Jakob Gautel

JAKOB GAUTEL

La tour de Babel menait au Paradis

Tout a commencé par l’étude d’un arrêt de la Cour de Cassation daté de 2008. Un mot, « Paradis », était au centre des débats. Méritait-il d’être protégé par le droit d’auteur ? Plus exactement une inscription scripturale particulière apposée sur un mur choisi par l’auteur était-elle protégeable alors qu’elle reprenait un mot accessible à tous ? Derrière ces questions de droit apparaissait un nom, celui de Jakob Gautel. L’idée a alors germé de retrouver la personne cachée derrière ce nom et de raconter son histoire et son parcours, qui ne pouvaient être uniquement définis par une simple décision juridique, fût-elle de la Cour de Cassation. Ainsi nous pensions que nous pourrions non seulement découvrir l’œuvre et la personne de l’artiste, mais aussi revenir avec elle sur sa vision de l’affaire telle qu’elle fût vécue humainement. Enfin, nous pourrions l’interroger sur ses opinions concernant la protection de l’Art par le droit.

C’est accueilli par l’odeur du clou de girofle provenant d’un plat mijotant sur le feu que nous rencontrons Jakob Gautel, dans son atelier-logement parisien. Dans une atmosphère sereine, bercés par un rayon de soleil automnal traversant la vitre, nous discutons entourés de livres, de musiques, et d’un ensemble d’objets hétéroclites parmi lesquels nous retrouvons rapidement d’anciennes œuvres des deux artistes habitant là. Une plume, une lampe, une photo, chaque meuble semble être un témoignage de leurs créations, un souvenir de leur travail. Jakob Gautel est né en Allemagne, avant de venir à Paris étudier à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts. Il expérimente diverses formes de création, alliant la photographie à la performance en passant par la vidéo. Son œuvre interroge tout à la fois l’illusion, notamment la façon dont l’image peut venir troubler la réalité ou la modifier, mais aussi la mémoire, collective ou individuelle. Si chez lui la fixation des émotions, souvent teintée de nostalgie, joue un rôle majeur, deux constantes réapparaissent régulièrement dans son travail : un lien fort avec le public, qui participe régulièrement à la création de ses projets, mais également la volonté d’être présent pour le plus grand nombre, au travers d’inscriptions scripturales présentées dans l’espace public. Ce fût le cas de « Paradis », œuvre réalisée à l’occasion d’une exposition dans l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard en 1990 et qui sera à l’origine d’un important contentieux en propriété littéraire et artistique. La reconnaissance de cette œuvre par la Cour de Cassation marque une avancée réelle pour la protection de l’art contemporain.

Cet entretien a eu lieu le 13 novembre 2015 dans l’après-midi, quelques heures avant les attentats au Stade de France, au Bataclan et dans les cafés et bars autour de la place de la République. Après réflexion et concertation avec Jakob Gautel, nous avons décidé de ne rien changer au contenu de cet entretien, sentant qu’après les attentats, certains passages se liraient peut-être sous un éclairage plus intense.

Premiers pas

Comment vous est venue votre vocation d’artiste ? Quel est le procédé de création que vous utilisez et comment matérialisez-vous et exploitez une idée ?

Concernant ma vocation d’artiste, je crois qu’on a quelque part en soi un besoin impérieux de s’exprimer. J’ai grandi dans une famille d’artistes donc je voyais que cela existait en tant que profession au-delà de la vocation, même si on ne peut pas forcément bien en vivre. Le procédé de travail c’est le besoin de s’exprimer sur des choses qui nous arrivent, qu’on voit, qu’on vit, et de leur donner une forme plastique. Je ne suis pas écrivain, pas musicien, mes moyens sont visuels essentiellement, audiovisuels quelquefois avec de la vidéo. C’est la question la plus difficile, elle est sans fin : essayer de comprendre comment on fonctionne à l’intérieur de soi. Il y a toujours le rapport à l’autre : on ne s’exprime pas pour soi-même mais pour communiquer avec l’autre sinon on écrirait un journal intime et on le mettrait sous verrou. Le besoin de communiquer sur sa perception et son expérience du monde est au départ du travail de l’artiste.

J’emploie des médiums assez différents mais je crois qu’il y a un fil conducteur qui est la question de ce qu’on voit, de ce qu’on veut voir et comment on veut se projeter dans les images. J’explore ça de manières très différentes. La création de mon site web était très importante car pour la première fois j’ai vu sur une page un aperçu de 25, 30 ans de création. En fait, je me suis aperçu que les questions sont toujours un peu les mêmes. Évidemment il y a des techniques similaires comme la photo, la vidéo, les installations, parfois la performance, mais il y a surtout des thématiques qui reviennent et que je traite de nouveau avec une distance, à une autre occasion, dans un autre contexte. J’ai l’impression d’être en train de tisser, de tricoter une sorte de tissu, qui n’est pas un tissu de mensonges, mais j’espère un tissu de vérités, même si c’est une vérité subjective. Tout ça devient une sorte de maille, de tressage de sens au fil des années. Chaque œuvre est une tentative de réponse à une question, peut être toujours à la même question, mais d’une manière un peu différente. Peut-être qu’il ne s’agit même pas de répondre, mais de poser la question un peu autrement.

 

Tout votre travail tourne autour de cette idée d’apparence, de comment celle-ci peut être trompeuse, et comment on peut la falsifier. Avez-vous toujours voulu jouer avec cette apparence ?

Je crois que c’est vraiment une des premières choses dans mon travail : ce que je vois, ce qu’on me fait voir est-il réel ? Quelle est la teneur de réalité là-dedans ? J’ai pensé assez vite à remettre en question les images préfabriquées auxquelles on est confronté. C’est le cas de mon travail sur les portraits hollywoodiens que j’ai retouchés pour enlever les cheveux (Nues, 1991-1994). Je confronte deux réalités historiques qui étaient simultanées, mais dans des contextes très différents, voire même trois : les photos hollywoodiennes, le fait de tondre des personnes dans les camps en Allemagne, et des femmes en France à la fin de la guerre. J’essaie de créer des confrontations entre ces contextes à travers l’image. Je pars parfois d’images préexistantes, ou j’invite des personnes à participer à la création d’images, ce qui était le cas avec l’important travail sur Maria Theodora (1996/97-2005), ou les images du héros de la guerre des Dardanelles en Turquie (Héros des Dardanelles, 2012), ou le travail très récent sur la perception de la justice (Justice(s), 2014-2016, avec la juriste Alexandra Bensamoun, CERDI, université Paris-Sud / Paris-Saclay) avec un ensemble de personnes ayant un lien avec la justice. C’est une réflexion sur le statut de l’image et comment l’image contribue à une construction d’identité.

C’était très fortement le cas avec Maria Theodora, une image historique réincarnée par des modèles différents…

Le héros populaire originaire de Çanakkale, Seyit Çabuk.
Héros des Dardanelles, 2012

Quelque part cela questionne le statut et la fonction de l’image même. On est dans une culture qui est inondée d’images, on est constamment en train de pondre, de transpirer, de produire des images à travers les selfies, instagram, les réseaux sociaux. L’image devient une sorte de preuve du fait que quelque chose a eu lieu. S’il n’y a pas d’images de l’événement c’est qu’il n’a pas eu lieu, il acquiert une véracité à travers l’image. Cela incite les gens à créer des évènements pour pouvoir réaliser des images, ou créer des images pour faire croire aux évènements. On est dans une soumission presque de l’ordre de l’esclavage comme si on ne pouvait pas exister sans images. Les politiciens jouent beaucoup avec ça depuis le 20ème siècle. Dans ma performance Big Brother (2011) par exemple, je parle du paradoxe de se faire piéger par l’image. On est dans la surveillance par une image. La soumission. Il faut questionner ce statut de l’image et repenser la question du sens, dans quelle mesure une image fait sens, et je crois que dans mon travail je le fais de deux manières différentes : je questionne le sens d’images préexistantes, ou bien l’identité des personnes en créant de nouvelles images avec eux.

 

On se rend compte que le public prend une grande place dans vos travaux, que ce soit dans les Héros des Dardanelles ou quand vous envisagez la question de l’espace public qui est fait pour que le public y prenne place. Cette relation au public est-elle une constante à vos yeux ? Pouvez-vous concevoir l’art sans public ?

Je crois que quand on est artiste on veut communiquer, donc le public est nécessaire. La participation du public à la genèse d’une œuvre n’est pas forcément une constante. Il y a des œuvres que j’ai faites pour moi, dans mon coin, car je ressentais le besoin de le faire, mais il y a toujours l’importance de montrer ce travail. Une œuvre qui n’est pas vue peut être une œuvre mais elle est morte, hors il faut qu’une œuvre vive, qu’elle soit vue. Après il y a la question de la participation des gens, il y a des œuvres qui ont besoin de cette participation, pour lesquelles ça fait partie de l’idée même de la conception de l’œuvre. Quelquefois il y a des traces de cette participation où l’œuvre existe parce que les gens participent. Après il y a des œuvres où je suscite une réaction comme les autocollants Réservé aux sans-abri (1991), mais ce n’est pas la réaction qui est l’œuvre, c’est le fait de susciter la réaction qui l’est.

"paradis"

On voit dans vos travaux que vous créez une vraie interactivité avec le public et vous citez même une idée de Duchamp en expliquant que l’œuvre existe parce qu’elle est regardée, que c’est le regardeur qui fait l’œuvre. Dans plusieurs de vos œuvres, notamment les inscriptions dans l’espace public (comme Sens de la visite, 1993/2010, ou Tirez-vous, poussez-vous, 1999-2006), vous semblez questionner le public, l’interpeller, le faire s’arrêter pour réfléchir. Comment vous est venue cette idée et que cherchez vous à questionner chez les gens ?

La perception de la situation. J’aime beaucoup mettre en contact deux ou plusieurs contextes, les faire se rencontrer et voir ce que ça donne pour poser une question à travers cette confrontation au troisième élément qui est le spectateur qui découvre cette situation. Une partie de mon travail est une sorte de mimétisme, de signalétiques ou d’inscriptions. J’ai grandi avec les mots et l’écriture car mes parents étaient graphistes et donc travaillaient beaucoup à partir d’éléments de texte. C’est un des éléments que j’aime questionner, pas uniquement les images mais aussi les mots, ce qui nous conditionne dans notre vie quotidienne : « Suivez la flèche », « N’allez pas par-là ». Le tout premier travail sur ce sujet était à l’école des Beaux-Arts où j’ai rebaptisé la porte d’entrée du Palais des Études.

Never look back, 1996, avec Jason Karaïndros.

J’avais mis des fausses plaques en bronze « Institut de beauté » (1988) et j’avais envoyé des cartons d’invitations à la chambre syndicale des maitres coiffeurs. Il y a des gens qui sont venus et qui étaient assez fâchés car il n’y avait rien à voir, c’était un canular, un canular intelligent je pense car il posait la question de la beauté et de ce qu’on enseigne dans une école d’art. C’était une question assez pertinente.

Le deuxième travail que j’ai fait et qui a connu des remous juridiques par la suite, c’était l’histoire du Paradis (1990) qui a été réalisée dans le cadre d’une exposition dans un bâtiment désaffecté de l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard, où Antonin Artaud et Camille Claudel ont été internés …

Nous étions un groupe d’artistes qui avions fait une intervention dans ce bâtiment à travers des travaux in situ mais aussi à travers des contacts avec le corps médical et un peu avec des patients. C’était le bâtiment des alcooliques qui étaient internés dans un hôpital psychiatrique à l’époque et étaient utilisés comme main d’œuvre bon marché pour la ferme associée à l’hôpital. On voyait dans les salles et sur les murs les conditions de vie de ces pauvres internés avec des lits les uns à côté des autres, les traces de gras de la tête au mur et deux immenses dortoirs avec deux toilettes, des conditions d’hygiène et de vie médiocres. J’ai vu dans ce bâtiment une porte, monumentale dans l’apparence, mais finalement assez petite, peut-être 1 mètre 80 de haut, à deux battants, incroyable, une sorte de ready-made comme chez Marcel Duchamp. Elle était fermée avec une barre métallique depuis très longtemps. Il y avait les traces d’usure sur cette porte, un peu comme celles des saloons dans les westerns, et la barre était complètement rouillée, l’entrée vers les toilettes se faisait par une autre porte. J’ai eu une vision, je me suis dit « J’imagine la porte du Paradis comme ça », une porte monumentale qui nous est fermée depuis très longtemps, et on est de l’autre côté dans la réalité, un endroit complètement décrépi, dans une sorte de misère de l’espace dans lequel on vit, misère métaphorique qui est loin d’être le Paradis.

Paradis, Ville-Evrard, 1990
Vous réalisez l’inscription en 1990 à Ville-Evrard. Etait-ce une œuvre qui avait pour vocation d’être pérenne ?

Elle ne devait pas rester parce que le bâtiment était voué à être restauré. C’est pour ça que j’ai pris des photos avec les moyens que j’avais à l’époque, c’est à dire deux appareils, un petit et un 6/6 qui étaient les meilleures choses que j’avais à disposition, en me disant que la seule trace qui resterait de ce travail seraient les photos. L’œuvre c’est l’inscription du mot Paradis sur le mur décrépi au-dessus de la porte et j’ai essayé de me fondre dans le contexte : les lettres sont écrites à l’ancienne, écaillées, j’ai essayé de protéger les écailles de la peinture qui partaient déjà, puis de mettre très prudemment la peinture dorée et j’avais même ajouté de la feuille dorée avec une patine pour complètement fondre cette inscription dans le contexte du mur décrépi. J’ai pris des photos. L’année d’après j’ai eu une petite exposition dans une galerie, j’ai eu l’occasion de faire un petit dépliant et j’y ai mis une des photos. Des années après un ami me dit « Je crois que j’ai vu ton œuvre dans un film documentaire sur une photographe », une artiste très connue qui navigue dans un milieu très différent : on est tous les deux des artistes mais c’est une personnalité qui est très reconnue, qui a beaucoup de moyens, qui a été la photographe officielle de Chirac. Je suis un artiste plus expérimental, avec des moyens de production très différents. Donc on me parle de ce documentaire sur lequel je n’ai pas pu mettre la main, mais j’ai vu le livre qui a été publié sur ce travail de photographies où elle a pris des histoires de la Bible qu’elle a mises en scène dans des lieux divers, le plus souvent désaffectés, des anciennes usines, des bâtiments comme celui de Ville-Evrard. Elle met en scène des moments de la Bible avec des jeunes gens plutôt séduisants car elle travaille beaucoup avec des modèles du monde de la mode.

Je découvre deux photos dans lesquelles mon œuvre est utilisée intégralement. Ces deux photos font partie d’un triptyque. Ces trois photos font sens à cause de mon œuvre, mais elles en déforment le sens. Il y a sur la première photo une jeune femme nue qui cache pudiquement son sexe et derrière elle la porte, et au-dessus l’inscription « Paradis », donc évidemment c’est Eve chassée du Paradis. Au milieu, il y a une allusion au Nouveau Testament, la Vierge Marie et à droite une femme âgée dans une pose un peu comparable à la jeune femme devant la porte du Paradis, et l’inscription a été vieillie encore un peu plus comme s’il y avait encore plus de temps qui était passé. Le triptyque s’appelle La Nouvelle Eve, il y a une sorte de mélange entre Ancien et Nouveau Testament et entre le péché d’Eve, raison pour laquelle elle a été chassée du Paradis et la virginité de la Vierge, un mélange un peu bizarre. Je vois sur l’œuvre d’une artiste mon œuvre, du coup je me dis qu’il y a un problème de droit d’auteur. Je contacte une avocate qui est spécialiste en droit d’auteur et que j’avais rencontrée à l’époque de l’école des Beaux-Arts, Agnès Tricoire, et on écrit à l’éditeur pour lui dire que le travail d’un autre artiste est présent sur l’œuvre de la photographe et qu’il s’agit juridiquement d’une contrefaçon. J’avais l’impression qu’il y avait une certaine arrogance dans sa réponse : « Prouvez que vous êtes artiste, que vous l’avez fait ». J’apporte des preuves, des témoignages de gens qui m’ont vu faire, mon enseignant de l’école des beaux-arts qui est quand même Christian Boltanski donc quelqu’un d’assez reconnu. Devant le refus de reconnaître mes droits, nous sommes contraints de saisir le tribunal. J’ai l’impression que cette photographe ne voulait pas accepter qu’elle devait quelque chose à quelqu’un d’autre, à un autre artiste, c’était presque une question d’honneur. Enfin, c’est une supposition.  Il y a eu plusieurs étapes de procès avec des arguments très intéressants.

 

L’arrêt Paradis va consacrer l’art contemporain en tant que forme d’art protégeable. Etait-ce un but quand vous avez voulu porter l’affaire au tribunal ?

Je crois que la définition du tribunal est bonne. Quand il s’est avéré qu’il y allait avoir un procès je n’avais pas le choix. Si je n’avais pas osé aller devant la justice cela aurait voulu dire que « j’abandonnais cette œuvre ». C’est comme si les photos de la photographe étaient devenues l’œuvre et que je ne pouvais plus montrer ni mon installation ni les photos de mon installation (qui sont une deuxième existence de l’œuvre). C’est comme si elle avait pris la paternité, ou plutôt la maternité de l’œuvre. Je ne pouvais pas laisser passer ça car c’est mon œuvre, je sais ce que j’ai fait. En plus dans ce cas précis j’avais intuitivement l’impression que c’était une œuvre juste et forte, que quelque part j’avais touché à quelque chose de fort et je ne voulais pas lâcher ça. On est allé devant le tribunal, évidemment j’avais une trouille pas possible, je n’ai pas du tout les moyens de cette personne, donc j’ai fait confiance à mon avocate en espérant qu’elle soit bonne. Elle a été très bonne et il y a eu des étapes différentes et des échanges d’arguments que j’ai trouvé extrêmement intéressants.

Première chose : prouvez que vous avez fait l’œuvre. J’ai apporté des preuves, des témoignages. Deuxième chose : le mot que vous avez choisi appartient à tout le monde : les mots ne sont pas protégeables donc l’œuvre n’est pas protégeable. Troisième argument : la typographie utilisée n’est pas votre invention, donc elle n’est pas protégeable. On peut discuter là-dessus car même si je me suis appuyé un peu sur Times, j’ai dessiné les lettres de fait ce n’est pas une copie conforme. Quatrième argument : ils ont mesuré la taille de l’inscription pour conclure que l’inscription ne faisait que tel pourcentage de la surface entière de la photo et qu’il s’agissait donc d’un élément négligeable. Je me suis amusé et j’ai trouvé des exemples dans l’histoire de l’Art de tableaux où un tout petit élément, un seul pour cent de la surface du tableau donne son sens à la toile toute entière (c’est le cas de La femme à la puce de George de la Tour). J’ai pris des tableaux classiques et des exemples plus contemporains. Le deuxième élément a été la recherche de texte dans un tableau. Il y a par exemple Rembrandt avec l’apparition de la parole divine avec un mot hébreu (Le festin de Balthasar). Si on cache cette partie du tableau il n’a plus de sens parce que la partie cruciale qui porte le sens a été enlevée. Enfin, l’argument le plus incroyable pour moi de la part d’une autre artiste, et d’une galerie connue sur la place de Paris, est que je n’avais pas fait œuvre car ce n’était qu’une idée. C’était disqualifier mon œuvre comme juridiquement non protégeable. Nous menions donc un combat qui nous dépassait, qui concernait le genre d’art que je pratique et peut intéresser tous les artistes qui pratiquent des formes minimales.

Le procès est une expérience à la fois intéressante et extrêmement éprouvante. J’ai dû affronter le tribunal, nous avons gagné, puis la Cour d’appel, saisie par la photographe et sa galerie, nous avons encore gagné, puis la Cour de Cassation, encore saisie par les mêmes, et nous avons encore gagné. Il y a également des éléments dans la formulation qui sont assez incroyables : il y a évidemment les textes de loi, tout est très argumenté, mais après il y a une façon très pernicieuse de dénigrer l’autre et de le rabaisser : on parle d’appât du gain, de ce genre de choses. Durant la procédure je n’avais pas du tout de considérations pécuniaires, j’étais en train de récupérer la paternité de mon œuvre, de remettre la main sur quelque chose qui m’appartenait parce que je l’avais créé, j’espérais simplement qu’on me donne raison. Psychologiquement c’est très dur, il y a quelque chose de l’ordre de la guerre psychologique. Après, avec le temps j’ai compris comment me protéger contre ça. J’ai lu les textes et répondu à la troisième personne : « Monsieur Gautel » était devenu une sorte de personnage dans un scénario et ça m’a permis de me mettre à distance. C’était un scénario qui était en train de se jouer et d’être écrit au fur et à mesure des étapes. Il y avait des avocats très connus de l’autre côté, par moment j’avais l’impression que c’était David contre Goliath, et j’aime beaucoup dire ça, mon avocate, Maître Tricoire était ma fronde.

 

Par rapport au ready-made et à ces œuvres où l’apport est minime, on peut se demander quand est-ce que l’œuvre devient œuvre pour vous, à partir de quand existe-t-elle et mérite-t-elle d’être protégée ?

Je crois qu’il y a une confusion avec le terme « art conceptuel ». On a tendance à penser que l’art conceptuel est une idée seule, mais quand on regarde les œuvres il y a toujours une matérialisation de l’idée. Toujours, ne serait-ce que sous forme de texte qui raconte un mode d’emploi comme Yoko Ono qui dit de se mettre sur une échelle et de regarder le ciel. Elle a formulé la chose, l’a mise en page et écrite sur un papier, il y a donc bien matérialisation de la chose. Si je dis que j’aimerais bien faire une inscription sur un mur au-dessus d’une porte délabrée avec le mot « Paradis » ce n’est pas une œuvre, si je le fais ça le devient. Dans l’arrêté les deux choses principales sont que l’œuvre exprime la personnalité de l’artiste qui est l’expression de son propre rapport au monde, de sa subjectivité. La deuxième chose c’est la matérialisation, et je crois que la définition est très claire. Quand on pense à un des artistes qui a complètement révolutionné l’art au 20ème siècle, Marcel Duchamp, et qu’on regarde chacun de ces ready-mades, il n’y en a aucun ou il n’y a pas de transformation. Soit il y a de l’assemblage, soit il a tourné les objets, les a mis ailleurs : un porte manteau est posé par terre, ainsi il en change l’axe, il lui donne un titre et ça devient « trébuchoir » ; le pissoir devient une « fontaine », il l’a retournée, l’a signée. Il y a plusieurs actions sur l’objet lui-même qui le placent dans le contexte artistique en en changeant le sens et le regard que nous portons sur l’objet, qui devient autre chose par l’intervention de l’artiste.

Il n’y a pas de différence entre l’art conceptuel et l’Art : l’Art est toujours conceptuel. Il y a la forme, il y a l’idée, et entre les deux il y a toujours un dialogue, quelquefois la forme est plus importante que l’idée, quelquefois l’idée est plus importante que la forme. Parfois l’un est là avant l’autre, parfois la forme peut être le point de départ pour quelque chose de très conceptuel, je pense par exemple à François Morellet qui part de la géométrie et crée des œuvres riches de sens et très drôles, tragicomiques, mais qui partent de lignes. Il part d’un carré, il tire des lignes à l’intérieur du carré, c’est un artiste conceptuel qui part de la forme pour arriver au sens. Moi je me vois plus dans l’autre sens, je pars du sens et j’essaie de trouver la forme équivalente à ça. Je crois que l’art est toujours conceptuel, dans le choix de ce que nous voulons montrer aux autres il y a déjà un choix conceptuel : je vous dis que je vous montre ça et pas autre chose. Même un photographe fait des choix de cadrage et peut produire des images conceptuelles ; un dessinateur encore beaucoup plus car il peut omettre et souligner d’autres choses, il peut mélanger l’imagination et le réel : l’art est conceptuel. Je crois que l’arrêté est très juste car il dit : le travail de l’artiste c’est ça, et la démarche du 20ème et du 21ème siècle est en continuité, il n’y a pas de rupture. On est dans une continuité avec l’histoire de l’Art et quand je parle de mon travail les références artistiques ne sont pas limitées aux dix dernières années : c’est Rembrandt, Goya, l’art égyptien… On est une grande famille, c’est un hasard qu’on soit né à une certaine époque et pas à une autre mais il y a des idées, des formes qui traversent les siècles, le dialogue est ouvert, pas limité aux gens qui vivent à la même époque. On dialogue à travers les siècles aussi.

 

Vous avez réalisé l’installation Paradis en 1990 et les procès se sont terminés en 2008. En prenant du recul quel a été l’impact de cette affaire sur votre création et votre parcours artistique ? Est-ce que vous avez conscience de la portée que cet arrêt a eu dans le domaine de la propriété intellectuelle ?

Oui, oui, bien sûr ! On m’en parle, il y a des publications, des commentaires, mais je ne suis pas sûr que dans le milieu de l’art on se soit vraiment rendu compte de l’importance de cet arrêt. Il est plus connu dans le monde juridique, il me semble. Pour moi personnellement il n’y a pas vraiment eu de changement ; si ce n’est que ça m’a encouragé à continuer dans mon propre travail.

rôle du public et engagement

On a parlé de votre rapport au public, mais ce qu’on n’a pas dit c’est la tendresse qui émane de certaines de vos œuvres envers les gens et notamment dans la « machine » à créer des cartes de visite (Cartes de visite, 1993) qui permettent de redonner une identité aux gens. Cela se sent, c’était une installation très émouvante. C’était dans un refuge donc installer cette machine dans ce lieu témoigne d’une vraie tendresse, mais aussi sur les inscriptions, notamment sur les bancs qui portent des bribes de conversations qui sont très émouvantes, ces conversation perdues (Vagues à l’âme, 2014). Quel est votre lien au public dans la façon dont vous voulez lui faire partager des choses ?

Je suis très touché. Le mot tendresse me touche beaucoup. Je crois que c’est assez juste. Les œuvres dont vous parlez sont en grande partie dans l’espace public ou ont été déclenchées par l’espace public. Il y a une évolution de la société en général et qui s’exprime par l’utilisation de l’espace public qui va à l’encontre de ce que vous dites, de la tendresse. La tendresse c’est être à l’écoute de l’autre, lui faire confiance, ne pas le prendre comme un ennemi mais comme un être humain qui partage à un moment donné le même espace et le même temps que vous ; et je pense que depuis quelques années avec la crise des migrants en Europe ou la situation des SDF on est dans une société ou on a peur, peut-être avec raison parce que le monde est instable. Cette stabilité des « Trente glorieuses » est en train de s’effriter, cela est aussi dû au fait que l’Europe était un espace un peu clos et leader qui bénéficiait encore des effets du colonialisme, de la richesse accumulée à travers l’histoire des 18ème, 19ème et 20ème siècle. Des certitudes partent et du coup la peur est une des réactions qui est renforcée par certaines tendances politiques d’extrême droite mais pas seulement. Je pense que d’une certaine manière ce n’est pas comme ça qu’on va résoudre les problèmes, en considérant l’autre comme le barbare, pour parler avec Cavafis, le poète grec, mais en le considérant simplement comme quelqu’un qui vient d’ailleurs, qui a peut-être une autre culture, mais qui est un être humain et qui a des choses intéressantes à nous dire quant à sa vision et son expérience du monde, donc je pense que le partage est plus intéressant que le conflit. Effectivement je pense que l’espace public est en train de changer pour des raisons de sécurité, par exemple le terrorisme joue avec ça et essaie de casser une sorte de confiance de base qu’il y a dans nos sociétés occidentales, républicaines et démocratiques en semant la peur.

Cartes de visite, 1993

Je crois qu’il faut faire confiance. Dans la série sur la justice il y a deux personnes que j’ai rencontré à travers un autre projet avec des habitants de HLM (Entre !, 2013), leur bâtiment est face à la rédaction de Charlie Hebdo, et ils ont vu les attentats. Une des habitantes était même dans la rue quand les terroristes sont sortis ; elle a vu le policier se faire abattre et a été traumatisée. Quand j’ai posé la question de la justice, les réponses étaient d’une grande justesse : Nadarajah, le cuisinier du Sri Lanka a parlé de la laïcité avec des mots très simples mais avec une clairvoyance incroyable en disant qu’il faut qu’on vive ensemble, et en se demandant pourquoi on se ferait la guerre juste parce qu’on appartient à des religions différentes.

Il y a aussi un autre aspect dans l’espace public, une sorte de recul de l’Etat pour des raisons budgétaires, donc le privé prend de plus en plus de place et cela change l’espace public. Cela crée des situations dans lesquelles on ne fait plus confiance. Il y a par exemple des villes dans lesquelles il y avait des passages entre les rues comme à Lyon, ou à Paris les cours où l’on pouvait rentrer, sauf que tout ça devient de plus en plus privatisé avec les codes. Le mobilier de l’espace public empêche de plus en plus les SDF de stationner ou de s’allonger, alors qu’il y a de plus en plus de SDF parce que la société ne fonctionne plus comme avant. Il y a énormément de boulot mais je crois qu’une des choses à laquelle il faut repenser c’est la tendresse, tendre la main. Une des premières photos de cette série sur la justice c’est un jeune homme qui était devenu SDF malgré lui, mais tout le quartier a été solidaire avec lui, il y a eu une sorte d’élan pour ne pas le laisser sombrer qui est assez incroyable.

Justice(s), 2014-2016

Je crois qu’il faut faire attention : nous sommes face à des idéologies qui viennent de bords très différents, avec des justifications très différentes : il y a d’une part cette mise en conflit pour des raisons religieuses, culturelles. D’autre part pour des raisons économiques aussi en disant qu’on veut protéger notre espace européen. Enfin, l’idéologie liée à cette vision néolibérale du capitalisme dans laquelle l’autre est considéré comme un concurrent, un ennemi qu’il faut éliminer. Les télé-réalités fonctionnent là-dessus. Il faut « nominer » l’autre, c’est à dire l’éliminer. Je crois par rapport à ça que je suis très critique car une société ne peut pas fonctionner comme ça, on ne peut pas constamment considérer l’autre comme un concurrent et essayer de l’éliminer sinon le monde devient un « Ego Shooter » ou « First-Person Shooter », c’est-à-dire un jeu vidéo où l’on doit tuer tout le monde. Les catastrophes aux USA avec des jeunes gens qui tuent 15-20 personnes ressemblent un peu à ça : ils pètent les plombs parce qu’ils ont grandi dans un monde comme ça. Je crois que c’est important d’introduire ces éléments de réflexion dans l’espace public.

Pour revenir sur ce que je disais, j’ai une place très marginale sur le marché de l’art, ce qui est très dommage pour la création de projets ou des occasions d’expositions. Je finance mon travail artistique par l’enseignement parce que je ne peux pas vivre de ma vocation. Mais en même temps des projets comme ceux dans l’espace public ou avec des habitants de HLM sont pour moi très importants car la question du sens se pose vraiment. Je travaille pour les participants, et ensuite pour le public, même si c’est une exposition dans une mairie ou dans une médiathèque.

 

Donc vous diriez que votre art est engagé car il cherche à bousculer la société. Vous donnez des cours à l’école d’architecture de Paris-la Villette, on peut y voir la volonté de s’engager sur le terrain en formant les futurs architectes à prendre plus en compte l’espace public qui est un lieu d’échanges, alors qu’aujourd’hui on essaie plutôt d’éviter les regroupements, d’éviter les lieux qui pourraient attirer du monde.

Je ne suis qu’artiste, pas président ou chef d’une multinationale, mes moyens sont donc très limités. Je crois que le bon côté de l’enseignement est de pouvoir s’adresser à une autre génération. A l’école d’architecture j’ai proposé un cours sur l’art dans l’espace public dans lequel nous finissons par des interventions dans cet espace. Des étudiants par groupe de quatre ou cinq font de très beaux projets. Et c’était magnifique, on s’est éclatés. Pour moi ça fait partie de l’engagement, mais si c’était un peu mieux payé et un peu plus respecté, ça ne serait pas mal …

 

Vous faites des choses très engagées, quand on voit par exemple votre travail en Indonésie sur les tee-shirts avec le rendez-vous et des cibles dans le dos (Rendez-vous !, 1996) c’est une forme d’engagement très forte.

Et très politique.

C’était une action dans l’espace public, avec le soutien du Goethe-Institut et du Centre Culturel Français de Jakarta, en Indonésie, en mai 1996. On a organisé un rassemblement de plusieurs centaines de personnes, portant tous le même tee-shirt avec « Rendez-vous ! » écrit sur le devant et une cible imprimée sur le dos. C’était bien avant Facebook, Twitter, et le Printemps arabe. Un flash-mob politique avant l’heure ! On a fait circuler l’information avec des petits dépliants, pliés comme des cocottes, comme un jeu d’enfants, mais avec un message subversif à l’intérieur.

Rendez-vous!, 1996

Dans le contexte d’une dictature comme celle de Suharto en Indonésie à l’époque, l’expression « on est ciblé » (par la pub, par la manipulation des médias, par la surveillance etc.), qu’on entend souvent, prend un tout autre sens … En 1998 Suharto a été contraint de démissionner. Peut-être, à une échelle toute modeste, mon action a contribué à encourager les gens à s’opposer au régime ? C’est une action dont je suis très fier, et pour laquelle j’ai eu très peur. J’avais la responsabilité pour des centaines de personnes ! Mais ça s’est bien passé, et tous les amis indonésiens m’avaient encouragé à la faire. Quand je suis retourné l’année suivante, le gardien du Centre Culturel portait toujours mon tee-shirt, complètement délavé, à force de le porter tout le temps.

Une action politique, comme pour les étoiles sur le drapeau européen. Il y a donc une dimension politique dans votre travail ?

Parfois oui… Pas toujours, je ne dirais pas que je suis systématiquement un artiste politique, au contraire je suis quelqu’un de très timide et intériorisé mais par moment je n’en peux plus, il me faut réagir avec les moyens que j’ai à ma disposition. Par rapport au drapeau européen, il y a eu plusieurs travaux, des actions, performances, détournements, dont deux réalisés en Grèce avec mon ami Jason Karaïndros (Europa ?!, 2013, et Europe – à double tranchant, 2015). Jason est grec, je suis allemand – le couple européen impossible ! Et on est tous les deux au fond pour l’idée de l’Europe, mais assez désespéré de l’évolution de cette belle idée.

 

L’habitat est également important pour vous et sur votre site notamment. Vous faites participez des gens et essayez de transformer l’habitat dans lequel ils vivent ou de le mettre en perspective. Vous parlez par exemple de la cité idéale telle qu’on la construit dans les années 1960 et vous la mettez en parallèle avec aujourd’hui (Ville nouvelle ?, 2010). Cela occupe une vraie dimension aujourd’hui pour vous cette question d’habitat et d’espace social ?

Oui, et peut-être mon attention sur ce point est devenue plus grande depuis que j’enseigne à l’école d’architecture. C’est aussi le fruit de hasards. Vous faites référence aux interventions à Montbéliard, c’est un centre d’art qui m’avait invité, le 19, donc rien à voir avec l’enseignement à l’école d’architecture. Toutefois, cet enseignement m’a sensibilisé à ces questions. Je crois que l’habitat est une question d’espace comme l’espace public, en ça, le rôle des architectes est important : créer des espaces qui rendent possible des choses au lieu de les empêcher. Actuellement on est plutôt dans l’empêchement ou dans les balises, dans la segmentation.

L’autre jour avec les étudiants de troisième année suivant mon cours d’art public, on est allé place de la République qui a été réaménagée de manière très simple : avec un pavé lisse pour faire du roller et un mobilier public fait en poutres assemblées. La place est vide, ils ont enlevé les voitures qui tournent autour, et pourtant elle est extrêmement vivante, même sans aménagement spécifique, justement parce que toutes sortes de choses peuvent se faire sur cette place. J’en parlais avec des collègues architectes de cette importance de créer des espaces ouverts, multifonctionnels et pas à usage unique. C’est très important. L’art aussi, une bonne œuvre d’art doit avoir ces qualités-là, rester ouverte et ne pas être refermée sur un seul sens ou une seule forme.

mémoire

Nous avons également des questions sur la mémoire. Vous n’en avez pas beaucoup parlé, mais c’est présent dans vos œuvres. Le thème de la mémoire ressort en filigrane dans beaucoup de vos œuvres. Une bonne partie de vos créations sont éphémères, toutes ne sont pas destinées à être pérennes, à rester dans le temps. Quel rapport entretenez-vous avec le temps et la mémoire, et leur place dans vos travaux ?

Il y a dans mon travail des choses différentes. D’un côté des travaux volontairement pérennes, par exemple je fais imprimer des cartes postales sur du papier sans acide dans l’espoir que peut-être un jeu de cartes postales survive. Et il y a des choses par essence éphémères, parce que ça fait partie de l’œuvre qui ne peut pas durer, ou des performances où le caractère éphémère est l’essence même. J’essaye toutefois de garder des traces de ce qui se passe. L’objet perdure, comme une photo, un livre, des cartes et quelque fois c’est la trace qui reste, l’enregistrement, la description. Donc finalement sur mon site vous voyez les deux, l’objet œuvre et des traces de l’œuvre. Paradis est d’ailleurs un peu des deux à la fois. Ça dépend de ce que j’ai envie de dire, parfois il faut que ça disparaisse, parfois il faut que ça reste.

Tout doit disparaître, 2011

[Désignant du doigt l’œuvre Tout doit disparaître (2011), une plaque funéraire gravée de ces trois mots] Avec cette œuvre on est dans le paradoxe, le paradoxe même devient œuvre. Cette pierre-là aussi disparaîtra, elle n’est pas éternelle et se transformera en autre chose, comme la planète Terre qui n’est pas éternelle.

La mémoire est très importante à plusieurs niveaux : la perception, comment nous percevons le monde par nos sens, quels sens nous lui donnons et comment nous l’interprétons. Je m’intéresse beaucoup également à la neurologie : comment ça marche, comment ça fonctionne. Parce que nous sommes des machines quand même, on est des organes. Il y a cette mémoire neurologique : de quoi on se rappelle et pourquoi. Ma Tour de Babel (2006-2011) mélange plusieurs mémoires, les gens qui voient cette œuvre disent « Ah, mais c’est la Tour de Babel ! ». Pourquoi disent-ils ça ? Cette tour n’a peut-être jamais existé, ou au moins pas sous cette forme, ils ne l’ont jamais vue, ou alors seulement la tour imaginaire sur les tableaux de Brueghel, mais sa forme est tellement particulière qu’elle reste dans notre mémoire collective, formée par une culture commune à des gens qui partagent un temps et un moment de vivre ensemble. Il y a donc : la mémoire collective, la mémoire neurologique et la mémoire personnelle. Quelquefois ces choses-là s’entrelacent. C’est pour cela que je m’intéresse beaucoup à la mémoire parce qu’à travers ça se pose la question : qu’est ce qui reste ? Il en va de même pour la question de l’identité : qui sommes-nous par apport à une mémoire ? Jusqu’où peut-on s’accorder sur une mémoire collective, qu’est ce qu’on partage ? Et qu’est ce qui relevant d’une mémoire personnelle peut avoir une portée universelle ?

Tour de Babel, 2006-2011
J’aimerais revenir sur la figure de Maria Theodora qui apparait comme le fil rouge de votre parcours, qui apparaît très tôt. Vous parlez de chaînon manquant. Il y a cette fameuse photo de Maria Théodora, à propos de laquelle Larisa Dryansky cite Barthes, en expliquant que vous recherchez à travers la centaine de portraits à reconstituer le vrai visage de cette personne. C’est drôle, parce que dans le court métrage de Batavia 1996 (1996) elle me fait penser à la figure de la femme du vice-consul de Marguerite Duras, silhouette fantomatique. Quelle identité recherchez-vous dans ce personnage-là ?

Maria Theodora a une place importante dans mon travail car je me suis aperçu qu’à travers cette recherche de nombreuses questions ont été posées. Le point de départ est une photo ancienne d’une ancêtre, Maria Theodora. Elle porte une robe européenne, mais elle a un visage asiatique ; la photo est un peu en décalage, un peu étrange, hybride. Je suis allé en Indonésie, sur ses traces et celles de sa mère, d’origine indonésienne dont on n’a aucune trace sauf le prénom. J’ai obtenu cette photo par ma mère, ça fait partie de la mythologie familiale, de l’héritage avec ses récits tout autour : c’est la mère du grand père de ma mère, fille d’Indonésienne. C’était donc retraçable, on connaît la filiation. Mais il y a des « chaînons manquants » dans cette généalogie : la mère de Maria Theodora, qui reste un mystère, mais aussi sa petite-fille Corona, ma grand-mère : Elle est morte assez jeune, dans des circonstances tragiques liées au contexte de l’après-guerre. Elle a connu Maria Theodora, sa grand-mère, et j’aurais pu lui poser des questions si elle avait vécu plus longtemps.

Je suis parti en Indonésie à Java et Sumatra et j’ai fait des recherches avec une copie de la photo avec moi. Les couples mixtes avaient une situation très difficile à l’époque, et il n’y a pas de traces écrites, ou presque pas. Je ne trouvais pas les informations espérées, et je commençais à questionner l’image. Je ressentais une grande frustration, je me suis plongé et projeté dans cette image, comme dans le texte de la chambre noire de Barthes (que je ne connaissais pas à l’époque). A un moment je me suis dit : c’est là-dessus que je peux baser mon travail : que raconte cette image ? Finalement, la seule information que j’avais sur les origines de Maria Theodora, sur sa mère indonésienne, c’était son air de famille, son apparence asiatique, c’était sa ressemblance avec sa mère. Pour mieux comprendre l’image, j’ai décidé de la refaire : refaire une image du XIXe siècle avec des moyens très proches de ceux de l’époque avec une caméra 6/6 analogique. Mais avec des gens contemporains : mélange de mémoire, de passé et de présent, avec l’Indonésie d’aujourd’hui, une société multiculturelle, qui était à l’époque une dictature, il y avait donc un rapport au pouvoir difficile. Le rapport aux Blancs était également un peu compliqué, perçus comme les descendants des coloniaux.

Maria Theodora
Un des portraits de Maria Theodora.

Donc j’ai décidé de refaire cette photo avec des femmes très différentes dans l’espoir absurde de la retrouver, elle : Maria Theodora, comme un casting impossible. Comme si en photographiant assez de personnes je pouvais tomber sur mon ancêtre ou sur une descendante de mon ancêtre. C’est une question de mémoire. J’avais raconté l’histoire de Maria Theodora aux modèles qui regardaient la photo lorsque je les photographiais, elles étaient vraiment en train de l’incarner. En rentrant en France et en Allemagne, j’ai fait la même chose avec des femmes européennes. Puis j’ai fait les tirages moi-même dans la chambre noire, j’ai mis un négatif en haut avec la photo originale en dessous, à la place du papier photo et j’ai essayé de trouver la même échelle en me basant sur les mains, le triangle entre les yeux et la bouche. A un moment j’ai vu les points du tissu de la nouvelle photo recouvrir les points du tissu ancien, comme du moiré, le motif de la robe reproduite était exactement le même. Les deux photos, celle de 1860 et celle de 1996, se recouvraient assez précisément. J’ai l’impression qu’à travers le passé, le présent et cette reconstitution du passé, j’ai touché par l’image une autre époque, comme une machine à remonter le temps. La photo était le médium me permettant de toucher à cette autre époque.

L’autre volet que vous ne connaissez pas est le livre qui regroupe un texte d’explication général, les photos, mes notes de voyage et son journal à elle, mais qui est écrit par moi. Donc en fait j’ai vraiment plongé dans la photo pour arriver dans une autre époque. Un travail d’identification. Comme si j’avais traversé cette image, comme Alice traverse le miroir, ou Orphée dans le film de Cocteau, ou comme dans ce film étrange Mullholland Drive de David Lynch. Une « traversée des apparences » pour se connecter à une autre époque, une autre vie. La mémoire est vraiment importante car elle nous permet de mieux comprendre le présent et de peut-être de prendre avec plus de conscience des décisions pour le futur.

Est-ce que quand vous exposez les portraits vous montrez l’original ou vous laissez au spectateur la possibilité de se faire sa propre image de Maria Theodora par rapport aux 120 portraits qu’il voit en face de lui ?

Il y a la série et la photo d’origine, mais les autres éléments, la vidéo et le livre ne sont pas nécessairement exposés. Je n’ai jamais pensé ne pas la montrer, elle en fait partie. Elle est accrochée sur le côté, et les autres continuent, un peu comme une sorte d’armée qui l’entoure, l’armée des ombres.

Concernant l’histoire des héros en Turquie (Héros des Dardanelles, 2012), là-bas, la sculpture n’a pas été montrée parce que tout le monde la connaissait, on a ajouté les photos des sculptures dans les autres pays où le mythe ne fait pas partie de la mémoire collective.

Quand on travaille sur le thème de la mémoire, il y a nécessairement en filigrane le thème de la mort. Dès vos tout premiers travaux, comme les Serviettes en papier (1988-1990), la mort est cachée, mais elle est déjà là. Dans vos travaux les plus récents, on retrouve la mort dans le reflet de votre œil (Augenblick, 2014), et vous citez Musset, « Chaque vrai regard est un désir ». Quel rapport entretenez-vous avec la mort ? 

La mort n’est rien d’autre que la fin de la vie, ce n’est pas plus spectaculaire que ça. Après, il y a un genre pictural, le memento mori, en réaction à la vanité. Une des très grandes époques des vanités étaient le baroque, dont le faste incroyable peut être comparé à aujourd’hui où face à des richesses accumulées se trouvent des gens ayant du mal à joindre les deux bouts. On est peut-être dans une nouvelle époque du baroque où le memento mori est de nouveau un sujet important (par exemple chez Damien Hirst). Mais pour moi, il y a aussi un autre point de départ : le sida. Dans les années 1980 c’était une maladie qu’on ne savait pas du tout traiter et qui était extrêmement liée aux homosexuels, avant qu’on réalise que tout le monde était concerné et qu’elle se transmettait aussi par d’autres voies, mais cela a engendré beaucoup de stigmatisation. Dans notre cercle d’amis des gens l’ont attrapé et sont morts, d’autres sont séropositifs mais résistent encore. Donc la mort était présente de manière assez dramatique, parce que liée à la sexualité, c’est Eros et Thanatos qui se rejoignent dans une forme complètement grotesque et cynique.

Je suis allemand et dans la culture allemande il y a une tradition de représentation de la mort avec les danses macabres par exemple, ou encore par les Expressionnistes. Donc quelque part c’est aussi une référence picturale. Représenter la mort par un crâne ou un squelette est très littéral, mais cette référence picturale permet de montrer quelque chose qui est difficile à montrer autrement : la finitude du temps. La mort ne me fait aucunement peur, fini les tracasseries, les migraines et les prises de tête !

D’ailleurs vous prenez même le contrepied des vanités et du memento mori avec votre œuvre Memento Vivendi (1992) où vous détournez les médaillons en porcelaine des pierres tombales. On sent une volonté de dédramatiser la mort.

Ce travail a été fait à une époque où j’ai été invité par Christian Boltanski à une exposition à la paroisse de Saint Eustache qui était impliquée dans la sensibilisation au sida au moment où un très bon ami venait de mourir. C’était un contrepied effectivement, je me suis dit : mais merde, la vie continue ! C’est très bizarre, je suis passé aux pompes funèbres en leur montrant des photos et leur disant : voilà, je veux des médaillons avec ça. Ils ont trainé avec la fabrication, je ne comprenais pas pourquoi. Le premier céramiste avait refusé de faire le travail car il ne trouvait pas le visage. Effectivement il n’y en avait pas, la photo représentait des détails de reflets sur l’eau, c’est très zoomé, c’est cosmique. Je voulais qu’on sente du concret, de l’ombre, de la lumière et de la matière sans pour autant pouvoir le situer. Le céramiste était complètement perdu. J’ai été obligé d’aller voir un second céramiste ! J’ai appelé ça Memento Vivendi, la vie continue et chaque petit moment de la vie vaut la peine d’être vécu.

L’image de la mort dans mon travail est plus présente dans ce sens-là : on n’est pas éternel, chaque instant compte – et c’est peut-être aussi pour ça que j’ai accepté de partager un moment avec vous !

Quelle place accordez-vous à la religion dans votre œuvre ? En effet, on peut y trouver le Golem, tiré de la mythologie juive ou encore un Détecteur d’anges (1992-1995). D’une manière générale, comme envisagez-vous la religion et la spiritualité à travers de votre œuvre ?

Tout d’abord, je vais être très clair : je ne suis pas du tout croyant. Je crois à la vie, on est là, et il faut faire quelque chose pendant le temps qu’on est là. Je suis très scientifique par rapport à tout ça : on est sur Terre doué d’une conscience et d’une intelligence et avec ça il faut parvenir à faire le mieux que l’on puisse faire. Est-ce que la vie a du sens ? Oui, le sens qu’on essaye d’y mettre. Mais en soi non, il n’y a pas d’Etre suprême donnant du sens à la nature, c’est bien nous qui lui donnons du sens. Goethe dit sa très bien dans son poème Le divin. Il y a des œuvres qui se réfèrent à des mythes ou des images culturelles ou religieuses vivantes en Europe, judéo-chrétiennes. Ce qui m’intéresse là-dedans c’est comment dans des cultures différentes on se raconte la vie, et comment on invente du sens, et quel sens. C’est pour ça que les contes et les mythes, religieux ou non, m’intéressent en tant que récits cherchant à donner du sens à la vie, c’est du storytelling.

Vous travaillez sur la notion d’icône, un terme religieux que vous utilisez beaucoup mais en l’intégrant de manière diverse avec des Barbie (Exhibitionniste, 1990, et Croisements, 2000-2013), un boys band (Worlds Apart, 1998) ou encore Che Guevara (Che, 2001-2004). On retrouve une dénonciation dans vos travaux sur les icônes, elles sont toutes mises à nues, comme les stars de cinéma sans cheveux (Nues, 1991-1994). Elles tombent de leur piédestal. 

Oui, c’est un des mécanismes de mon travail. Je parle d’icône avec la connotation religieuse, une icône c’est une image qui fait appel à la croyance, représentant quelque chose au-delà de notre pauvre vie terrestre : un dieu, une divinité. Effectivement, j’emploie ce terme avec ironie quand je l’applique aux poupées Barbie, c’est un démontage de la croyance. On en revient à la question jusqu’à quel point ont veut croire à la véracité d’une image, et cette notion est cristallisée par les icônes ou ces objets.

Vous avez également un rapport assez fort avec l’univers du conte, vous citez les Ducats tombés du ciel des frères Grimm ou Les habits neufs de l’empereur d’Andersen. Est-ce une source d’inspiration ? Quels symboles y trouvez-vous ? Qu’est-ce qui vous attire dans les contes ?

C’est le storytelling, raconter des histoires qui nous expliquent le monde, avec des symboliques, des interprétations passant par la psychanalyse. Je crois que les meilleurs contes sont des contes qui sous forme d’une histoire simpliste avec des stéréotypes, le roi, le peuple, racontent des histoires emblématiques qui nous expliquent quelque chose sur le pouvoir, le dépassement de notre place dans le monde, sur l’amour, sur des malentendus, comme ce texte sur l’ombre sur mon site.

La figure du Golem dans votre œuvre m’a fait penser au roman du Gustave Meyrink qui écrit dans Le Golem (1915)

« La vie entière n’est rien d’autre que des questions devenues formes, qui portent en elles le germe de leur réponse, et des réponses grosses de questions. Celui qui y voit autre chose est un fou. »

J’adore ! C’est vachement bien. Je crois qu’il faut se méfier comme de la peste de celui qui croit avoir les réponses. Les gens prétendant avoir des réponses simples à des questions complexes sont des joueurs de flutes de Hamelin qui vont kidnapper les petits enfants et les amener en enfer. Ça résume parfaitement ce que je ressens et ce que j’essaye d’expérimenter avec mon travail.

Pour en revenir au Golem, ce qui m’intéresse c’est qu’il est la création de l’homme, qui le dépasse et qui va devenir monstrueux. C’est un mythe que l’on est en train de vivre, l’être humain avec la technologie et l’économie qui est devenue la seule règle gérant les rapports humains et environnementaux est en train de scier la branche sur laquelle il est assis. Peut-être faudrait-il penser une approche plus modeste, durable, et justement tendre avec ce qui nous entoure. Nous sommes dans une attitude d’envahisseurs, impérialiste. Il y a de réels problèmes de réchauffement climatique avec de réelles répercussions sur notre survie, par exemple. Ce qui m’intéresse dans les mythes c’est la tendance de l’être humain à vouloir aller jusqu’au bout de ce qui est techniquement possible sans respect de l’autre au sens très large.

C’est vrai que dans la légende du Golem il y a ce côté de la figure monstrueuse qui disparait, dont plus personne n’a conscience jusqu’au moment où elle finit par réapparaitre, mais il est alors trop tard pour réagir.

Quand on est artiste, quand on crée des choses qui font sens, on a une responsabilité. En général en tant qu’être humain on a des responsabilités. Dans mon œuvre pour la place du préfet Erignac (Paris, 2004) où j’avais mis des citations sur des bancs publics, plusieurs de ces phrases font écho à la responsabilité. « Chacun est seul responsable de tous » ou encore « Une nation qui n’a pas de mémoire n’a pas d’avenir », ce sont des phrases sur lesquelles je suis tombé en dialoguant avec la famille Erignac. Dans son petit carnet je lisais une phrase après l’autre et je m’y retrouvais. Il y avait beaucoup de réflexions sur l’autre, le dialogue, la responsabilité, avec une certaine modestie aussi, et de l’humour.

J’aimerais bien partager un instant avec vous, sans mots, avec le Détecteur d’anges (1992-1995). Cette œuvre est une collaboration avec Jason Karaïndros. C’est un détecteur qui s’allume quand un ange passe. On a montré ce détecteur dans des contextes très différents : des expositions, des colloques, des écoles, en France, Allemagne, Grèce, Tunisie, au Japon … Dans l’espace public se serait génial également… On a travaillé un an dessus avec un électronicien, Walter Goettmann, pour parvenir à faire fonctionner le système puisqu’il fonctionne à l’inverse des circuits électroniques classiques. Par ailleurs, le microphone entendait son propre fonctionnement, comme l’on peut entendre son propre battement du cœur. Il a fallu trouver un seuil de fonctionnement, et on peut le rendre plus ou moins sensible. Il a son caractère à lui.

Les trois se taisent. Après un temps d’hésitation, l’ampoule du Détecteur d’anges s’allume doucement.

Dernière question : quelle est la question qu’on ne vous a pas posé et que vous auriez aimé entendre ?

(Après un moment de réflexion) … elle est difficile et liée au fonctionnement du marché de l’art. J’ai 50 ans et le regard sur le temps et sur son propre travail change, on change d’angle de vue. Jusqu’alors je regardais en avant et maintenant je me dis, j’ai fait tout ça et qu’est-ce que j’arriverai encore à faire ? La finitude du temps devient de plus en plus marquée avec l’âge. On s’aperçoit qu’aucun moment ne se répète, qu’aucune occasion ne se représente. La question que je me pose est : qu’est-ce que je suis arrivé à faire ? Pas grand-chose, sur Google il y a 100 000 000 autres entrées, et nous sommes des artistes marginaux, inexistants sur le marché de l’art et du coup pratiquement invisibles dans le milieu de l’art. Ça donne un sacré coup à l’estime de soi car on ne vaut rien aux yeux du marché et de l’économie : on ne vaut rien, donc notre travail ne vaut rien ? La question que je vous pose est : qu’est-ce que ça vaut, ce type de travail ?

Retrouvez une vidéo du travail “Justice(s)” de Jakob Gautel avec l’Atelier A d’Arte et QG des artistes ici.

Le site de Jakob Gautel.

Toutes les illustrations, hormis la photographie de Jakob Gautel avec le Détecteur d’anges, proviennent du site de Jakob Gautel, avec son aimable autorisation, © Jakob Gautel / ADAGP.

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