Saint Oma
Croire en l'idée pour la voir se matérialiser à travers le dessin
Ceci est une introduction : saint oma street art.
“Tout ce que l’on peut croire ou penser va forcément orchestrer un devenir qui est à la mesure de ce que l’on pense et de ce que l’on croit.”
parcours
Comment es-tu devenu artiste ?
D’une certaine façon cela découle naturellement de soi sans qu’il faille se dire précisément « Je suis artiste ». C’est une sensibilité que l’on développe et dans mon cas je pense qu’il s’agissait d’une nécessité de s’exprimer. Être artiste, c’est avoir le besoin de dire quelque chose, et donc de trouver une forme pour pouvoir le faire. Cette écriture artistique développée il y a six ans s’est constituée il y a une vingtaine d’années en me confrontant au monde professionnel et à un métier qui ne me permettait pas d’exploiter ce que j’avais à raconter. J’ai passé quinze ans à faire des piges en tant qu’illustrateur et animateur, des choses très créatives mais hors-propos, avant que ce petit personnage entre en scène et que je comprenne que je pouvais le porter, car il s’agissait d’un avatar exprimant à la fois une forme et un fond.
ET LE DESSIN NACQUIT DE L’IDEE
Pourrais-tu revenir sur l’importance de l’idée dans ton travail, à laquelle ce personnage sans expression ni visage donne littéralement corps ?
Ce personnage est au service de l’idée. Cette écriture était déjà présente il y a vingt ans dans mes carnets mais il y six ans est apparu au centre de mon travail ce besoin de dire, qui s’est mis à occuper une place prépondérante dans ma pratique artistique, se développant naturellement à travers cet avatar très simple et épuré qui m’aide à synthétiser. Je me suis alors mis à exploiter ce qui m’avait toujours interpellé, choqué ou questionné, dans une mise en scène de la condition humaine. Le titre confère toujours au dessin d’idées un décalage, un jeu de mot ouvrant à l’interprétation de chacun. C’est cela qui me plaît avant tout dans cette forme de création. La perception des autres fera parfois écho à la pensée de départ, l’enrichissant et m’éclairant aussi sur ce que j’ai voulu dire. Cette circulation au travers de l’interprétation de la proposition m’intéresse et constitue la dynamique de mon dessin.
Ton trait a une dimension organique donnant l’impression que tous les éléments qui composent l’image sont issus d’un même ensemble. Cela renvoie aussi à une recherche de la simplicité.
Cela m’évoque ma façon de procéder : je me considère un peu comme une éponge, absorbant les choses qui passent en moi pour les digérer et les recomposer à ma manière. Il n’y a pas d’idées neuves dans ce que je propose, mais plutôt une manière de jouer avec, de les transformer en une nouvelle interprétation. Le dessin représente ainsi une synthèse : ce n’est pas une proposition plastique au sens technique, car c’est l’épure qui permettra à l’idée d’être recevable immédiatement à travers une scène, instantané d’un moment non figé, ayant un avant et un après. Cette forme d’écriture va à rebours de l’illustration. Auparavant j’étais frustré car mes dessins fouillés ne portaient pas de propos : en montrant ces dessins d’idées les gens ont bien réagi, et j’ai compris qu’il y avait là quelque chose d’intéressant. S’ils étaient un peu trash, j’essaie désormais de les faire évoluer vers une dimension positive ou susceptible de nous questionner pour construire quelque chose de nouveau. Je ne voulais pas être dans la simple revendication qui clame que « le monde est pourri ». On peut faire ce constat mais que dit-on avec ?
Ton travail évoque un sentiment d’intranquillité : cette recherche permanente est visible, les questionnements émanant littéralement du dessin.
Trouver des idées est un jeu qui passe par la forme. Si parfois elles viennent d’elles-mêmes et de mes observations, elles naissent le plus souvent du dessin, du fait de poser un personnage en action qui porte en lui une histoire et une pensée. Je me laisse conduire sans savoir où je vais, sans savoir ce qu’il raconte : il y a une dimension ludique, et le dessin doit aussi me surprendre ou m’amuser. C’est souvent lorsqu’il s’achève que je réalise qu’elle en a été l’idée directrice. Le personnage conduit mon questionnement à travers cette forme synthétique, bien que j’aie toujours voulu expérimenter d’autres écritures. Il m’arrive ainsi parfois d’être davantage dans le ressenti. Le dessin est pour moi comme un miroir, un va et vient entre la forme et l’esprit, et certaines idées tombent parfois comme si j’étais simple vecteur d’une chose que je recevais et devais retranscrire.
Jacques Coursil parle pour définir l’improvisation “d’acte prémédité de non préméditation” et considère que “par l’improvisation, on doit inventer un événement, c’est à dire l’avènement d’un présent.”
Ce qu’il dit est assez juste : on crée le cadre pour pouvoir faire émerger l’inattendu, une structure à partir de laquelle on crée un instant. C’est la frustration du mélomane, le fait que les jazzmen parviennent à se libérer d’un thème très élaboré, pour aboutir à part d’improvisation authentique. On retrouve cette idée dans les performances-confessions, qui suivent un protocole pour permettre un jeu et une cocréation avec l’autre, l’écoute de leur réponse se traduisant par le dessin, de la même façon que le morceau gravé sur le sillon représente ce moment de création vivante, dans son expression instantanée.
CE QUE L’ON VOIT ET CE QUE L’ON CROIE
Dans un entretien tu citais Claude Lévi-Strauss : « Le barbare, c’est celui qui croit en la barbarie ». Ce que l’on pense influe sur notre devenir, comme une sorte de prophétie auto-réalisatrice entre ce qui est raconté et ce qui sera dessiné.
Tout ce que l’on peut croire ou penser va forcément orchestrer un devenir qui est à la mesure de ce que l’on pense et de ce que l’on croit. Effectivement, il y a presque une vigilance, une prise de conscience à avoir sur notre façon de penser, car elle indique la direction suivie. En effet, il y a une responsabilité dans ce que l’on croit. Il ne s’agit pas de prophétie, mais d’évènements qui surviendront et corroboreront cette croyance, nous faisant par là-même créateur de ces situations inconscientes que nous viendrons relever nous-mêmes. A force d’y croire nous faisons exister et vivre ces choses. On retrouve cette idée en dessin : qu’ai-je en tête ? Cette matière en se cristallisant prend alors corps pour devenir image.
Ta remarque sur la vigilance est étonnante, car on considère souvent que c’est la matérialisation de la pensée qui peut être dangereuse, plutôt que la pensée elle-même.
C’est notre positionnement qui détermine notre action et crée des situations. Nos croyances donnent lieu à des actions inconscientes que l’on fait naturellement. Le dessin représente pour moi une forme d’intuition, de confiance absolue dans ce qu’il se passe, ce que l’on ressent face à l’immédiateté du présent. Parler de vigilance, c’est affirmer que nous sommes issus d’une Histoire qui nous conditionne et nous formate dans un prisme de croyances données sur nous-mêmes et sur le monde. Si l’on ne met pas ces choses-là en question, on ne peut comprendre ce qui nous arrive. Or, il est très difficile de sortir de son conditionnement, du personnage que l’on se crée tout au long de notre cheminement. Dans cet acte de dessiner, il y a selon moi quelque chose qui nous ouvre, qui permet d’agir dans la vie exactement de la façon dont on crée, en faisant circuler ses pensées sans les fixer, accueillant ce qu’il se passe. Choisir Saint-Oma comme nom renvoyait ainsi aux croyances qu’elles quel soient, qu’il s’agisse d’ésotérisme, de religion, de science ou de philosophie. Elles nous conditionnent toutes à voir le monde d’une certaine manière.
Ton personnage adopte une posture par rapport au monde, relevant presque du pari pascalien, pour choisir d’y croire ou non.
Nous faisons partie d’une chose fascinante, le Vivant, une puissance de création et de mouvement portant en elle l’idée d’impermanence, continuellement en train de se faire et de se défaire. Nous y participons tous, étant nous-même en constante évolution. Que fait-on de cela ? Comment s’inscrit-on dans un juste rapport aux autres ? Nous sommes singuliers, comme toute plante, tout grain de sable et nous possédons une puissance phénoménale ; pourtant, nous adoptons le plus souvent une manière d’être, un conditionnement qui peut nous faire passer à côté d’un sens beaucoup plus profond. Toute posture fait ombre a une part beaucoup plus vraie mais impossible à atteindre dès lors que nous nous emprisonnons dans un personnage, qui nous éloigne de nous-mêmes, de notre potentialité et de ce que nous avons à exprimer au monde. Car derrière la question de la posture il y a en réalité celle de la réappropriation.
C’est à partir de Saint-Thomas que l’on considère l’âme et le corps comme pouvant constituer un seul être alors qu’ils étaient auparavant distingués.
L’esprit croie et la matière se met en scène par rapport à cela. Or, c’est évidemment la même chose, comme le créateur et son dessin. Nous sommes tous des œuvres incroyablement singulières et non hiérarchisées, des artisans du réel contribuant à notre propre création ainsi qu’à celle du monde qui nous entoure. Quelle est la vraie question derrière le fait de pratiquer le dessin ? C’est cette chose qui se joue dans un mouvement, un esprit et une matière liés.
SUR L’ART URBAIN
En quoi la rue est-elle un espace de création particulier ?
Ce qui me plait avant tout dans le collage est qu’il s’agit d’une proposition destinée à tout le monde, immédiate et simple. C’est une manière de questionner, tout en faisant une proposition qui peut disparaitre au bout d’une heure. Cela n’est pas très grave, l’important étant pour moi l’accessibilité de la proposition elle-même. J’ai commencé dans la rue car je n’avais pas de diffusion et qu’un ami m’a proposé de l’accompagner. Je n’avais pas alors ce dessin d’idées, mais lorsque je l’ai trouvé j’ai voulu le proposer pour voir les réactions suscitées. La rue a donc été au départ un terrain d’expérimentation, mais aussi un cadre enrichissant de par l’interaction directe qu’elle permet. Mettre des collages dans la rue crée une proximité avec l’autre, même s’il ne les apprécie pas, car ils sont facilement retirables. De plus, il y une dimension sociale au fait de travailler en extérieur et l’on est souvent remercié de ce que l’on fait, car cela touche les gens de voir quelqu’un participer à la vie d’un quartier ou d’une ville avec une peinture élaborée. Cette liberté prise dans la rue en tant qu’artiste ne me donne pas l’impression d’être en représentation.
Quel est ton regard sur l’aspect éphémère du collage ?
Qu’un collage reste une heure ou plusieurs semaines, cela fait partie du jeu. On propose une pièce qui peut être arrachée très vite, c’est donc l’acte qui compte. On prend une photographie pour pourvoir dire que cela a existé avant que la ville ne finisse par l’avaler. Le collage rejoint ici le Vivant, existant un moment avant de disparaitre, laissant sa place à autre chose dans une mouvement éphémère.
Quel est ton regard sur l’Art urbain aujourd’hui ?
Selon moi ce n’est pas un mouvement à l’instar des regroupements d’artistes ayant un manifeste, comme le Surréalisme ou le Dadaïsme. Ce sont des individualités qui s’expriment à travers une pratique dans la rue. Je ne pense pas qu’il faille avoir ici une réflexion d’ordre plastique, mais il existe un mouvement, bien qu’il soit impossible de dire si celui-ci s’inscrit dans le champ de l’Art contemporain. C’est peut-être réducteur de parler de tendance : la rue est un support désormais mieux admis, qui fait partie d’une expérimentation possible pour chaque artiste.
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Photographies: Saint Oma
Vous pouvez retrouver Saint Oma sur Instagram, Facebook et son site internet.
Entretien enregistré en septembre 2020.
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