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Miroirs aux cent reflets
Ceci est une introduction : saint oma street art.
“Ce qui est intéressant avec le volume, c’est l’interaction qu’il permet : une même pièce va permettre au badaud de se voir passer en-dessous, de découvrir un arbre ou le ciel bleu, des reflets complètements différents que l’on ne pourrait pas percevoir autrement. Le miroir devient alors une sorte de mirage.”
TRAVAILLER LE MIROIR
Comment es-tu devenu artiste ? Quand as-tu commencé dans la rue ?
J’avais besoin de faire quelque chose avec mes mains, alors je me suis mis en tête de réaliser des vitraux. A partir d’un sous verre cassé qui trainait, j’ai acheté tout le matériel nécessaire. Sans regarder de tutoriels, j’ai essayé seul de produire et ça a directement donné du volume. Pour empêcher mes deux chats de manger mes plantes, je me suis mis en tête de fabriquer des terrariums de verre et de cuivre. Comme mes fonds étaient un peu trop fragiles, j’ai cannibalisé un miroir pour en faire un fond plus solide : ce fût mes débuts dans l’utilisation de ce medium. C’était il y a huit ans. Mi 2019, un pote ayant une application sur la glisse urbaine voulait baliser un début et une fin de piste rue des Pyrénées. C’est ainsi que j’y ai placé ma première pièce en extérieur en novembre 2019. Dès lors, j’ai voulu montrer ce que je savais faire, sortir de ma grotte et coller dans la rue. Voir les jeux de lumière créés par un simple miroir sur un mur en béton m’a rendu fou : créant un mirage, il reflétait les arbres.
Pourquoi t’être intéressé au miroir ?
J’adorais ça gamin. J’aime tout ce qui est anguleux, abstrait, je suis un grand fan de Vasarely. Les arrondis m’agacent un peu. Je devais suivre cette impulsion, essayer de faire quelque chose avec mes mains. Il ne s’agissait pas du tout de street-art, mais j’ai alors découvert un plaisir de la rue, de l’adrénaline, du fait de montrer aux autres ce dont on est capable. Coller son bazar revient à affirmer « regardez-moi ». En outre, la rue est un espace où l’on peut tenter des choses : j’y fais des expérimentations, comme mes vitraux de la Butte-aux-Cailles. Elle offre une certaine facilité d’accès, avec un moindre risque. C’est aussi s’y montrer et le plaisir d’y revoir six mois après une pièce oubliée.
Pourquoi avoir choisi d’associer le minéral au végétal dans tes créations ?
J’ai toujours été bercé par les plantes étant plus jeune. J’avais ainsi placé une plante au sein de ma première pièce collée. Au fur et à mesure, j’ai trouvé qu’un peu de végétalisation en plus dans les structures fonctionnait bien. On a l’impression que les racines des plantes ont brisé le miroir, qu’elles déstructurent l’ensemble. C’est un peu la nature qui reprend ses droits. Mais de plus en plus on me les arrache, laissant mes pièces béantes. C’est pour cela que je fais davantage de pièces sans, ce qui marque un moment de transition dans mon travail, les rendant plus épurées. De plus, les petites pièces avec plantes sont difficiles à arroser, alors que le substrat à l’intérieur des grosses contient beaucoup plus d’eau. Pour cette raison il faut prévoir que l’eau puisse y tomber : qu’il s’agisse de l’angle d’un bâtiment, sans gouttière, tout une recherche est nécessaire. Lors de ma première année la trentaine de petits triangles constituait ainsi une série de tests pour savoir ce qui fonctionnait le mieux.
VERRE BRISE, RELETS MULTIPLES
Réalises-tu un croquis préalable pour concevoir l’aspect visuel de tes pièces et anticiper leur disposition ? Pourquoi avoir choisi de travailler ces formes abstraites ?
Je commence à dessiner mes pièces en avance, mais pour la rue je construis généralement ma base avant d’y placer des facettes. Par ailleurs, j’y vais beaucoup au jugé, et après avoir choisi le mur sur lequel je souhaite placer l’élément central, je vais éclater aléatoirement mes facettes. C’est ainsi que mes plus grosses pièces finissent le plus souvent en plusieurs parties disposées au fur et à mesure. Un miroir éclaté peut prendre des formes rondes, mais l’explosion de la structure implique des découpes presque agressives. Les premières étaient aussi plus fragiles à réaliser dans la rue, car pour faire des grandes pièces j’imbriquais aussi les formes anguleuses les unes avec les autres, pour qu’elles se fixes ainsi plus aisément. J’aime ce côté fractal et kaléidoscopique. Sans faire exprès j’avais réalisé des formes sur certaines petites pièces dans lesquelles les gens cherchaient à voir directement des ressemblances. Mais hormis pour une commande, mes créations sont abstraites.
Quelles sont les particularités de travailler le volume dans l’espace urbain ? Tout est en effet jeu de lumière avec le miroir : c’est elle qui va construire la pièce une fois posée.
Mon cadre peut être plat mais avec multitude de facettes en biais les unes sur les autres. Ce qui est intéressant avec le volume, c’est l’interaction qu’il permet : une même pièce va permettre au badaud de se voir passer en-dessous, de découvrir un arbre ou le ciel bleu, des reflets complètements différents que l’on ne pourrait pas percevoir autrement. Le miroir devient alors une sorte de mirage. On y aperçoit des petits détails de la vie incrustés dans ces triangles qui vont nous sauter aux yeux alors qu’on passerait en général à côté. Ces jeux de reflets dans la rue relèvent du pur hasard. Découvrir ce rendu constitue une surprise supplémentaire, même si cela ne fonctionne pas toujours. C’est aussi pour cette raison que je ne souhaite plus mettre de plantes à certains endroits, car un miroir placé selon une certaine orientation peut se transformer en four qui risque de la griller l’été, alors que trop basses les plantes seraient enlever, créant un effet différent. Alors que sans plante chaque facette va refléter le soleil et renvoyer la lumière dans toutes les directions.
En jouant sur cet aspect fractionné, tu construis des miroirs dans lesquels on ne se voit pas, tout en permettant à tes pièces d’occuper davantage d’espace sur les murs, dans une forme de projection.
J’aime bien cette petite inversion des choses. Un miroir est fait pour s’y voir ; or, si on se place face à l’un des miens, on ne peut s’y contempler. Par contre, on verra le monde qui nous entoure. Mais cette dimension fractionnée permet aussi de créer un mouvement, d’agrandir la pièce, de la rendre plus simple à transporter, tout en jouant sur une idée d’éclatement, d’explosion. Au début, je ne connaissais rien à la rue et venais me coller aux autres à la Butte-aux-Cailles. Désormais, je cherche à m’isoler davantage, et ces facettes que je dispose de façon « éclatée » m’aident à m’étaler sans que personne ne vienne proche de l’élément central. Cela n’a rien de méchant mais c’est plutôt ma façon à moi de prendre possession d’une portion de mur.
A travers ton installation collaborative de lampadaires/vitraux à la Butte-aux-Cailles, tu commences à travailler la couleur, tout en passant d’une réflexion sur le reflet à une sur la transparence. De fait, ce sont des pièces qui s’activent la nuit, à l’opposé des miroirs.
Le verre coloré pour le vitrail est une matière qui relève de l’amour d’enfance. Alors que le medium verre reste le même, ainsi que la base de travail, le résultat jouera complètement différemment avec son environnement. A la différence du miroir qui est neutre lors de la pose et prend les couleurs du monde qui l’entoure, le vitrail, à travers les jeux de lumière, va jouer sur le mobilier urbain. Dans une journée grise on verra la figure qui y est placée, lors d’une journée ensoleillée il sera transparent, tandis que la nuit les différentes facettes seront visibles et leurs projections donneront des teintes colorées à l’environnement. J’aimerais faire perdurer cette envie, mais il faut que je parvienne pour cela à trouver les surfaces qui conviennent, car cela n’aurait pas d’intérêt apposé sur un mur.
L’ELEGANCE DU VANDALE
On constate un décalage entre la technique que tu utilises qui demande une préparation longue et une limite en termes de capacité de production, avec ton envie de « matraquer » la rue.
J’ai une mentalité de tagueur avec un medium qui n’y correspond pas du tout, étant onéreux et nécessitant beaucoup de matériel. Au départ je voulais placer des grosses pièces partout à la Butte-aux-Cailles, mais désormais j’ai envie de m’étendre un peu ailleurs dans Paris (ma plus grande réalisation se trouve ainsi Gare du Nord). Mais j’ai aussi un problème de matériel, car tous les miroirs que je colle dans la rue sont des objets de récupération, or je n’en trouve plus autant qu’avant. C’est pour cette raison que je souhaite faire des micro pièces, afin de pouvoir en coller davantage tout en économisant mon support. J’ai ainsi prévu d’en placer mille dans les rues. A Paris on vit au sein d’une fourmilière impersonnelle. Chaque élément un peu spécifique, comme un punk avec sa crête, présente une forme de revendication. Pour moi il s’agit d’un « Salut j’existe ». Comme avec la bombe il est possible d’occuper des espaces énormes pour quelques euros, je me suis mis en tête de découper quelques pochoirs pour pouvoir les utiliser quand je me retrouve à court de miroirs.
Le fait de vouloir placer mille pièces dans l’espace public ne raconte pas le même regard sur la rue, témoignant d’une dimension à la fois plus impersonnelle et invasive.
Je me suis mis à réaliser de petites pièces car je suis de plus en plus en manque de miroir. J’ai prévu d’en coller mille, mais peut-être que je n’en placerai que cent. Cela ne veut pas dire que je vais arrêter d’en coller de plus grosses. En effet, si un miroir habille un espace, mes plus petites facettes ne vont pas interloquer, ni accrocher complètement le regard. Pour des raisons de budget j’utilise pour la rue des miroirs que je trouve extérieur, en me baladant ou quand on m’indique un lieu où en récupérer, mais j’emploie aussi parfois du sous-verre pour mes fonds, ce qui me permet de réaliser une économie de matière. Réaliser des pièces en volume, avec les découpes et les chutes, double ou triple la surface à recouvrir par rapport à un miroir plat.
Face à tes pièces, on peut penser être face à un objet de salon placé en extérieur : où places-tu la limite entre l’artistique et le design ?
Beaucoup de connaissances du street-art me disent que ça n’a rien à faire dans la rue, et que c’est justement pour cette raison qu’il faut continuer. Il est certain que mes pièces ont un coût de production élevé et qu’on ne les imagine pas dans l’espace urbain. Les deux choses qui peuvent ne pas plaire aux gens dans la rue sont le vandalisme ou l’aspect esthétique. Ceux qui préfèrent le figuratif n’aimeront pas l’aspect déstructuré de mes pièces. Mais tant mieux si elles questionnent les gens.
Tu rajoutes sur beaucoup de pièces un cadre au miroir.
Cela leur confère un aspect « tableau ». Au tout début cela m’amusait de « faire œuvre » dans la rue de cette façon. Ils permettaient de rehausser la pièce, de la mettre en valeur. Après avoir arrêté pendant un moment, je vais reprendre car cela me permet aussi de casser les codes. Pourquoi un miroir dans la rue ne pourrait pas avoir de cadre là où exposé dans un salon cela serait possible ?
REGARD SUR UNE PRATIQUE URBAINE
Le miroir collé n’est a priori pas éphémère en soi mais le fait d’y ajouter des plantes, ainsi que les différentes interactions qu’il subit peuvent le rendre assez sensible.
Quand je pose un miroir dans la rue il est immaculé, mais s’il pleut ou qu’un coup de karcher est utilisé pour enlever les collages qui l’entourent il sera vite sale. Cela va rendre la création vivante et la faire évoluer. J’ai ainsi une pièce Butte-aux-Cailles qui n’a pas été décollée depuis mes premiers pas. Les plantes commencent à bien pousser et « dégouliner » le long de la pièce. On reste ainsi sur la dimension éphémère de la rue ; or comme tout le monde j’ai envie que mes pièces durent le plus longtemps possible : pour enlever un miroir on ne peut pas y aller au pinceau, il faudrait utiliser un burin.
Quel rapport au temps as-tu donc avec ces pièces qui, tout en perdurant, vont au fil du temps se détériorer de façon parfois significative ?
Les salissures peuvent être nettoyées par la pluie, et un petit dépôt n’empêchera pas le soleil de refléter ses rayons, même si le résultat sera moins brillant. S’il est toujours un peu agaçant de voir ses pièces dans un mauvais état, c’est le jeu de la rue, qui induit une évolution : même une pièce arrachée laissera un fond subsisté, conservant cette idée de trace personnelle. Je connais par exemple un artiste qui dessine des cœurs au mastic derrière chacune de ses installations.
As-tu un regard photographique par rapport à ton travail ?
Quand je prends une photo j’aime bien y retrouver ce que la pièce va refléter, pour garder cette image en tête. Je passe aussi dès que possible à toutes les heures du jour ou de la nuit pour voir comment le miroir va jouer avec son environnement en fonction des moments. C’est ce que j’avais réalisé notamment pour une de mes plus grosses pièces, placée non loin de la Gare du Nord.
L’art urbain est-il selon toi un courant artistique ? Si oui, considères-tu en faire partie ?
Je suis assez mauvais en histoire de l’Art, mais en me renseignant un petit peu je me suis mis à envisager l’art urbain comme une nouvelle époque de l’Art, après le cubisme et les autres… Cette évolution n’est pas forcément locale, et je considère en faire partie tout en ne souhaitant pas l’être. Dans tous les cas je suis catalogué comme m’y rattachant car collant dans la rue, même si je refuse le principe même de rentrer dans un moule. L’art urbain est vaste, avec un agglomérat de supports, et je préfère poursuivre mon délire dans mon coin.
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