Marquise

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Collages composites, reflets de nos diversités

Nous avons tendance à nous enfermer dans une communauté, à nous replier sur nous et nos pairs : je veux que mon travail aille à rebours de cette idée, qu’il fédère et favorise l’ouverture d’esprit afin d’inciter les gens à se rencontrer et communiquer pour faire fi des différences que l’on pense avoir. Cette question du vivre ensemble, qui va jusqu’au militantisme, se retrouve dans les personnages que je représente : que tout le monde puisse y être inclus, quel que soit son âge, son origine, sa morphologie ou son orientation sexuelle.”

PARCOURS

Comment as-tu commencé à créer dans la rue ?

Si je fais du collage depuis toute petite, j’ai commencé à travailler dans la rue il y a bientôt deux ans. Les raisons sont multiples, mais j’ai réalisé qu’il ne fallait pas attendre pour vivre ses rêves, et poser mes collages en extérieur était une envie que je portais depuis longtemps. A Paris, j’ai été fascinée par les œuvres d’Art urbain, les couleurs, les artistes et les mediums. Un jour j’ai franchi le pas, et dès lors c’est devenu une addiction. En créant dans la rue nous sommes tous amenés à nous poser la question de l’illégalité. Ce n’est pas quelque chose que je recherche spécifiquement, elle ne me motive pas. J’en ai conscience et j’agis en fonction, mais je ne suis pas une junkie de l’interdit. Je considère au contraire que je respecte pas mal les règles, mais certaines peuvent être contournées lorsqu’on met en balance son action : je ne suis pas dans la provocation, j’agis car j’en ai envie.

marquise street art
Le collage était donc un choix de medium naturel.

Cela a toujours été plus facile pour moi, un peu timide, de communiquer avec les images, car le visuel permet de faire passer beaucoup de choses. Je suis surtout passionnée par la photographie, notamment les reportages de guerre : ces photos racontent tellement qu’elles en viennent parfois à supplanter les mots. Ce medium qui me fascine porte en lui l’idée de transmission et de réécriture, permettant un vrai travail de l’imaginaire.

 

En quoi la rue est-elle un espace de création particulier ?

A partir du moment où j’ai collé dans la rue j’ai trouvé ce que je cherchais dans la vie, un espace de respiration qui permet aux gens de se côtoyer malgré les différences, de rencontrer d’autres artistes. La rue offre une ouverture sur le monde qui m’intéresse. C’est aussi une façon de rendre l’Art accessible, car il y aura toujours un artiste, des couleurs, un medium, un message ou un emplacement qui plaira. J’aime cette idée de galerie à ciel ouvert : comme certaines personnes n’aiment pas se rendre dans les musées ou les galeries, la rue leur offre la possibilité de voir des œuvres, tout en faisant de belles rencontres humaines, en côtoyant des artistes. L’Art urbain est véritablement pour moi quelque chose de fédérateur.

marquise street art
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Beaucoup d’artistes urbains jouent sur l’échelle et l’ambivalence de personnages à taille humaine. A l’inverse, tu choisis de travailler des formats plus réduits.

C’est un choix pragmatique : aujourd’hui j’imprime en A3 des éléments que j’agence ensemble. J’aimerais beaucoup réaliser de très grands formats car le medium pourrait parfaitement s’y prêter, mais c’est une question de coût. Pour l’instant je travaille avec plusieurs morceaux, ce qui me permet d’obtenir une échelle intermédiaire sur plus d’un mètre d’envergure. De plus grandes pièces permettraient un autre challenge : le choix d’un mur spécifique et une mise en scène plus développée.

UN UNIVERS COMPOSITE

D’où proviennent les images que tu utilises ?

Je travaille avec des personnages autour desquels je construis mes histoires : ces images principales sont les miennes. Il s’agit en général de gens que je connais, parmi lesquels beaucoup d’amis, de membres de ma famille. J’ai un rapport intime avec ces œuvres : le modèle qui pose pour mon collage réinterprétant Magritte – un artiste que j’aime beaucoup – est par exemple un ami dont je suis très proche. Je trouve génial de pouvoir valoriser ces personnes pour les transformer en héros de mes aventures : cela donne à ces pièces une dimension d’autant plus forte.

marquise street art
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Comment sont composés tes collages ? Les conçois-tu en amont ou en fonction du mur choisi ?

J’ai tendance à créer les histoires en amont avant d’avoir un coup de cœur pour un mur ou un lieu. Néanmoins, il demeure toujours un côté imprévisible, car mes images étant composées de plusieurs éléments, je ne sais jamais jusqu’au moment de la pose comment elles s’assembleront. Pour mon dernier collage la composition s’est ainsi véritablement adaptée au renfoncement sur lequel je travaillais, permettant aux éléments de sortir du cadre, ce que je n’avais pas anticipé. J’essaie de me laisser surprendre moi-même, de conserver une part de liberté permettant d’être inspirée par le moment. Depuis le confinement, j’ai envie de repenser mon travail : c’est pourquoi j’essaie de jouer avec cette spontanéité, de composer au fil de l’eau.  Je n’ai pas de but précis, pas de projection, ce qui me permet d’apprendre et d’évoluer au fil des rencontres et des évènements.

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As-tu toujours développé un univers surréaliste ?

J’ai toujours aimé le Surréalisme et le travail de Dalí ou Magritte, le fait de regarder une chose autrement pour la réinterpréter : c’est cette pluralité des points de vue qui permet à un groupe regardant un même nuage de ne pas y voir la même forme. C’est également le principe du test de Rorschach : chacun voit ce qu’il veut dans la tache. Ce surréalisme laisse une liberté au spectateur, liberté fondamentale dans l’Art urbain comme elle l’est dans la vie. Cette forme d’Art de rue offre la possibilité de casser un peu les codes, autant en profiter pour laisser libre cours à son imagination, à son être, à sa personnalité.

 

Quelles autres images vas-tu utiliser pour compléter ton univers ? Il est intéressant de voir dans ton travail les différentes parties rester indépendantes : tes œuvres se déploient en les juxtaposant.

L’image est ma passion : j’accumule des éléments qui me plaisent depuis la nuit des temps. Je les range dans des pochettes et les mêle de façon disparate : il y aura des choses des années 90 à côté de morceaux beaucoup plus récents. Ces pièces peuvent venir de partout : je tombe parfois sur un tract dont j’adore le motif. Je cherche alors à me laisser séduire par ces images pour pouvoir les rassembler : la magie opère lorsque je réussis à produire un résultat harmonieux. Comme leurs origines sont éparses il est normal d’avoir l’impression d’y retrouver différentes inspirations. Cette juxtaposition des formes et des époques est intéressante, et mon univers se construit sur cet hétéroclisme, assemblage d’incohérences que je vais rendre cohérentes.   

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Ne colles-tu que des pièces uniques ?

Comme il s’agit d’une composition in situ et que j’utilise plusieurs éléments, je n’obtiendrai jamais deux fois un résultat identique. Une pièce en vingt-quatre parties ou davantage confère au collage une dimension unique. Cependant, cela m’arrive de réutiliser des compositions, notamment lorsque je pars à l’étranger ou réalise des sessions avec d’autres artistes. Mais j’aime l’idée qu’une pièce soit la plus rare possible : il y a par exemple un collage représentant le voyage d’une personne en fauteuil roulant, volant avec des ballons au-dessus d’une ville : il est si compliqué à poser que je ne le réutiliserai pas !

 

L’assemblage final est donc décidé au moment de la pose.

Tout à fait, et j’imagine que cela est pareil pour tout peintre qui ajoute des éléments touche à touche. Quand je compose un mur je suis absente à ce qui m’entoure, habitée pour pouvoir créer au fil de l’eau, et l’image finale dépendra donc de mon état d’esprit, parfois aussi de la météo : en fonction du temps j’aurais probablement envie d’ajouter plus ou moins de papillons, que je garde toujours dans une enveloppe, sans forcément les poser. De fait, je conserve toujours un côté imprévisible : je ne peux pas anticiper moi-même ce qu’il va véritablement se passer. Le fait est que je prends donc beaucoup de temps pour travailler sur un mur, et qu’il ne vaut mieux pas que la police passe par là, au contraire d’un graffeur qui pourrait tracer extrêmement rapidement à la bombe.

Dès lors, considères-tu la pièce achevée lors de sa prévisualisation sur écran ou lorsque la pose est terminée ?

Une pièce est vraiment achevée au moment du collage. Si j’estime avoir le temps, je prends plusieurs fois du recul afin d’avoir une vision d’ensemble et de décider si elle est terminée ou non. La météo peut jouer : s’il fait très chaud le temps de séchage sera très court et la possibilité de faire des modifications réduites. Il y aussi des jours où je recherche davantage l’efficacité et d’autres à prendre mon temps. Quand je colle avec d’autres artistes ce sont parfois eux qui me demandent de m’arrêter !

UNE POUR TOUS

Dans un entretien tu évoquais l’idée de diversité. Pourquoi ce thème est-il central dans ton travail ?

L’idée de diversité est très importante pour moi, car ayant eu la chance de vivre pendant près de quinze ans à l’étranger étant enfant, j’ai eu la possibilité de côtoyer d’autres cultures, l’Autre, un riche ensemble de personnalités. J’ai à cœur de représenter cette diversité car je souhaite que chacun se sente à sa place dans le monde dans lequel on vit et que nous partageons. Nous avons tendance à nous enfermer dans une communauté, à nous replier sur nous et nos pairs : je veux que mon travail aille à rebours de cette idée, qu’il fédère et favorise l’ouverture d’esprit afin d’inciter les gens à se rencontrer et communiquer pour faire fi des différences que l’on pense avoir. Cette question du vivre ensemble, qui va jusqu’au militantisme, se retrouve dans les personnages que je représente : que tout le monde puisse y être inclus, quel que soit son âge, son origine, sa morphologie ou son orientation sexuelle.

Si je parle de féminisme c’est parce que tant que l’égalité homme femme n’existera pas il sera nécessaire d’en parler. Mais je crois qu’il y a différente façon d’évoquer le sujet et j’essaie juste de l’aborder au travers de l’égalité entre les individus. Le féminisme ce n’est pas l’hégémonie des femmes sur les hommes : c’est l’égalité des droits et la possibilité de parler d’êtres humains plutôt que de genres.

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Ton travail témoigne de la possibilité d’avoir une création tout à la fois engagée et poétique.

Je pense que mon travail peut être vu de différentes manières, c’est pour ça que j’ai à cœur que chacun s’approprie ce qu’il voit. On peut y trouver une dimension esthétique ou poétique ; une histoire libre d’interprétation qui variera d’une personne à l’autre ; mais aussi une dimension plus engagée. A titre personnel je suis assez engagée, mais je ne voudrais pas imposer mes idées à qui que ce soit, que chacun puisse rester libre. Je pense que le militantisme peut se faire de manière douce et l’Art est un très bon medium pour faire passer des messages sans brutaliser les gens.

 

Est-il selon toi essentiel qu’un travail dans la rue soit engagé ?

Je pense que chacun doit faire ce dont il a envie. Il y a certains univers graphiques purement esthétiques et d’autres plus engagés, voire militants. Tout se mélange dans la rue, et personne n’est obligé de s’engager. Il y a des gens qui ont envie de faire du beau et cela peut se suffire à soi-même. Notre travail est le reflet de notre personnalité : le mien est engagé car c’est le reflet de ce que je suis dans la vie de tous les jours, et je ne pourrais pas m’en départir.

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La rue reste cependant un terrain propice aux revendications et aux formes d’engagements. Les Collages Féminicides redonnent par exemple à la rue sa place de creuset des combats sociaux et politiques.

Historiquement, je pense qu’on trouvait dans l’espace public des interventions militantes plutôt qu’artistiques. Les affiches et les slogans y existaient bien avant une expression artistique désengagée. Ce qui est intéressant aujourd’hui c’est de pouvoir penser la rue comme un espace d’expression pluridimensionnel, avec différentes sphères : de l’Art, du militantisme, mais aussi du marketing. Avec certaines publicités on ne sait plus si on fait face à de l’Art ou à un produit. Dès lors, chacun doit trouver sa place dans cet espace urbain aux univers éclatés.

L’Art urbain cède parfois à certaines facilités, promouvant des messages simplistes ou des œuvres non-clivantes qui finalement n’engagent personne. A l’inverse tu choisis de développer un engagement efficace et discret.

Mon but n’est pas de fermer des portes mais de les ouvrir le plus largement possible, sans me couvrir d’étiquettes. Vivre ensemble est l’inverse du repli sur soi : j’avais pour la Journée mondiale des sourds et des malentendants réalisé un collage autour de cet évènement. Il représentait le mot diversité en langue des signes. La personne qui a posé pour sa réalisation était elle-même malentendante. Il y a une pluridimensionnalité dans mon travail : il faut creuser pour le voir, mais ceux qui le souhaiteront pourront le faire, alors que ceux qui ne voudront voir que l’aspect poétique pourront s’en contenter. Dans mon monde nous serions tous alliés : c’est un peu utopique, mais il faut rêver grand.

REGARD SUR LA RUE

Quelle émotion voudrais-tu que le regardeur ressente devant ton travail ?

Je pense n’avoir aucune exigence par rapport à ça dans la mesure où j’ai envie d’être celle que je suis sans être jugée : j’essaie donc d’avoir cette tolérance-là envers le spectateur pour lui laisser s’approprier l’œuvre comme il l’entend, que sa réception soit positive ou négative. Je prends la liberté de m’exprimer et les gens réagissent comme ils veulent : s’ils arrachent une pièce c’est leur droit, bien que je ne les encourage pas à le faire, car l’œuvre une fois posée appartient à tout le monde. Il m’arrive d’entendre toutes les réactions : récemment une petite fille m’a dit que c’était moche et sa mère voulait la gronder ! Cela ne me pose pas de problème, il ne faut pas laisser son ego prendre le dessus : tout le monde ne peut pas aimer ce que l’on fait et tant mieux.

Le collage est par essence le medium urbain le plus éphémère.

La dimension éphémère ne me dérange pas. J’ai assez vite fait la paix avec cette idée lorsque j’ai commencé dans la rue, car l’on se fait arracher, toyer, nettoyer par les services municipaux, même s’il arrive qu’un collage reste plusieurs mois, voire même un an. Pour moi cela fait partie du jeu, une fois collée la pièce n’est plus la mienne : c’est toujours le fruit de mon travail mais offert à la rue, sans que je sois traumatisée par ce qu’il peut se passer.

 

La photographie occupe une place importante dans la constitution de ton travail : quelle place a-t-elle une fois le collage posé ?

Je cherche toujours à obtenir une bonne restitution esthétique de mon travail. Il faut que la photographie plaise à mon œil. Mais il y a également une volonté d’archivage, car dès lors que l’œuvre est éphémère, la prendre en photo dans son environnement urbain permet de la rendre éternelle. Peu importe ensuite qu’elle disparaisse, car il subsiste alors un souvenir de ce passage. Si je colle de nuit je retourne sur place dès le lendemain matin pour photographier, avoir une trace. L’œuvre est ainsi inscrite dans le paysage urbain, et advienne que pourra. On peut ainsi considérer que mon travail de rue va de la conception d’une pensée à l’image finale, en passant par la mise en scène.

As-tu l’impression de faire partie d’un courant artistique ?

J’ai complètement conscience du courant artistique urbain qui a évolué depuis les années 60. Je suis très curieuse des artistes que je côtoie dans la rue, pas uniquement français, et je trouve qu’il est très important de savoir dans quel univers on arrive. Mais je pense que ce n’est pas qui peut décider si j’y appartiens ou non. On peut considérer que je m’y inscris au même titre que d’autres artistes, mais tant qu’on n’est pas mort il est difficile de juger où l’on est situé. J’agis au présent : en ce moment je colle, j’ai la chance de côtoyer beaucoup d’artistes, de rencontrer des gens en permanence. Je ne sais pas quelle sera la place de ce courant dans l’Histoire, mais il a déjà son évolution, ses spécificités : il y a ainsi beaucoup de colleurs à Paris et en France, alors que dans d’autres pays on en voit beaucoup moins.

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Photographies:  Marquise

Vous pouvez retrouver Marquise sur Facebook et sur Instagram.

Entretien enregistré en juin 2020.

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