PRIMAL
Peindre à l'instinct pour révéler l'inconscient
Ceci est une introduction : saint oma street art.
“C’est intéressant de creuser la pensée d’un artiste, même le plus référencé, pour finir par le coincer sur quelque chose qu’il ne parviendra pas à expliquer, qui relève du primitif, de l’instinct. C’est pour cela que mon nom de peintre est Primal : j’avais envie de représenter en moi cette part qui nous fait agir avec les tripes.”
PARCOURS
Comment es-tu devenu artiste ?
La bande-dessinée est le moteur qui m’a poussé au dessin, car j’avais toujours envie de raconter des histoires. Je ne savais pas comment ni pourquoi, mais en grandissant je voulais être dessinateur et travaillais beaucoup pour cela. Arrivé au lycée je me suis renseigné sur différentes formations artistiques, avant de me tourner vers une école supérieure à Montpellier, qui proposait une formation de 3D. Je ne réalisais pas encore que c’était la dimension narrative plutôt que l’aspect technique de la 3D qui m’intéressait. Je me suis alors tourné alors vers une école d’illustration, centrée sur le dessin et la peinture, dans laquelle j’ai eu un excellent professeur, monsieur Botosso, à qui je dois beaucoup. Après deux ans, je quitte la formation, frustré par un rapport artistique conflictuel avec l’équipe pédagogique et par une sensation d’enchaînement. Poussé par l’envie de me découvrir, je décide de chercher un local avec deux amis pour monter notre propre atelier. C’est cela qui a déclenché la naissance de l’Atelier Triptyque, lequel existe encore à Montpellier.
C’est dans cette dernière école que j’ai rencontré Arkane, mon ami et frère de sang, qui m’a amené pour la première fois peindre en extérieur. Il vient d’Avignon comme moi, mais nous ne nous étions jamais croisés là-bas. Lui est issu du Graffiti, et m’a fait découvrir sur le tard le monde de la peinture murale alors qu’au départ ma démarche était plus un travail introspectif d’atelier. Il m’a poussé à essayer et ce déclic fut une révélation, même si mes premiers murs étaient loin d’être à la hauteur de mes attentes, sensation naturelle lorsqu’on n’a jamais utilisé la bombe. J’ai voulu persévérer, mais cela ne me convenait pas, n’ayant pas de proximité avec l’outil. J’ai alors commencé à utiliser les pinceaux que j’avais, d’abord de façon plutôt pudique, car à cette époque je rencontrais peu de gens qui peignaient dehors de cette façon. Progressivement j’ai développé mes techniques et employé des rouleaux et des perches, assumant le fait que j’étais peintre et que le pinceau était mon medium.
LE MUR ET LE PINCEAU
Le rapport au support du mur est très différent en fonction du medium utilisé.
Ce qui me dérange dans le Graffiti est l’absence de contact avec le mur, car j’ai besoin de sentir la surface. Il y a aussi le fait d’être limité aux couleurs que l’on a dans son sac, même si les graffeurs parviennent ainsi à des résultats extraordinaires. J’avais besoin de produire ma propre couleur, car je n’applique jamais directement une peinture sortie du pot, travaillant instinctivement le mélange pour me l’approprier. J’aime ce rapport à la matière, au fait d’avoir de la peinture partout, de sentir le mur, le crépi ou les briques. Ce contact est pour moi semblable à celui du stylo sur la feuille de papier. Ainsi, je vois le mur comme une toile et garde en extérieur le même esprit qu’en atelier.
De plus, le fait de peindre au pinceau t’oblige à passer beaucoup de temps sur chaque pièce.
Beaucoup de graffeurs viennent du vandale qui oblige à aller vite, mais au début j’avais du mal à faire des concessions. Durant les premières années, ma principale bataille a été contre le temps, que ce soit sur des mur légaux ou non : même dans un spot isolé, sans personne pour déranger, je sais que si j’ai mis une heure de voiture pour venir je vais devoir finir dans la journée. Ainsi, pendant longtemps j’ai eu l’impression que le temps était un ennemi. Je réalisais des sketchs détaillés mais ne parvenais à réaliser que la moitié de ce que je voulais faire. Bien que ces premières fois soient toujours satisfaisantes, j’ai appris à accepter ces nouvelles conditions, comprenant qu’il n’était pas possible de retrouver dans la rue le même confort qu’en atelier, mais que ces contraintes permettaient de repousser ses limites. En effet, si en atelier on crée son propre contexte et sa propre temporalité, sur un mur on doit faire avec la météo, les aléas matériels, le contexte et éventuellement la police. Progressivement, cela a marqué une évolution de style qui se retrouve sur la toile. Le mur m’a donc fait gagner en maturité dans ma peinture.
Comment te détaches-tu progressivement de ses dessins préparatoires ?
En grandissant artistiquement, j’essaie de m’éloigner un peu de cette préparation en atelier, car au début je passais mon temps à regarder mon croquis au pied du mur. Petit à petit, notamment en rencontrant d’autres artistes comme Bault qui travaillent davantage à l’instinct, je n’ai plus eu le temps de préparer une maquette lorsqu’ils proposaient d’aller peindre. Cela m’a sorti de ma zone de confort et je me suis retrouvé en extérieur en ayant l’impression d’être nu sans support sur lequel m’appuyer. Je me suis alors rendu compte que pendant des années je n’étais pas pleinement avec le mur, mais que je cherchais à retranscrire parfaitement le sketch. Désormais je laisse part à la création directe, ce qui entraîne une évolution du procédé, avec moins de préparation et plus d’improvisation. J’ai toujours besoin d’avoir une ligne directrice mais que je ne tiens plus que par une petite main, pour laisser plus de place au contexte, tout en souhaitant toujours développer une technique et un certain univers. L’œuvre murale n’est plus une reproduction, mais une création instantanée à part entière.
JEUX D’OMBRES ET DE LUMIERE
La lumière occupe une place importante dans ton travail : avec la couleur, elle contribue, suivant l’endroit où elle tombe, à créer une atmosphère particulière. Construis-tu ton image en fonction ?
La lumière et la couleur sont pour moi primordiales et participent à la narration. Avant, j’étais beaucoup plus concentré sur les détails afin de raconter l’histoire, ce que le personnage pensait ou pourquoi il tenait tel objet. La lumière apportait une ambiance tout en étant secondaire. Mais je me suis rendu compte que j’avais une approche intime de ces deux composantes, qui permettent de dire énormément, sans nécessiter un fourmillement de détails. Pourtant, il m’est très difficile d’en parler, car c’est une utilisation très instinctive, de l’ordre du ressenti.
Beaucoup de tes personnages semblent être mis en mouvement par des clés qui en font des automates. Mais la texture des chairs ou l’imaginaire fantasmagorique se rapproche aussi de la Danse Macabre.
Je n’ai pas d’explication à ce sujet, il y a des choses que j’ai toujours eu besoin de faire sans savoir pourquoi, même si je le comprends mieux désormais. Mes premières pièces représentaient des personnages démembrés et je me voyais comme un artisan avec ses marionnettes, sculpteur donnant une âme aux objets. On retrouve à travers ces clés ce rapport aux automates et aux pantins. Elles constituent le dernier élément ajouté, comme si j’essayais de mettre des mots sur des choses inconscientes, mais aussi d’animer la forme pour qu’elle prenne vie. On retrouve également dans ces scènes une dimension théâtrale, proche du cabaret. Certains trouvent cela morbide, d’autres gai. Mais pour moi ce n’est pas glauque, il s’agit simplement de ce que je souhaite raconter. C’est intéressant de creuser la pensée d’un artiste, même le plus référencé, pour finir par le coincer sur quelque chose qu’il ne parviendra pas à expliquer, qui relève du primitif, de l’instinct. C’est pour cela que mon nom de peintre est Primal : j’avais envie de représenter en moi cette part qui nous fait agir avec les tripes. Faire ressortir ce sentiment est ce qui m’intéresse le plus dans l’Art et la création.
Tes peintures s’imprègnent souvent d’une dimension onirique.
Mon univers se développe souvent dans un cadre sombre, clos, la nuit, à l’aube ou au crépuscule. J’accorde instinctivement une place importante au rêve, vouant un culte au Surréalisme, car raconter la réalité pour la réalité ne me suffit pas. Cette dernière est si incroyable, tant artistiquement que visuellement, que je sais ne jamais pouvoir égaler ce que je vois. Il faut donc aller au-delà. Ainsi, la lumière et la couleur participent à ce surréalisme : un personnage peut très bien être assis sur une chaise, sans qu’il ne se passe rien, mais prendre une dimension incroyable par le seul éclairage (alors qu’avant je serais parvenu au même résultat en l’imaginant en lévitation).
Désormais j’essaie de montrer le surréalisme de la réalité, que j’observe énormément quand je suis dehors. La rue est pour moi un espace fascinant, une sorte de dessin animé, avec des gens qui marchent comme s’ils évoluaient sur scène. Le surréalisme est présent dans notre vie de tous les jours. C’est ainsi que je le perçois et que j’essaie de le retranscrire dans mes toiles. Il n’est pas séparé de la réalité, mais existe en chacun de nous, à certains moments de la journée. Je crois aussi au rêve, une autre réalité qui n’est pas en dehors de nos vies. Ce n’est pas parce que nous quittons nos délires nocturnes en nous réveillant qu’ils n’existent pas. Nous faisons tous des expériences dans nos songes, mais pour moi il s’agit de choses aussi concrètes qu’une table. C’est ce pont entre le surréalisme, le rêve et la réalité que je veux mettre en avant.
Cela donne parfois l’impression d’un décalage entre les couleurs et le ton de l’univers dans lequel ton imaginaire prend place.
Mon univers est rétro et va de l’ère victorienne aux années 30 ou 40. Nous avons tous des références imaginaires de cette époque, faites de peintures ou d’images sans couleur, ce qui constitue peut-être un premier contraste. C’est une époque qui me fascine comme peuvent le faire de vieux objets. Je suis quelqu’un de mélancolique et nostalgique : mon premier réflexe est toujours de penser que c’était mieux avant, une sorte de fantasme de l’âge d’or. Quand j’écoute des sons je préfère toujours les premiers albums aux derniers, lorsque le groupe n’était pas encore connu. Si j’ai toujours admiré cet avant, c’est parce que je doute sans cesse du présent et du futur. Ce questionnement est perceptible au travers de cet univers construit sur des images tirées du passé.
LE TEMPS DU MUR ET LE TEMPS DE LA RUE
Tu évoques ton travail en termes de bataille contre le temps. Ainsi, quel rapport entretiens-tu avec la dimension éphémère de l’Art urbain ?
Bizarrement je pensais très mal le vivre, mais j’ai appris à faire avec : si cela blesse il faut faire autre chose. Pour vivre il faut manger, pour l’Art urbain il faut accepter ce caractère éphémère. Une fois la pièce peinte, j’ai le même ressenti que face à une toile, l’ayant digéré elle ne m’appartient plus. Je la donne à la rue qui en fait ce qu’elle veut. Bien sûr, si le mur est repeint deux jours après ce sera frustrant, mais cela ne me ferait pas arrêter. Cependant, j’aurais plus de mal à devoir m’arrêter pendant l’acte de création. C’est la même chose face à une toile : je peux y passer une, deux, trois semaines pendant lesquelles elle devient le centre de ma vie. Mais une fois qu’elle est terminée elle n’a déjà plus la même importance, six mois plus tard non plus. Une fois signée, elle devient autonome car seul le processus de création m’appartient. Il ne doit rester que quelques murs encore présents de ma carrière de muraliste, mais ce n’est pas grave car ce que j’ai emmagasiné, l’expérience et la vie vécue sont en moi et personne ne me les enlèvera.
Le Street art est-il selon toi un courant artistique ? Si oui, penses-tu en faire partie ?
Selon moi un mouvement doit répondre à des codes, ou à une certaine façon de s’exprimer comme le Graffiti, et peut se déployer sur tous les supports. A cet égard, le Street art me paraît plutôt être un medium ou un moyen d’expression, car chaque courant dans la rue va répondre à des outils et des techniques spécifiques. Il est différent de ce qui a précédé, étant difficile à définir, mais offre un cadre permettant aux artistes d’intervenir et d’avoir un rapport avec la rue, avec les gens. De plus, les sources d’inspiration y sont très variées, entre la Photographie, le Surréalisme, le Dadaïsme, l’Art naïf ou l’Art brut, formant une grande cour dans laquelle chacun s’exprime : il s’agit presque en ce sens d’un mouvement culturel. Je ne crois pas que le mur, parce que support commun, puisse définir à lui seul un courant artistique. En effet, je doute que si l’on prenne une œuvre de chacune des personnes créant dans la rue pour les exposer côte à côte on y trouve une cohérence. Mais dire cela n’est pas réducteur : c’est justement la beauté du Street art que de créer des connexions entre des univers très différents, de permettre à deux individus de se retrouver pour peindre une chose à laquelle ils n’auraient jamais pensé. Je suis arrivé tard dans ce milieu et suis le fruit de ce que d’autres ont construit. Je n’ai donc pas la prétention d’intégrer un groupe et ne me sens pas rattaché à un courant particulier : j’utilise le terme muraliste car je peins des murs, sans pour autant être issu des origines contestatrices d’Amérique centrale et du Sud. On connaît davantage l’histoire des groupements artistiques avec du recul et il est difficile d’en juger en tant que contemporain : les Impressionnistes respectaient un ensemble de codes, mais se percevaient-ils en tant que tels ? Nous sommes à une époque où tout va vite, où l’on s’impatiente, dès qu’il se passe quelque chose il faut le nommer. Les gens sont déjà en train de se demander combien de temps cela durera.
LE STREET ART ET LA PART DE L’AUTRE
Les réseaux sociaux permettent de tisser des liens avec d’autres artistes.
Le Street art permet de mélanger des gens d’origines différentes. Grâce aux réseaux sociaux, on peut contacter quelqu’un à l’autre bout du monde, ayant découvert son travail en ligne, et se faire accueillir chez lui, sans qu’il soit question de barrière de la langue, de portefeuille ou de look. J’ai ainsi vécu une expérience incroyable il y a quelques années avec Arkane. On reçoit un message d’un mec de Belgrade qui dit aimer notre travail et qui, de fil en aiguille, nous propose de venir peindre en Serbie. Sans le connaître, avec pour seul rapport l’écran d’ordinateur, nous avons décidé d’y aller. Jusqu’à être dans l’avion nous n’avions pas l’impression que cela allait se réaliser. Pourtant, il nous attendait avec son frère à l’aéroport. Petja et Tirome sont devenus des frères au cours de ce séjour qui a été une expérience artistique et humaine extraordinaire. Nous avons rencontré leurs parents qui nous ont raconté leur vie et la guerre du Kosovo. Nous avons pu entrer dans la vie des gens, avoir des passants qui parlaient une langue que nous ne comprenions pas. Le Street art est le moteur qui me permet de vivre cette vie. C’est difficile pour les artistes, on ne gagne pas toujours beaucoup d’argent, mais ces choses-là font mon bonheur.
Par le fait même de travailler dans la rue, le Street art permet d’interagir avec les passants.
Plus que n’importe quel autre mouvement, le Street art comporte une part sociale très importante, privilégiant le contact avec les gens plutôt qu’étant centré sur un travail introspectif d’atelier. C’est faire la démarche de se mettre au travers du chemin des passants, dans leur quotidien, en s’imposant alors qu’ils ne l’ont pas demandé. Le mec se lève tous les matins pour aller travailler, mais un jour ta pièce se met à faire partie de sa vie. De là, un street artiste se doit de remplir sa fonction en tant que lien humain et social : s’il ne s’arrête pas pour discuter quand on lui pose une question, s’il ne descend pas de son échelle, il ne fait pas de Street art, car c’est cette connexion qui le définit. Il faut être ouvert, respecter les gens, qu’ils aiment ou non ta peinture, qu’ils te posent des questions familières ou inconnues. Ces interactions sont très enrichissantes, car elles témoignent de réalités diverses, là où au quotidien on a l’habitude de traiter uniquement avec des gens qu’on a décidé de voir, qui ont la même façon de penser. On ne peut pas dissocier la vie de ce que l’on fait sur le mur. Ainsi, je pense que n’importe quel graffeur, peintre ou muraliste cumule un grand nombre d’expériences liées à la rue et à ces échanges. Cela m’a permis de grandir et d’être plus en confiance avec les autres.
Dans une vie « normale », lorsqu’on n’y peint pas, la rue est un lieu de passage, de transport entre un point A et un point B. Une phase transitoire, hors de la réalité. On ne passe jamais une journée entière assis au même endroit, donc on ne capte jamais ce qui s’y passe vraiment. Mais en y travaillant, on se rend compte des bruits, du passage des habitants que l’on finit par reconnaître. Cet environnement est une grande source d’inspiration. C’est étonnant de constater que je progresse ainsi à l’extrême opposé de ce que je voulais faire au départ, de la bande-dessinée, pratique forcément introspective en atelier. On ne peut pas savoir de quoi demain sera fait.
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