un instant, un petit air de mélancolie sur un visage et je le gribouille le soir. Tout cela reste référencé même si la base de données est moins évidente. Aucune création ne sort de nulle part ! Un artiste est avant tout un observateur qui bricole avec tout ce qu’il absorbe. Comme dit Stupeflip, c’est « prendre des p’tits bouts d’trucs puis les assembler ensemble et écouter le résultat tranquille, dans ma chambre ».
Considères-tu alors faire un travail d’historien ?
Mon travail actuel est composé à 70% de recherches en bibliothèque, de portes fermées que je défonce pour accéder à des documents rares, mais aussi de témoignages que je vais recueillir auprès des anciens avant que tout leur savoir ne disparaisse. Le reste du temps je sillonne les quatre coins de la Bretagne pour visiter des vestiges témoignant de vieilles croyances populaires : des chapelles, des fontaines, des châteaux en ruine… Je m’intéresse à des légendes qui se meurent peu à peu et qu’il faut reconstituer à partir de bribes, d’ellipses, d’éléments historiques contradictoires. C’est un peu comme un puzzle géant qu’il faut assembler : il y manque beaucoup de pièces mais ce manque d’appui est le meilleur stimulant qui existe ! Je passe donc beaucoup plus de temps à me plonger dans des grimoires, des cantiques bretons, des gwerz ou des contes qu’à peindre… Au final mes peintures se doivent de trouver une résonance dans des lieux légendaires bien souvent reculés. Par exemple pour trouver le lieu où installer Sainte-Noyale, j’ai dû arpenter tout son territoire pontivyen jusqu’au plus profond de la forêt avant de trouver cette majestueuse fontaine qui lui est dédiée. A part des oiseaux et quelques chevreuils, presque personne ne rencontrera cette œuvre. Ce qui compte vraiment, c’est le sens que cette sainte vient trouver dans l’esprit du lieu : elle resurgit à l’endroit précis où elle était venue chercher sa sépulture, il y a de ça environ mille cinq cents ans.
Pourquoi avoir choisi d’entreprendre ce travail ?
Je crois beaucoup au langage de l’inconscient qui nous happe pendant des semaines ou des mois sans savoir pourquoi, puis qu’on oublie un temps avant qu’il resurgisse des années après. Ce serait dommage de fixer un raisonnement dessus. Cette chose, même faite accidentellement, peut développer un écho dans ta vie, comme si cette préoccupation était déjà inscrite en toi et n’attendait qu’une occasion pour te sauter au visage. C’est le cas quand tu abordes la religion ou la mythologie, qui renvoient souvent à des situations personnelles. La peinture est un langage, qui contient de véritables prémonitions.
collage et éphémère
Pourquoi avoir choisi de faire du collage ?
À une proposition indélébile je préfère ce que raconte le papier, comme une page qui ponctue la vie d’un mur le temps d’une saison. J’aime le fait que ce soit dérisoire : je mets du cœur dans mon travail, j’y crois à fond, tout en sachant qu’il n’a pas pour vocation de durer. C’est fou de mettre des vitres pour protéger les œuvres ! C’est comme si l’on avait peur du contact direct entre l’œuvre et les gens. Pourtant c’est leur droit de dire qu’ils ne sont pas d’accord. Il est indécent d’être dans une posture de colon urbain avec une pièce qui reste des années, protégée par la municipalité. A l’inverse, une œuvre qui dépérit, qui est plus rare, ponctuelle et discrète ne peut-être que plus belle, non ?
L’aspect éphémère de l’œuvre compte beaucoup dans ton travail.
Ce n’est pas trop mon truc d’exprimer un point de vue durable à l’air libre. Tout change, même ta vie, même ta ville. En ce moment, Rennes ressemble un vaste chantier, le paysage urbain est en pleine métamorphose alors pourquoi chercher à s’inscrire dans le temps ?
Je trouve qu’il y a plus d’intérêt à aller voir si tel collage existe toujours sans en être certain. Par l’indélébilité d’une proposition, on impose un point de vue en sachant que c’est une marque durable. Tu te rends compte dans combien de regards cela rebondit et s’imprime ? C’est la même stratégie utilisée par les publicitaires pour asséner leurs produits dans les cervelles ! Hélas, la tournure que prend le Street art est celle-ci. Il y aura de moins en moins de petits gars qui feront des trucs à échelle humaine de manière désintéressée, pour un appel du toujours plus grand et du toujours plus visible. D’un démarrage tranquille on est passé à l’objectif à atteindre.
Quelle est l’importance pour toi de résister à cette tentation ?
Chaque jour est fait de micro-concessions lâchées à ses idées initiales: tout en veillant à garder l’essence de ce que l’on a été, il faut checker les bonnes paluches. J’ai toujours refusé d’entrer en galerie pour ne pas qu’on spécule sur ma peinture qui reste constituée de rêve et de sueur. Le street artiste fait avant tout fantasmer les bourgeois : moi, cela fait quinze ans que je fais mon petit bonhomme de chemin loin d’eux et du circuit commercial traditionnel. Je ne changerai pas de cap. Mais, si l’on peut décider de vivre complètement exclu de ce système, on apprend cependant que les gens n’en ont pas grand-chose à faire. La plupart des artistes sont sur Facebook pour étaler au monde des choses rendues insignifiantes par des followers qui likent comme des tarés. Est-ce que je mérite une médaille pour refuser cela? Non. Est-ce que les gens en ont quelque chose à faire ? Non. C’est une chose que l’on garde pour soi, comme une sorte d’intégrité. Mais il est difficile de vivre dans un système de communication sans obéir à ces lignes toutes tracées.
Comment perçois-tu les artistes qui cherchent avant tout à avoir du succès ?
Céline disait que la création c’est mettre ses os et sa peau sur la table, donner quelque chose de soi qui vient de très loin et je suis assez d’accord avec cela. Mais pour ces financiers de l’Art, que veut réellement dire l’acte de création ? Pourquoi ces œuvres sont-elles venues au monde et que viennent-elles vraiment apporter à l’humanité ? Il est délirant et violent de voir à quel point on s’est éloigné du sens originel du mot « créer ». Et c’est désormais terriblement banal de constater que l’Art n’est plus qu’un simple produit de consommation comme un autre.
Photographie de couverture réalisée par Colin Torre.
Vous pouvez retrouver Žilda sur son site internet.
Entretien enregistré en avril 2017.
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