Carole b.

Carole b.

Icônes d'hier, combattantes d'aujourd'hui

Ceci est une introduction : saint oma street art.

“J’ai choisi la devise Liberté Egalité Féminité car je me suis aperçue qu’elle portait en elle les aspirations universelles des femmes.”

PARCOURS

Comment es-tu devenue artiste ? Quand as-tu commencé dans la rue ?

Mes débuts en tant qu’artiste professionnelle datent début 2017. En 2016, je travaillais alors en tant que formatrice cosmétique en centre pénitentiaire. C’était très prenant et j’avais beaucoup de responsabilités, ce qui n’était pas toujours évident. Après un burnout, mon entourage m’a encouragé à revenir à des loisirs artistiques que je pratiquais déjà en autodidacte, comme le découpage et l’assemblage d’œuvres en papier. J’ai pris ce temps comme une opportunité d’y replonger : en commençant à exposer et en m’apercevant que les gens s’intéressaient à mon travail, je me suis sentie mieux. Tout en gardant cette activité en parallèle, j’ai conservé mon travail à la prison mais quand mon contrat s’est arrêté j’ai décidé de ne pas le renouveler. Quitte à travailler de façon précaire autant devenir artiste ! J’ai choisi de me lancer à fond, sans filet, car cela aurait été très difficile d’avoir une chance de percer tout en ayant une autre activité chronophage à côté. Mes premiers pas dans la rue datent quant à eux de juin 2018, car à force de proposer des œuvres de plus en plus engagées dans des expositions classiques, je me suis sentie en décalage. J’ai pensé que la rue serait le meilleur endroit pour pouvoir montrer mes idées et mon univers aussi féminin que féministe et le pochoir s’est imposé naturellement comme moyen d’expression.

DE LA DECOUPE AU POCHOIR

Il y a des affinités esthétiques entre la pratique du découpage/collage et le pochoir, notamment à travers l’utilisation de nombreux layers.

Le pochoir et le découpage/collage ont un lien assez évident. Comme ils sont complémentaires, la transition entre les deux s’est faite naturellement, et il m’a fallu très peu d’essais pour faire mes premiers beaux pochoirs. Ils forment presque un yin et yang positif et négatif : avec le découpage/collage je découpe des formes pour les compiler et les assembler, tandis qu’au pochoir j’enlève les formes pour remplir ces espaces de peinture. Ce sont en fait des étapes similaires mais inversées. Dès que j’ai compris les différentes gammes de bombe existantes, tout s’est fait très vite et sans difficultés. Mais ce qui est très intéressant avec le pochoir, c’est de pouvoir reproduire, aussi bien pour les œuvres à vendre, qu’à coller sur les murs. Ainsi, je garde mes sets pour plusieurs utilisations. Je trouve cela très intéressant, presque en droite ligne du Pop art et du côté mécanique des sérigraphies d’Andy Warhol. Le pochoir offre ainsi une belle part d’exploration, permettant de tester différentes couleurs et différents effets.

Comment fais-tu désormais dialoguer ces deux techniques ?

Pour l’instant je garde le découpage/collage pour l‘intérieur, préférant placer des pochoirs collés dans la rue. Mais cela m’arrive de temps en temps de mixer ces deux pratiques, comme une passerelle qui les relierait et un jour j’aimerais faire un découpage/collage pour l’extérieur. Il faudrait pour cela réfléchir à un système de protection contre la pluie. Le fait d’avoir deux techniques permet aussi que l’une soit la récréation de l’autre : je n’ai pas le temps de me lasser ni de m’ennuyer.

LA FEMME ET LES ICONES

Comment en es-tu venue à t’intéresser aux icônes ?

Mon intérêt pour les icônes remonte à très longtemps. Depuis l’âge de 10 ans je suis fan des pin-up, ces femmes à la féminité exacerbée, à la sensualité mise en avant, ces figures de calendrier. J’ai toujours été intéressé par ce glamour qui va de Marilyn Monroe et Liz Taylor aux supermodels comme Naomi Campbell. J’ai fini par comprendre au fur et à mesure que je portais toujours mon admiration sur des femmes qui, malgré leur féminité et leur statut de star, n’étaient pas pour autant des êtres faibles, utilisant leur féminité comme une force. Au début mon entourage trouvait que cet univers était très féministe : à l’époque, cela sonnait presque comme un gros mot. Je ne me sentais pas féministe, ne me revendiquais pas féministe. A force de l’entendre dire et de prendre du recul, j’ai réalisé que toutes les femmes que je représente sont des femmes fortes : en cela elles sont féministes car elles cassent les codes pour prendre le pouvoir. C’est ainsi que j’ai poursuivi mon incursion dans l’univers féminin avec une dose de force, de revendication, mais toujours aussi avec douceur.

Tu parles ainsi du personnage de Wonder Woman comme étant capable d’endosser toutes les causes.

Ce qui est intéressant avec Wonder Woman, c’est que sa genèse, en dehors de la figure de super-héroïne, fait un peu écho au mouvement des femmes dans la société. Quand je rencontre des enfants, je leur demande de me citer les noms de super-héros : ils ne connaissent que des hommes à l’exception parfois de Batgirl, Catwoman, ou Wonder Woman. Cela illustre bien une réalité de notre société qui est que dans les postes de pouvoir, les femmes ne sont toujours pas aussi reconnues et répandues que les hommes. Très peu de femmes ont été présidentes : en France une seule a été Premier ministre, et seulement pendant quelques mois ! Cela procède d’un préjugé qui est que la féminité ne peut pas être assumée comme quelque chose de sérieux : le glamour ne peut pas être une force. Quand on se penche sur le personnage de Wonder Woman, on s’aperçoit ainsi qu’en 2016 l’ONU l’avait choisi comme figure de l’émancipation de la femme. Très vite, des voix se sont élevées et ont trouvé scandaleux qu’une héroïne, fictive de surcroît, aux mensurations avantageuses, soit la figure de la libération de la femme. Et au bout de quelques mois l’ONU a finalement abandonné l’idée. Cette histoire est le reflet de la vie des femmes dans la société, qui ne sont pas crédibles lorsqu’elles sont en minijupe ou trop glamour. Il est apparement inconcevable pour une femme d’être canon et major de promo. Wonder Woman a évolué à travers les époques, passant d’assistante à des postes avec plus de pouvoir, de glamour à corsetée. Elle est à l’image de la société et c’est pour cela qu’elle incarne selon moi cette époque post #metoo où les femmes revendiquent énormément de choses et ne lâchent pas l’affaire.

Thomas Sankara occupe une place particulière dans ton travail, étant le seul homme représenté.

C’est vrai, mais je vais essayer de plus en plus d’inclure des hommes. Thomas Sankara fait partie de ces personnes qui ne sont pas assez représentées dans l’Art. Quand j’ai découvert sa vie, je suis vraiment tombée amoureuse de ses convictions et de sa volonté politique. A travers lui, je montre que même les hommes peuvent être féministes. Quand Simone Veil fait passer sa loi, elle ne la présente pas devant une assemblée de femmes : il lui faut donc convaincre les hommes, pour que certains défendent cette avancée des femmes. Donc pour moi le féminisme est aussi une affaire de bonhomme.

CE QUI FAIT NATION

Ton travail porte aussi un questionnement autour de la République, de ce qui fait nation.

J’ai choisi la devise Liberté Egalité Féminité car je me suis aperçue qu’elle portait en elle les aspirations universelles des femmes. Au début j’hésitais à ajouter sororité mais le mot je ne trouve pas le mot très joli et la plupart des gens ne le connaissent pas, tout comme le mot adelphité. Je préfère faire un pas de côté, pour utiliser le mot féminité. Ce n’est pas à proprement parler l’équivalent de fraternité, mais les gens savent que je fais intrinsèquement référence à une fraternité comprise de façon large et adressée aux femmes. Même les plus petits vont comprendre que les femmes sont aussi présentes et qu’il faut être solidaire avec elles. J’ai une vision du féminisme très large, qui essaie d’inclure et d’englober : dès lors, féminité est un mot qui peut aussi se rapporter aux hommes, qui peuvent en avoir une part en eux.

(& oeuvre de Marquise)
Pourquoi avoir choisi d’utiliser le timbre comme support ?

Je trouvais rigolo de représenter en grand cet objet que tout le monde connaît au format miniature (ne dit-on pas “grand comme un timbre-poste ?”). Il donne à mes pièces une dimension officielle et très républicaine : or, j’aime beaucoup jouer avec des symboles que les gens reconnaissent. A travers le timbre, le portrait devient Marianne, un personnage qui a valeur d’exemple, qui incarne un idéal, sans qu’il soit nécessaire de rajouter des informations. Je fais souvent beaucoup de recherches : jusqu’en 2020 la couleur des timbres variait ainsi en fonction de leur destination. C’est pour cela que celui de Simone Veil est à la fois rose et bleu, car le bleu était utilisé pour les timbres à destination de l’Europe, alors qu’elle-même a été la première femme présidente de l’Union Européenne. L’utilisation du violet, originellement employé pour l’international, fait souvent pour moi référence à la Journée Internationale des Droits des Femmes. La couleur peut ainsi être primordiale et vraiment faire l’objet d’un choix concret, faisant varier les interprétations, mais pour les petites séries dans laquelle elle n’a pas d’importance capitale, elle me permet également d’explorer les harmonies.

COLLER DANS LA RUE

Quel est ton regard sur l’aspect éphémère du collage ?

J’utilise dans la rue des pochoirs originaux que je peins chez moi sur du papier puis que je colle ou fais coller sur les murs. Cette technique est pratique et me permet de travailler en amont. En effet, mes pochoirs sont multi-layers, allant de six à parfois vingt couches ou plus en fonction de la complexité des détails. C’est presque impossible de le faire dans la rue, mais cela me permet aussi de les faire voyager en les confiant à d’autres, pour qu’il y en ait en dehors de Paris. Mais je dois aussi prendre du recul : mes collages sont d’autant plus éphémères qu’ils sont engagés et féministes. Quasiment tous mes collages Simone Veil ont été la cible de personnes anti IVG, ou hostiles à sa personnes. J’observe cela avec philosophie, car derrière ces personnes qui viennent arracher le visage de mon collage, il y en a souvent d’autres qui viennent corriger et réparer, réécrivant la devise d’origine, ou y substituant les mots « humaniste » ou « féministe ». Une fois quelqu’un a même retracé le visage de Simone, ce qui prouve qu’il y a toujours des gens qui nous soutiennent.

Le collage urbain est souvent lié à une logique de spot.

Je peux avoir des spots préférés mais qui ne figurent pas souvent sur les parcours Street art. Je trouve ça intéressant de se mettre un peu en décalage, d’avoir des spots à contre-courant. Je colle souvent seule, parfois dans des endroits absurdes où je sais que ma pièce ne sera pratiquement pas visible, mais où elle aura une chance de tenir. Si je ne suis pas très attachée à l’œuvre, j’espère néanmoins tenir le plus possible, ce qui lui conférera une visibilité.

En quoi la rue est un espace de création particulier ?

Pour la liberté de s’exprimer qu’elle offre et le fait de pouvoir toucher d’une façon douce différents publics, faisant passer des messages à des personnes qui ne sont peut-être pas intéressées par la politique. Cela m’est arrivé de voir des personnes engager une discussion sur les personnages représentés, s’interroger et aller sur Google. Je peux ainsi piquer la curiosité des gens et exprimer davantage ma fibre pédagogique à destination de tous les publics.

L’Art urbain est-il pour toi un courant artistique ?

Bonne question ! J’ai du mal à déterminer si c’en est un parce que le champ de l’Art Urbain est extrêmement vaste et protéiforme. Je suis toujours surprise par la diversité des thèmes, des supports et des techniques. Ainsi que sa capacité à pouvoir toucher tous les publics. La question donc reste en suspens mais je considère que mon travail fait partie de l’Art urbain. Je trouve formidable le fait de pouvoir donner gratuitement à la rue une œuvre éphémère, soumise aux intempéries et aux comportements des spectateurs.  

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Photographies:  Carole b.

Vous pouvez retrouver Carole b. sur Facebook,  Instagram et sur son site internet.

Entretien enregistré en mai 2021.

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