La Dactylo

La Dactylo

Le mur comme machine à écrire

Ceci est une introduction : saint oma street art.

“Il me semble que l’acte de produire et proposer quelque chose dans l’espace public n’est jamais anodin. Il est, de fait, engagé. Les street-artistes revendiquent le droit de s’exprimer en s’appropriant l’espace dans lequel ils vivent, quitte à être parfois dans l’illégalité.”

PARCOURS

As-tu toujours eu ce goût pour l’écriture ? Quand as-tu commencé dans la rue ?

Du fait du métier de mes parents, respectivement écrivain et journaliste, j’ai toujours baigné dans un milieu littéraire. Vers mes 15 ans, j’ai commencé à écrire des rap et des slam car je ne savais pas chanter. J’ai ensuite réalisé beaucoup de collages car je ne savais pas vraiment dessiner et j’ai débuté la photographie (mon premier métier aujourd’hui) car je ne savais pas peindre. J’ai toujours inconsciemment trouvé des formes de subterfuges pour pallier mes pseudo-incapacités. La Dactylo a fait ses premières armes sur Instagram il y a trois ans, après des années à remplir des blocs notes de jeux de mots et d’aphorismes restés dans mes tiroirs. Très vite, j’ai été frustrée de dépendre de cet algorithme fluctuant et de ne pas toucher un maximum de personnes. C’est pour compléter ma démarche que j’ai voulu descendre dans la rue. J’ai d’abord collé des affiches, mais je me suis aperçue qu’il était fastidieux d’avoir un matériel si lourd pour un résultat qui ne tenait pas longtemps et qui ne me plaisait pas tellement esthétiquement parlant. J’ai alors décidé de passer à la technique du pochoir. C’est un élan qui paraissait essentiel à mon travail d’écriture.

DACTYLOGRAPHIER DANS LA RUE

Pourquoi avoir choisi de placer uniquement du texte dans la rue ?

La Dactylo écrit, elle ne dessine pas. Je trouvais intéressant de placer uniquement du texte car cela force à s’adapter à son milieu, à l’architecture de la ville, ses murs et ses rues. C’est un challenge de rendre un écrit aussi fort qu’une illustration, car les gens sont souvent plus attirés par le dessin. Je trouve cela jouissif qu’une de mes phrases joue avec son environnement au point de prendre tout son sens sur un vieux matelas comme « Coucher pour réussir, alors je reste au lit. » Mais selon moi, cela relève davantage de l’exercice d’écriture ou du remue-méninge que de la littérature à proprement dit. 

Paris
Utilises-tu des aphorismes pour t’adapter à la durée de concentration du passant ?

J’avais, pendant une période, lancé sur Instagram des posts s’intitulant « Les annonces matrimoniales ». C’était un travail sur les champs lexicaux, des jeux de mots en rapport avec une thématique. Mais le public des réseaux sociaux souffre d’un manque de concentration et scrolle à toute vitesse. Au-delà de trois, quatre phrases, on perd son attention, cela ne l’intéresse plus. De fait, cet exercice des annonces matrimoniales n’a pas eu le succès escompté. Dans la rue, je dispose mes pochoirs de différents formats de manière à ce qu’ils soient facilement visibles et lisibles. Par exemple si je poche en hauteur et d’un endroit un peu éloigné de la vue des passants, je vais privilégier une phrase plutôt courte avec une taille de lettres plutôt grande afin que le pochoir soit vite repéré et lu. 

Paris
Paris
Comment construis-tu tes phrases ? Considères-tu avoir une écriture spontanée ou sous contrainte comme l’Oulipo ?

J’ai désormais une mécanique assez bien rodée. Je retourne dans ma tête les mots, les champs lexicaux et les synonymes dans tous les sens jusqu’à trouver une idée qui me plaise.  Ma seule contrainte d’écriture se trouve dans la forme. Ce sont par définition des aphorismes, donc le texte doit être court et aussi se rapprocher au maximum du jeu de mot. Endormie, il me vient parfois des idées flash : dans ces cas-là, dans un sommeil semi-conscient, je me force à les retenir. Le matin, une fois réveillée, je suis parfois déçue quand je réalise que le résultat n’est pas si concluant. Je suis influencée par tout ce qui m’entoure, l’actualité, un film ou une lecture. Mon inspiration dépend aussi de mon mood et de ce que j’ai fait durant la journée. J’ai des moments de création plus fastes que d’autres, il arrive parfois que la mécanique s’enraye, mais ça ne dure jamais très longtemps. Illuminer le quotidien des gens ou parvenir à les faire sourire me motive considérablement. 

Pourquoi avoir choisi le pochoir comme medium d’écriture ?

J’ai déjà pensé à écrire au Posca ou à la bombe par exemple, mais mon écriture ne s’y prête pas ! Le pochoir permet aussi de créer une « patte » reconnaissable à travers le choix de la typographie. Pour ma part, j’ai choisi une typographie brute, assez classique, sans fioritures, permettant ainsi de se concentrer avant tout sur le message délivré. A contrario, j’ai cherché à me démarquer sur la forme sur Instagram, à travers des phrases qui s’écrivent au fur et à mesure qu’on les lit pour finir par une chute. 

LES MURS ONT LA PAROLE

L’écriture dans la rue est souvent associée à un acte militant ou engagé.

C’est vrai, le Street art représente une démarche assez clivée. En tant que femme tout d’abord, on m’arrête souvent dans la rue en me traitant de « sale féministe » ou autre, faisant probablement référence aux colleuses (que je respecte beaucoup). Comme mon art n’est pas illustratif mais se compose de mots, on pense souvent qu’il doit forcément y avoir un message politique derrière. À l’autre bout du spectre, on confond aussi parfois ma démarche avec le tag, qui n’est pas non plus considéré comme artistique, mais plutôt comme dégradant. Les gens se montrent souvent moins méfiants et moins agressifs face à un artiste qui ferait un joli dessin.

Il me semble que l’acte de produire et proposer quelque chose dans l’espace public n’est jamais anodin. Il est, de fait, engagé. Les street-artistes revendiquent le droit de s’exprimer en s’appropriant l’espace dans lequel ils vivent, quitte à être parfois dans l’illégalité. De là à être militante, je ne pense pas. Je prends parti de m’approprier l’espace public, qui, comme son nom l’indique, appartient à tout le monde. Mais ce n’est pas au goût de tous. Quand je poche dans la rue, il y a d’abord une démarche artistique, mais aussi un acte fort qui peut être vu comme politique, sauvage, ou alternatif. C’est un peu une rébellion contre certaines règles… Personnellement, je ne pense pas être transgressive, je pense surtout revendiquer la liberté d’expression et le partage. L’idée c’est d’avoir un message responsable, de transmettre une idée et de laisser chacun l’interpréter comme bon lui semble. Les thèmes que j’aborde à travers mes pochoirs sont très divers. Je crée des œuvres sur des problèmes de société : « Les femmes ont des habits, certains hommes n’ont aucune tenue », pour faire réfléchir via des aphorismes plus poétiques : « Tout vient à point à qui sait être tendre » ou encore pour susciter un sourire et titiller l’humour de chacun : « Bikini ou be cul nu ? ». Il n’y a pas de règles établies.

Paris
Paris
Considères-tu que l’écriture puisses être chez toi une forme de protection personnelle qui permet une certaine mise à distance ? 

Il y a dans mes textes de rue une mise à distance, plus importante que dans ce que j’écris à côté, des poèmes en prose. Les gens pensent régulièrement que je parle de moi à travers mes pochoirs, mais c’est très rare. J’aborde des thèmes assez généraux, certains plus absurdes, d’autres sur l’actualité ou l’amour. Ce que j’écris n’est pas forcément une traduction directe de ce que je pense, relevant souvent plus de l’exercice de style que du témoignage intime. J’aime l’idée que chacun puisse avoir sa propre interprétation et compréhension de mes mots. Cette mise à distance passe aussi par le choix du nom La Dactylo, un personnage qui, inconsciemment, est différent de moi. 

LA VILLE EST UNE PAGE BLANCHE

En quoi la rue est-elle un espace de création particulier permettant la propagation et la résonance de la phrase ?

Le côté hasardeux de la rue me plaît, que je choisisse mes lieux à l’avance en fonction d’une phrase ou que je me balade jusqu’à être surprise pour pouvoir à mon tour surprendre les passants dans leur quotidien. Il n’y a que la rue qui peut apporter cet heureux hasard aux gens. Je cherche à capter leur attention et les surprendre autrement que sur un écran de téléphone, les stimuler à travers une forme d’art « à l’ancienne » qui les pousse à regarder autour d’eux, au dehors. Avant les réseaux sociaux, c’est bien dans la rue que tout se passait. Cette dernière, rend la création plus tangible : comme une photo qui devient un tirage ou un texte qui devient un livre, mes phrases y prennent une dimension plus censée et palpable, acquérant une nouvelle résonance.

Saint-Malo
Saint-Malo
La question de l’éphémère a-t-elle un sens dans l’écriture ? Y-a-t-il des phrases que tu n’utiliserais plus ?

Dans l’idéal j’aimerais pouvoir inscrire mes phrases plus en hauteur afin qu’elles vivent le plus longtemps possible. Le fait que cet art soit éphémère n’apporte pas plus de sens à mes phrases en tant que tel. Certains pochoirs restent longtemps à certains endroits tandis que d’autres peuvent être effacés dans l’heure, ce côté éphémère peut parfois être un peu frustrant, mais c’est le jeu et c’est ça qui rend l’exercice aussi grisant. Certaines phrases, sont devenues (malgré moi) un peu ma signature comme « Je ne pense Covid qui nous sépare » ou « Je m’attache à toi lierre de rien ». Donc je continuerai à les utiliser. A l’inverse, j’en remplace d’autres qui me lassent, même si à travers les Dactylo Tour j’ai l’occasion de les réutiliser dans toute la France, notamment dans des villes qui n’en connaissent aucune. Il faut qu’il y ait une certaine richesse et de la nouveauté : j’essaie ainsi d’en faire spécifiquement pour chaque ville traversée.  Ainsi, « La nuit je Mans », au Mans, a eu un certain succès… Je crée de nouveaux pochoirs au fur à mesure en délaissant petit à petit les anciens. Naturellement, une nouvelle boucle de pochoirs se crée sans cesse. 

Vannes
Ault
Penses-tu la ville en fonction des phrases que tu écris ? Spatialises-tu l’espace par type de lieux (écoles, hôpitaux…) ?

J’arrive parfois dans une ville pour laquelle j’ai des phrases en tête mais sans pochoir pour les écrire.  Je me débrouille alors autrement, avec des petites lettres uniques en pochoirs, que je transporte pendant mes périples. Ça aide à pallier toute situation et à appliquer les idées soudaines. Quand mes pochoirs ne font qu’un avec l’environnement, c’est idéal : à Rouen j’étais ainsi très contente de pouvoir écrire sur une devanture de bar libertin : « Simuler au lit c’est biaiser ». Ce que je préfère le plus, c’est lorsque mon pochoir résonne totalement avec son support ou avec l’environnement dans lequel je le pose, tout s’assemble, se lie, se répond, ça crée une osmose palpitante. Il y en a d’autres auxquels je réfléchis pour les placer en plus petit sur des boites aux lettres, près des pharmacies ou des hôpitaux, notamment quand la Covid battait son plein. Mais j’aime surtout ne pas trop prévoir et me laisser surprendre.

Vannes
Caen
L’Art urbain est-il pour toi un courant artistique ? Si oui, penses-tu faire partie d’une sous-famille spécifique tournée autour de l’écriture ?

Selon moi, le Street art est un courant artistique compliqué à définir du fait de sa diversité, alors que l’apparition du Graffiti en tant que tel est aussi important que la naissance d’un courant musical. De mon côté je me définirais plus comme artiste tout court que comme « street artiste ». Je n’ai jamais créé pour m’inspirer d’artistes préexistants, de la même façon que je ne suis pas descendue dans la rue pour faire « à la Miss.Tic. ». Les gens confondent souvent le travail des artistes qui ne font que du texte dans la rue. Et pourtant, nous n’utilisons pas la même typographie ou le même style de phrases. Cela veut dire que beaucoup de choses restent à faire, rien n’est immuable et c’est stimulant !

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Photographies:  La Dactylo

Vous pouvez retrouver La dactylo sur Facebook,  Instagram.

Entretien enregistré en juillet 2021.

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