Fé_tavie

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Un mur pour raconter des histoires

Ceci est une introduction : saint oma street art.

“Je ne dessine pas des femmes guerrières pour rien. Il y a vraiment une notion de combat féministe à avoir. En effet, depuis que j’ai décidé de faire ça de ma vie je me heurte au monde des hommes. Plus, je ne pensais pas que je serai freinée dans ce milieu où l’on parle beaucoup de liberté parce que je suis une femme.”

parcours

Comment es-tu devenue artiste ? Quand as-tu commencé dans la rue ?

C’est encore un peu compliqué pour moi de me considérer comme artiste, car je n’ai pas grandi dans cet environnement. Je dessinais les fleurs du jardin de ma grand-mère mais c’est en 2016, alors que j’étais étalagiste et que je voyageais beaucoup en Europe et notamment à Berlin que j’ai découvert la culture du sticker. J’en ai fait pendant un an, avant progressivement de me tourner vers le paste-up, l’affiche et la peinture murale.

Ton travail a connu des évolutions esthétiques fortes, tant du point de vue graphique (des culottes aux animaux) que dans l’utilisation des mediums (du sticker à la peinture murale).

J’aime beaucoup une expression qui dit : « On sait ce dont on est capable lorsqu’on le fait ». Quand j’ai posé un premier sticker je ne me serais jamais vue peindre un mur extérieur de quatre mètres. Pourtant tout suit un processus logique : j’ai commencé à dessiner avec le sticker, avant d’utiliser l’affiche pour travailler sur des compositions. Cela s’est ensuite poursuivi avec des montages assez simples, des culottes avec des fleurs que je posais principalement à l’étranger. Tout à coup il y a eu la Covid, et je me suis retrouvée chez moi, dessinant beaucoup. Alors que j’avais démarré sans me prendre au sérieux, j’ai voulu raconter quelque chose de plus personnel, ce qui n’est pas forcément facile. Le dessin a été une solution pour y parvenir. C’est avec le confinement que j’ai commencé à dessiner des renards, alors que je n’avais jamais tracé d’animaux auparavant.

Que représentaient pour toi ces culottes ? Pourquoi avoir stoppé brutalement ?

J’ai commencé en m’amusant, mais on ne me prenait pas au sérieux dans le milieu. On trouvait ça mignon, rigolo, gentil, ou féministe, mais peu crédible. C’était aussi une question de moment : je n’étais pas dans l’optique d’adopter cette profession à plein temps. Il s’agissait plutôt de faire de l’art au féminin, mais je ne me voyais pas faire toute ma vie dessus. Néanmoins, le fait de les coller m’a ouvert plein de perspectives. Pendant un moment j’étais en transition, je faisais des culottes et des animaux et ça n’allait plus.

DES ANIMAUX PERSONNAGES

Tu es progressivement passée du multiple à l’original, allant jusqu’à donner des noms à tes créations.

Quand je dessine un renard je ne passe pas à autre chose juste après : j’en ai dessiné un très grand nombre, jusqu’à pouvoir les transformer en personnages, auxquels je donne des prénoms, des caractéristiques propres. Il y a cette envie de représenter un animal qui me touche, qui a sa propre histoire et me renvoie aussi à la mienne, notamment aux balades en forêt que j’ai pu faire petite avec mon papa. Alors qu’il est incompris, classé dans les nuisibles, le fait de le dessiner encore et encore lui permet d’intégrer une famille. Maintenant que j’arrive à avoir un « gros bestiaire » (comme dirait Marquise), ces animaux en vont même jusqu’à composer une petite armée. Il y a des animaux qui vont rester, d’autres qui vont arriver, d’autres enfin que je ne dessinerai jamais. Les chats ne me touchent pas, pour ma part je préfère les loups et les animaux des bois.

A travers cette personnification des animaux, tu ajoutes aussi une dimension narrative à ton travail.

Quelqu’un m’a dit aimer mon travail pour les histoires que je raconte. Au début, je ne mélangeais pas les animaux, mais désormais je les fais interagir, les place avec des humains, leur donne des expressions. En décembre dernier j’ai peint ma première huile sur toile, une composition complexe avec des animaux qui s’intitulait « Les nuisibles ». Les titres que je donne sont toujours très importants dans mon travail. Ici, il permettait une double lecture : au premier abord, on voit des jeunes avec des animaux. Mais ils n’étaient pas choisis au hasard : la belette, les étourneaux ou le renard sont tous classés dans la catégorie des nuisibles et extrêmement chassés. Les jeunes arboraient certains symboles comme des pattes de loup, signifiant leur engagement. Ensemble, ils formaient un groupe commun pris pour cible par une certaine partie de la population.

Ton trait lumineux rappelle les illustrations de livres pour enfant.

Je ne suis pas contre le fait d’utiliser ce mot mais souvent les gens les regardent de haut, comme si on ne pouvait pas être un adulte et aimer des choses toute simple, comme les livres pour enfants. J’emploie surtout les couleurs primaires, les mélange peu. J’ai grandi avec Martine, Caroline, le Disney Club. Martine est accompagnée du chien Patapouf et du chat Moustache. Caroline vit dans un monde dans lequel les chats portent des salopettes et les chiens des pantalons. Ils ont des prénoms et leurs couleurs sont très vives. Peut-être que cette inspiration se retrouve dans mon travail. J’ai toujours aimé les illustrations, l’aspect bande dessinée. Il arrive que dans un tableau on ne puisse pas tout expliquer, que je ne parvienne pas à choisir l’expression la plus appropriée. Dans un ouvrage illustré je pourrais en mettre plusieurs et c’est notamment pour cela que j’aimerais bien en dessiner.

Travailles-tu tes animaux d’abord par le trait ou par le choix des couleurs ?

Mon trait commence déjà à évoluer. J’avais un cerné noir, mais en passant à la peinture à l’huile j’ai dû l’affiner, ce qui m’a obligé à travailler les mélanges de couleurs. Je peins mes renards dans une teinte orange bien précise, même s’il peut arriver que j’y ajoute des pointes de bleu ou de rose pour m’amuser.

DU SKETCH A LA FRESQUE

Comment as-tu basculé vers la fresque ?

J’habite depuis toujours à Aubervilliers : auparavant, je vivais dans la cité, avant de déménager sur le canal Saint-Denis. Tous les jours je voyais ces murs accessibles et autorisées en bas de chez moi. J’ai voulu tester et cela m’a tout de suite plu. Aujourd’hui ils constituent pour moi des zones d’entrainement très importantes. Je suis très fière de mes racines, cinquante pour cent albertivillarienne, cinquante pour cent normande. Je crois qu’on est toujours à l’aise lorsqu’on peint à la maison. Tout ce que je fais comporte ainsi des références à Guillaume le Conquérant. Cela va faire quarante ans que j’habite ici et c’est très important pour moi de me dire que ma pratique du mur vient du fait d’avoir pris une fois un pinceau pour aller sur le mur en bas de chez moi, de me dire que la chance que j’ai eu c’est ma ville qui me l’a donné.

Ton travail sur le croquis permet-il une recherche ou se veut-il une préparation avant un mur ?

C’est un travail d’étude et de recherche car ne dessinant pas depuis très longtemps, j’ai besoin que mon dessin reste fluide lorsque j’arrive devant un mur ou devant une toile.  Par la répétition je parviens à développer une mémoire du trait. Après avoir dessiné cent cinquante renards je suis plus à l’aise, et n’ai plus à regarder mon croquis pour savoir l’expression que je souhaite lui donner. J’ai ainsi des pochettes entières de sketchs sur chacun de mes animaux que je ne montre pas, beaucoup plus en réalité que de toiles ou de murs achevés. Récemment j’ai développé un autre style d’étude à l’aquarelle : travaillant avec des projections de couleur, j’ai besoin de savoir comment elles vont s’agencer. J’ai d’abord pensé que ce travail d’étude n’intéressait personne, mais maintenant je commence à me dire qu’il est aussi important que la pièce terminée et mérite d’être montré.

Tu parles de murs « d’entrainement » : tout est-il exercice ?

Je suis une éternelle insatisfaite. Mon père me demande pourquoi je n’expose pas telle toile : je lui réponds qu’il s’agit d’une toile d’entrainement. J’ai beaucoup de mal à me dire que c’est fini. Quand je termine un mur je vois ce qui ne va pas, c’est ce qui me donne envie de passer au suivant. J’ai énormément évolué en quelques années, et je ne sais pas si un jour je considérerai que ce n’est pas un exercice. Je m’ennuie très vite et ne pourrais pas faire systématiquement la même chose. Quand les animaux ont fonctionné j’ai voulu passer aux êtres humains et maintenant je commence les décors, c’est sans fin !

Quelle différence fais-tu entre tes peintures murales et ta pratique du collage ?

Je continue de faire du collage, cependant le mur me prend beaucoup de temps entre les croquis préparatifs, la recherche du matos et la peinture elle-même. Comme c’est une pratique que je débute je la travaille plus pour pouvoir progresser. Cependant, le collage m’intéresse toujours car il permet d’aller dans des endroits où l’on n’est pas attendu et d’avoir ainsi accès à davantage de gens. En voyage on peut aussi le transporter dans une valise ou un sac à dos.

Tu décides d’utiliser le pinceau comme outil lorsque tu réalises tes murs.

C’est une question de feeling et de plaisir. Quand j’ai commencé on m’a dit qu’il fallait graffer, utiliser la bombe. Mais cela ne m’a pas plu car avec on est alors trop éloigné du mur, or j’apprécie ce contact avec le support. Je n’avais jamais peint avec un pinceau auparavant, c’était donc une sensation étrange, qui me permette de travailler la matière. Je vide donc mes bombes dans des gobelets pour pouvoir utiliser mes pinceaux ! J’utilise cette peinture car les pigments utilisés sont forts, mais j’ai besoin de projeter, qu’il y ait plusieurs couches, qu’on voit l’épaisseur. Je travaille alors à l’envers, peignant d’abord le fond car mon personnage est toujours partiellement transparent avec la couleur de base. La projection crée un aléatoire car je ne sais jamais le mouvement qu’elle donnera à l’ensemble.

PEINDRE DANS LA VILLE

Quel est ton regard sur l’éphémère alors que tu es passée du collage qui dure très peu à la fresque murale, plus pérenne ?

Quand j’ai commencé à coller dans la rue à Londres, reprendre l’Eurostar sans savoir ce qu’il adviendrait de mon collage était psychologiquement très dur. Mais on se rend alors compte que l’important est ce qu’il se passe au moment de poser une pièce. Avec l’éphémère, l’instant décisif est cellui du collage, du partage avec les gens, des discussions, des rencontres. J’ai eu tant d’œuvres détruites que désormais lorsque je suis devant un mur je n’ai pas cette appréhension car je sais qu’il faut profiter de l’instant. Si je me demande qui va le voir ou le prendre en photo je ne vais pas en profiter. Je n’ai encore jamais eu accès en extérieur à un mur véritablement pérenne mais le collage a été une bonne école.

Le fait de peindre une fresque change aussi le temps d’action dans la ville.

On ne voit pas du tout les mêmes personnes. Les collages sont recherchés par les chasseurs qui nous connaissent. Les échanges ne se font pas dans la rue, mais après sur Instagram. Mais peindre un mur prend une journée et permet de croiser des gens qu’on ne voit pas d’habitude : des personnes qui partent travailler, des gamins qui reviennent de l’école, des pompiers qui s’entraînent. C’est une population différente, qui est à domicile.

En quoi la rue est-elle un espace de création particulier ?

Il y a une notion de liberté qui est extrêmement importante. J’ai fait des études de stylisme avant de travailler dans le prêt à porter, mais en gravissant les échelons je n’étais pas heureuse. L’encadrement était trop important : il fallait toujours obéir aux ordres, d’avoir des horaires et des collègues fixes, de ne pas choisir ses périodes de vacances. Dans la rue on est libre de choisir quand on va coller, où, ce que l’on fait, la photo que l’on prend, que l’on partage. Je crois n’avoir jamais vu une notion de liberté aussi large que celle-ci. C’est étonnant de voir à quel point on est conditionné par la société : pour poser mon premier sticker sur un poteau je tremblais comme une feuille, alors qu’aujourd’hui peindre une fresque ne me fais plus rien. J’ai réalisé qu’il ne se passait rien, que cela me faisait du bien et que je pouvais prendre toutes ces décisions. Lorsque je collais les gens me disaient parfois qu’ils allaient appeler la police, me rappelant alors que je faisais quelque chose d’illégal. Mais ce n’est pas une chose que je fais pour me rebeller contre le système, plutôt une réaction à ce qu’on voudrait m’empêcher de faire. Cependant, le Street Art est tant marqué par le collage qu’il est difficile de le considérer comme une action vandale aujourd’hui à Paris.

Comment choisis-tu ton cadre sur le mur ?

En général je pars toujours d’une envie, je suis à fond dans les chevaliers. Les femmes dans le street art et le monde de l’art c’est très compliqué donc il y a un moment fight donc j’ai envie de faire une femme urbaine avec un casque de chevalier. Ici on sait qu’on est sur un mur de 2,5 mètres donc ce sera du plan américain ou abstrait. Et je prépare mon croquis car je travaille au grid. Quand je ne connais pas le format du mur il faut taper large pour éviter de faire un truc qui soit ou longiligne ou carré.

Quel est ton rapport à la photographie ?

La photographie est très importante, et c’est pour cela que je ne suis que sur Instagram. Ce n’est que de l’image, très peu de gens lisent le texte. Je prends beaucoup de photos de mes partenaires quand ils peignent, surtout la partie backstage. Quand on voit une fresque on a l’impression qu’elle a été peinte en deux minutes alors que cela fait parfois une semaine, jusqu’à plusieurs mois que l’on travaille dessus. Témoigner de cet à-côté m’intéresse.

FEMME ARTISTE DANS LA RUE

Quelle est l’importance pour toi du groupe ? De la création à plusieurs ?

Il y a déjà un côté logistique : quand on peint sur un mur on a beaucoup de matériel qu’on ne peut pas surveiller, être plusieurs le permet. De plus, en tant que femme je ne colle pas la nuit, et sans autre personne je n’irais pas coller très tôt le matin toute seule car il faut faire attention. C’est aussi un cercle social : quand je parle avec les gens de ma famille, ce n’est pas comme lorsque je discute avec ma « famille » du Street art. Nous avons les mêmes problèmes, même si pas forcément les mêmes envies. On aborde des sujets qu’on ne peut pas partager avec d’autres personnes, parler en sachant qu’on sera compris, alors que certains pensent qu’on se lève à onze heures, pour vendre une toile dont on vit pendant trois ans. Au début, je réveillais ma meilleure amie à sept heures pour aller coller à Montmartre. C’est plus facile d’être avec quelqu’un qui aime ça.

Est-ce selon toi particulier d’être une femme artiste dans l’espace urbain ?

J’ai fait très peu d’urbex car il y a toujours cette dimension d’insécurité, du fait d’être toute seule dans un endroit isolé. Paris n’est pas une ville très sure, il y a des mecs bourrés, il faut faire attention, même en prenant le métro. C’est plus facile d’être avec quelqu’un. Lorsqu’on est en train de coller, la concentration nous rend aussi plus vulnérable donc c’est bien d’avoir un copain derrière qui surveille. Je ne dessine pas des femmes guerrières pour rien. Il y a vraiment une notion de combat féministe à avoir. En effet, depuis que j’ai décidé de faire ça de ma vie je me heurte au monde des hommes. Plus, je ne pensais pas que je serai freinée dans ce milieu où l’on parle beaucoup de liberté parce que je suis une femme. On les compte dans les festivals, par contre pour la journée du 8 mars il y a du monde dans la rue pour parler d’elles. A titre personnel j’ai de la chance, car ce sont toujours des hommes qui m’ont donné ma chance. Aujourd’hui, je reste entourée d’hommes artistes qui me donnent des bons plans, me sauvent la mise et me protègent parfois. Néanmoins, il demeure un boys club difficile à traverser.

L’art urbain est-il selon toi un courant artistique ? Si oui, as-tu l’impression d’en faire partie ?

Je me suis tout de suite définie comme street-artiste car je créais dans la rue. Aujourd’hui, je me considère plutôt comme muraliste car je travaille vraiment sur le mur. Mais comme je tends vers la toile, je penche aussi vers le New contemporary, un remix d’art contemporain. Le Street art actuel a un côté très business dans lequel je ne parviens pas à rentrer. Il est très fermé, réseauté, il faut côtoyer les bonnes personnes pour avoir la bonne photo et je n’aime pas ça du tout. Ce n’est néanmoins pas une généralité car je travaille avec des personnes que j’apprécie. Pourtant, je considère que c’est un mouvement à part entière, les foires sont de plus en plus grosses, la cote des artistes commence à monter, on nous appelle pour faire des NFT. L’étiquette « Street art » sert parfois pourtant à justifier des expositions assez brouillonnes, dans lesquelles les œuvres ne sont pas forcément traitées avec attention.

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Photographies: Fé_tavie

Vous pouvez retrouver Fé_tavie sur Instagram.

Entretien enregistré en février 2022.

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