mélanie busnel
L'obus dans l'oeil de la patate
Ceci est une introduction : saint oma street art.
Entretien réalisé sur une plage abandonnée dans la Ria d’Etel
DECOUVERTE DU COLLAGE
Comment es-tu devenue artiste ? Quand as-tu commencé dans la rue ?
Très jeune, je passais tous mes étés dans l’atelier de ma grand-mère qui avait une boutique de meubles peints. J’ai suivi des études d’art en France et en Belgique, demandant beaucoup de technicité, mais c’est le collage qui m’a amenée dans la rue. Je suis devenue dingue de cette technique à Bruxelles. Là-bas, j’avais en permanence un œil sur ce qui se faisait en extérieur. De retour en Bretagne, pour joindre les deux bouts, j’ai trouvé du travail chez un reprographe. J’ai fini par lui proposer un deal pour pouvoir utiliser son traceur de plan. Avoir un accès illimité au papier et à l’encre m’a permis de voir les choses différemment, de chercher à agrandir et assembler. Mes premiers collages sont nés d’apéritifs pendant lesquels j’initiais mes amis tout en apprenant moi-même, dans une ambiance conviviale et festive. J’aime travailler dans la rue avec des gens, qu’ils soient voisins, amis ou inconnus, c’est toujours un partage. Ce démarrage s’est fait de façon très naïve, sans étude particulière, par hasard et spontanément.
Pourquoi avoir été attirée d’abord par le collage ?
Le collage offre un côté modulable, ludique, répétitif et récréatif. Il est possible d’utiliser deux cents fois une forme avec des variations, alors que je ne souhaitais pas dessiner autant de fois un même personnage. Cela fait peut-être quatre-vingt fois que je reprends mes baigneurs, mais selon le chapeau qu’il porte ou ce qu’il tient dans les mains il dégage une autre poétique et une autre signification. Mais l’autre chose qui m’a attirée dans le collage, c’est la matière papier et le fait de chiner, glaner, collectionner. En Belgique, je passais mes journées place du Jeu de Balle pour récupérer gravures et différents types de papier : à dessin, journal ou musique.
A travers cet amour des papiers, sentais-tu déjà une volonté d’assemblage ?
Je crois qu’inconsciemment j’ai une grande attirance pour les peintres en lettres, les vielles affiches d’antan « Dubo… Dubon… Dubonnet ! », dans lesquelles on trouvait tout à la fois slogan, texte et image. Certaines publicités étaient ainsi complètement surréalistes, et contenaient une part d’imaginaire, de poétique, tout en ayant la possibilité de l’exprimer dans l’espace public.
C’est donc à Bruxelles que tu commences pas à pas à créer ta banque d’images ?
Désormais, je n’utilise pratiquement plus aucune forme de Bruxelles car mes goûts se sont affinés : je recherche des graveurs, des époques et des styles précis. Mais c’est à cette époque que j’ai bel et bien commencé à développer mon abécédaire de formes, à prendre goût aux végétaux, aux tubercules, aux mécaniques, à tous les schémas techniques. Je me suis toujours intéressée à l’ancien : ma grand-mère m’a appris à chiner, à faire les poubelles, à récupérer, et ce rapport au broc est très présent. J’aime ce côté fouineur, cette archéologie des familles et des greniers. Les images récentes m’intéressent peu. De plus, il y avait en Belgique cette culture du surréalisme et du collage, que j’associe aussi aux chansons de Boris Vian, où tout est possible, où tout est ludique, où tout est farce.
Pourquoi avoir choisi de ne pas utiliser les images d’origine ? Une question de taille voulue pour tes représentations ?
A l’époque où j’ai découvert le reprographe, je découpais beaucoup dans de beaux ouvrages, de belles planches de gravures, je vendais des petits collages, des cabinets de curiosités, des pièces dans des globes, des verres, principalement des d’originaux. Mais je trouvais cela très limité : j’avais envie que le trait de la gravure devienne XXL, que l’infiniment petit puisse devenir grand, à l’instar d’une graine. Je voulais obtenir des claques visuelles, que l’on puisse étudier ces ouvrages comme des éclatés anatomiques. Quand le graveur est bon, agrandir son trait donne un effet d’optique intéressant qui le met en valeur.
TRAVAIL SUR LA MEMOIRE COLLECTIVE
As-tu l’impression en piochant ces images anciennes de jouer avec la mémoire collective ?
C’est très inconscient, quand je travaille je ne décortique pas ce que je fais, c’est de l’ordre du sensible. Cette question de mémoire m’est souvent renvoyée par le public, des gens qui évoquent leurs souvenirs ou me disent d’où provient la gravure. C’est important de savoir d’où une image provient. Durant mes premières interventions en école, on m’a beaucoup demandé ce qu’était la gravure : c’est très intéressant de rappeler qu’il s’agissait d’une façon de reproduire l’image avant l’appareil photo et l’IPhone. Je pense réellement que la forme graphique de la gravure n’est pas obsolète, mais complexe et encore intéressante à utiliser. Si je n’en trace pas moi-même, c’est parce que mon travail ne porte pas sur le fait de savoir « en faire », bien plutôt sur cette archéologie du papier.
Es-tu intéressée par le fait d’utiliser ces images anciennes comme matériau, ou par le fait de les partager au plus grand nombre ?
Toutes mes images proviennent de la même période. J’aimerais mixer les époques ou les techniques, mais très vite cela aboutirait à un style plus commun dans lequel je ne veux pas tomber. Il y a aussi une dimension artisanale. Savoir d’où vient une image est important car je sais où je l’ai chinée, dans quel ouvrage, almanach ou magazine dont j’ignorais auparavant l’existence. Quand je trouve une image chez un brocanteur, je jubile comme si j’avais trouvé un trésor. Pour autant, cette découverte est plus importante dans ma démarche personnelle que dans le résultat final car je n’indique pas forcément la provenance des pièces.
Tu as toujours travaillé ce côté collectionneuse, gardienne de la mémoire.
Je me vois comme une archiviste collectionneuse, car derrière chaque image il y a un temps de scan considérable que je fais sérieusement. Comme une gardienne de la mémoire, je l’étaye et la rafraichit. Lors de mon exposition avec Tuco, je voulais trouver de belles planches de tubercules. Au bout d’une semaine, j’ai trouvé une palette d’imprimeur avec des planches de grainetier Vilmorin jamais assemblées en livre. Mes gravures sont mes trouvailles, mes pépites, et j’en suis très fière.
Pourquoi s’être arrêtée sur cette époque ?
C’est vraiment la technique de gravure, le style et le fait qu’il y a ait eu de plus en plus de journaux européens et internationaux imprimés qui ont contribué, à travers ce développement de l’information à un dessin beaucoup plus précis du réel. Peut-être que la quantité ou le procédé d’édition ont aussi eu un rôle. Il y a certains albums qu’en regardant de loin on pourrait prendre pour des photographies. Tout y est gravé trait pour trait : les scènes de pillage de magasin, les incendies. à l’époque de Buffon, les animaux marins ressemblaient à des monstres : mais moi, je trouve qu’une belle baleine est plus graphique. Ensuite, j’isole mes personnages pour trouver la bonne pose. C’est parfois aussi une limite dans la représentation : on m’a déjà demandé lors d’une exposition pourquoi il n’y avait pas de gravures de femmes dans mes travaux. Mais j’ai répondu que si j’avais des femmes romantiques et en corset, j’en recherchais moi aviatrices ou sur des échasses.
REVES SURREALISTES
As-tu toujours travaillé cet univers surréaliste ?
Quand je colle j’ai toujours en tête mes propres histoires, couplées de dictons, de proverbes, de rimes. Je me marre en réalisant une série. Cela a aussi été possible grâce aux agrandissements et aux reproductions successives. Pour ma série de « fraises », j’ai un jour trouvé une carte postale de bigoudène, pour laquelle j’ai joué avec l’idée de « poser sa fraise », inventant une multitude d’expressions avec ce mot.
Dans ton processus de création, est-ce toi qui imagines une certaine combinaison d’éléments au préalable, ou est-ce en jouant avec tes formes qu’ils apparaissent ?
Ce sont souvent les gravures qui m’inspirent. Pour Vilmorin, j’avais quarante planches de pommes de terre. Lorsque je l’ai réalisé, je me suis dit que c’était génial, qu’elles pouvaient devenir planètes. Aussi, je perçois tous les végétaux comme des coiffes potentielles. S’il m’arrive de retirer quelques attributs, cela reste ludique et spontané. Un chou kale n’est pour moi qu’un chapeau, pas un contenant. J’ai eu récemment des doutes sur cette utilisation du multiple, mais désormais je n’en ai plus, j’assume.
Tout dépend de la démarche : faire un simple multiple n’a pas beaucoup de sens, mais prendre une image et l’associer à d’autres pour la recréer différemment ne revient pas du tout au même.
Chaque série est un écho d’une période de ma vie. Rire de soi-même et de l’absurdité des choses permet de se faire du bien. Les porteurs de Lunes et de patates sont des figures récurrentes dans mon travail : nous devrions tous l’être à notre niveau.
Ton travail comporte une part de rêve et d’imaginaire, qui peut faire écho aux œuvres de Jules Verne.
Tout le monde me le dit mais ce n’était pas souhaité. Mon imaginaire provient en effet plus des films de Méliès, auxquels je suis très attachée. Le travail d’atelier est pour moi très important : c’est une question de fait main, de matière, de qualité, d’épaisseur. Je suis très tatillonne là-dessus. Concernant ma poétique, il est certain que je suis très influencée depuis mes études par mes amis qui ont des compagnies de cirque ou de théâtre d’objets : faire des tournées avec eux, travailler avec des forains, tout cet univers circassien du spectacle me plaît énormément et imprègne mes collages et mon imagerie. Au début, quand j’allais coller, je pensais vraiment qu’il fallait être engagée, ou avoir quelque chose à revendiquer pour pouvoir le faire. Pour ma part, je voulais juste poétiser, pas politiser.
As-tu l’impression de travailler des sortes de cadavres exquis visuels ?
C’est tout à fait ça : les cadavres exquis ont été pour moi une révélation. J’adore les techniques académiques, mais le cadavre exquis, à force de le pratiquer, a véritablement été libérateur, par les multiples possibilités et résultats qu’il offre. Lorsque je donne des images aux enfants, ils me disent qu’ils vont tous faire la même chose, car ils ont tous une patate, un chou kale, un bonhomme. Mais en affichant toutes leurs images au tableau, on s’aperçoit que personne n’a fait la même. à partir d’éléments similaires, les possibilités de création sont infinies. Je fais désormais un peu moins de « tête corps pied » qu’auparavant, mais ce processus reste présent. L’important est de trouver de bons raccords pour que les images trompent l’œil.
DEMARCHE URBAINE
En quoi la rue est-elle pour toi un espace de création particulier ? Pourquoi as-tu voulu franchir le pas ?
J’apprécie la rue pour sa verticalité, le rapport direct aux gens, mais aussi le support qui n’est jamais le même. Je crois qu’au début je l’ai fait juste pour m’amuser : c’était le seul grand espace que j’avais de disponible. Tel un affichiste, j’aime la façon d’être présente dans le décor urbain et dont mon travail se détériore avec le temps. C’était une petite curiosité mais aussi une façon de laisser une trace.
Cette présence dans le décor urbain passe par un médium intrinsèquement éphémère.
Le fait que le papier soit éphémère et se désagrège me ravit. Je ne suis pas dans la contemplation de ce que j’ai fait : quand un tableau est terminé je suis contente qu’il parte chez le client et n’aime pas quand il reste dans l’atelier. Plusieurs fois les gens m’ont demandé de pérenniser un collage, mais je leur ai répondu gentiment que c’était un peu antinomique. Il y a des escargots en train de grignoter depuis un an ma pièce sur la gare de Ploemel. Cela ennuie les autres plus que moi. Il y aura d’autres choses à regarder.
L’image étant au cœur de ton travail, dirais-tu que la photographie de tes œuvres l’est aussi ?
Personnellement, dans mon quotidien, il s’agit davantage d’archivage. J’ai travaillé avec le collectif de la Meute, collant de nuit avec des personnes handicapées tandis que le public nous suivait. C’est un travail de son et de lumière, en projection sur nos collages. Je n’ai pas pu le voir car j’étais dans l’action, mais les photographies et vidéos du collectif m’ont surprise. L’image dégageait alors une autre puissance, racontait une nouvelle histoire.
Penses-tu que l’art urbain est un courant artistique ? Si oui, considères-tu en faire partie ?
Je n’aime pas du tout ce terme, qui renvoie à des réalités diverses. J’aime l’art de rue, le fait de poétiser les murs, de coller. J’ai l’impression que « street art » est devenu un grand mot. On a toujours inscrit, collé ou peint des choses sur les murs, et cela continuera. L’art de rue renvoie à toutes ces réalités de l’espace public, à une mauvaise herbe qui pousse entre deux pavés. Je souhaite être une enfant pas sage, garder cette liberté créatrice : j’ai parfois l’impression que les gens comprennent mon travail mieux que moi, comme c’est le cas au cabinet d’amateur. Le collage est une technique encore jeune pour moi, que je ne suis pas près de lâcher. J’aimerais beaucoup plus l’associer au spectacle vivant, à l’art forain et la scénographie. Coller dans l’espace urbain renvoie en effet à une mise en scène de la rue : j’aimerais y porter ma patate.
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