a côté de la plaque
Des plaques pour rendre hommage et alerter
Ceci est une introduction : saint oma street art.
“Ces plaques étant ordinaires au niveau de la forme et de la couleur, les gens ne les remarquent pas s’ils ne cherchent pas un nom de rue, car elles se fondent dans le paysage. A l’inverse, lorsqu’ils s’en aperçoivent, je peux remarquer dans leur regard une petite étincelle, ou sinon un sourire, qui montre qu’ils apprécient ce clin d’œil textuel.”
parcours
Comment as-tu commencé à créer dans la rue ?
J’ai toujours dessiné, car intellectuellement cette activité de création était pour moi vitale. En 2012, à l’occasion des trente ans de la mort de Georges Perec, j’ai été gêné d’apprendre qu’il n’y avait rien de prévu. Sans arrière-pensées, je m’étais dit que lui qui n’avait à son nom qu’une petite rue guère visible du XXe arrondissement de Paris n’était pas à sa place, et réfléchissant à la façon de lui rendre hommage, j’ai pensé lui faire une plaque « Plac_ G_org_s P_r_c », en enlevant les e comme dans son roman La disparition. J’ai décidé de la fabriquer à la façon d’une vraie plaque, émaillée, puis les choses se sont enchaînées. L’association Georges Perec a été intéressée par mon projet, l’Oulipo aussi. On m’a proposé d’en placer une au Café de la Mairie, place Saint-Sulpice, à l’endroit où il avait écrit Tentative d’épuisement d’un lieu parisien. C’était un moment hors du temps, sa veuve, Paulette Perec, m’ayant dit que cela lui aurait plu.
Cela aurait dû être la fin de l’histoire, mais des amis artistes, pensant que je tenais quelque chose, m’ont demandé pourquoi je n’en ferais pas d’autres. De nouvelles idées me sont venues et je me suis mis à rendre hommage à d’autres artistes qui me plaisent, comme Salvador Dalí avec une plaque coulant comme les montres molles du tableau La Persistance de la mémoire, ou encore « Ceci n’est pas la place René Magritte ». J’ai ainsi fait fabriquer plusieurs plaques émaillées en petite quantité, pour que cela reste un objet intéressant et que les gens comprennent la démarche artistique. Ma frontière était nette : cela pouvait apparaître comme un souvenir de Paris si je cédais à la facilité. Cela s’est pourtant avéré être une démarche de la contrainte, comme celle qu’utilisait Perec ou l’Oulipo : j’ai un support cadenassé à travers lequel je dois exprimer quelque chose pour rendre hommage ou faire passer une idée, jouant sur les couleurs, les formes ou la typographie.
Sont alors survenus les assassinats de Charlie Hebdo en janvier 2015. J’ai dessiné « Place de la liberté d’expression » mais, n’ayant pas le temps de la faire fabriquer et voulant exprimer mon soutien, je l’ai collée pour la première fois dans la rue sur papier. C’est comme si j’avais attrapé un virus, car la rue permet un retour beaucoup plus rapide que la recherche d’une galerie pour pouvoir exposer. Lorsque je colle je reste dans le quartier pour regarder la réaction des gens. Quand j’ai réalisé ce que m’apportait cette interaction avec le public, j’ai décidé de développer ce travail en plus des plaques émaillées. La démarche est toujours la même, sauf que désormais certaines plaques sont prévues pour la rue, comme « Impasse du réchauffement climatique » ou « Coin de la rue ».
Détourner la signalétique
Pourquoi la rue est-elle un espace de création particulier ?
Ces plaques étant ordinaires au niveau de la forme et de la couleur, les gens ne les remarquent pas s’ils ne cherchent pas un nom de rue, car elles se fondent dans le paysage. A l’inverse, lorsqu’ils s’en aperçoivent, je peux remarquer dans leur regard une petite étincelle, ou sinon un sourire, qui montre qu’ils apprécient ce clin d’œil textuel. La personne est passée sans avoir prévu de voir mon travail, mais une interaction a eu lieu. Un passant m’a dit une fois : « C’est marrant ce que vous faites » avant de faire demi-tour pour ajouter : « C’est intelligent et marrant ». Elle avait compris qu’il y avait une subtilité derrière l’humour. C’est bien que tout ne soit pas toujours évident, qu’une plaque ne se livre pas tout de suite et nécessite des références.
Quel rapport as-tu à l’aspect éphémère de ton travail dans la rue ?
J’imagine qu’on voudrait tous que cela reste assez longtemps pour interpeller un maximum de personnes, mais il n’y a pas de notion de pérennité. Pour autant, c’est mieux lorsqu’elles s’abîment d’elles-mêmes, suite au temps ou aux intempéries, que lorsqu’elles sont dégradées. La « Place de la Fraternité » était placée assez bas, et les gens ont donc écrit dessus, ce qui a engendré une interaction, certains inscrivant leur blaze à l’intérieur d’une des pièces du puzzle. Le pire, c’est lorsqu’un parti politique ou une publicité parasite une œuvre en se plaçant juste à côté, ou en la recouvrant. Mais lorsqu’il s’agit de street artistes, on se situe davantage dans le domaine des taggueurs marquant leur territoire. Cela fait partie du jeu et ne me dérange pas. Il arrive en outre que les services de nettoyage ne remarquent pas mes affiches lorsqu’ils passent : j’aime dire qu’ils respectent trop mon travail pour le recouvrir, mais la vérité c’est qu’ils n’ont pas fait la différence avec une véritable plaque. C’est arrivé une fois à Beaubourg, durant l’exposition Magritte. J’avais imprimé « Ceci n’est pas la place René Magritte » et le collage a été laissé sans être recouvert durant la durée de l’exposition, puis repeint à la fin. Les organisateurs ou les nettoyeurs ont dû trouver cela cohérent avec l’endroit.
RENDRE HOMMAGE ET ALERTER
Au-delà des personnalités, comment choisis-tu les thématiques abordées ?
La plupart de mes collages sont liés à une certaine forme d’urgence. Je rejoins Ernest Pignon-Ernest lorsqu’il dit que le lieu ou le moment doit avoir un lien fort avec le collage et qu’il ne s’agit pas de marquer tout un quartier à la façon des taggueurs. Concernant le réchauffement climatique, collage réalisé en marge de la marche pour le climat, il s’agissait d’une urgence générale, qui n’exigeait aucun endroit particulier, mais ce n’est pas non plus gratuit. Une autre fois, j’avais travaillé avec mon crew sur l’idée du « Place de la fraternité », un collage en puzzle de cent-huit morceaux avec un manquant, réalisé entre les deux tours de l’élection présidentielle et alors que le Front National était au second tour. Il fallait tous les découper et les coller, pour un résultat de près de neuf mètres carrés. Placé sur le chemin d’un bureau de vote, le morceau manquant devait interpeller les gens et leur rappeler qu’il ne s’agit pas d’un ensemble immuable, mais que nous faisons tous partie de cette Fraternité. On pourrait aussi citer le collage réalisé rue de la Lune pour les cinquante ans du premier pas de l’Homme sur notre satellite, un moment magique de mon enfance. Même s’il ne s’agit pas d’une actualité brûlante, l’ensemble était cohérent et tenait la route.
Les plaques de rue sont des éléments signalétiques forts ; pourquoi ne pas les avoir détournées directement ?
Je ne suis pas vandale ; je respecte l’endroit où je les colle et j’essaie de ne pas toyer mes camarades de jeu lorsqu’ils ont déjà placé des pièces. Pour la plaque Salvador Dalí je n’allais par exemple pas en attaquer une autre au chalumeau pour qu’elle fonde ! De plus, les plaques émaillées coûtent très cher, car leur fabrication suit le processus de la sérigraphie, avec un passage au four par couleur. C’est donc compliqué de les mettre dans la rue.
Si la plaque est un objet politique, le nom des rues l’est également. Le collectif féministe Nous toutes poursuit par exemple ainsi une intervention autour du nom des rues en les féminisant, dans un but engagé et non artistique.
Je remercie ce collectif qui a choisi un code couleur différent de celui des plaques de rue, mais qui s’apparente à celui de leur mouvement, violet et noir. Du fait de cette variation leurs interventions sont davantage remarquées. Lorsque j’ai découvert leur travail cela m’a questionné sur ma propre démarche et sur la dimension politique du nom des rues. Je m’interroge notamment en constatant que je n’ai pas de femmes parmi mes pièces. Il y a aussi des gens dont la notoriété est discutable et dont l’utilisation du patronyme pour désigner une rue est questionnable, comme c’est le cas à Bordeaux avec beaucoup de notables ayant fait fortune grâce à l’esclavage. Indirectement, c’est aussi ce qui justifie l’existence de plaques émaillées, car le fait que ces dernières soient pérennes permet un autre travail : j’ai réalisé une série sur les « illustres inconnus », ces gens dont personne ne connaît le nom, mais dont les inventions sont reconnues. On pense par exemple à Alfred Butts qui a inventé le Scrabble, ou à Jean-Alexandre Séyès et son célèbre cahier. Cela permet de remettre en avant le créateur par rapport à sa création.
SUR L’ART URBAIN
Est-ce qu’il y a pour toi une vraie dimension collective au fait d’aller créer dans la rue ?
Mon appartenance à un groupe a commencé avec le projet de la « Place de la Fraternité ». Il y avait d’autres performances ce jour-là mais les gens qui sont venus sont restés car le projet leur plaisait. Nous avons alors vécu un moment particulier, dans lequel nous avons notamment trouvé refuge dans un café sorti tout droit d’un film des années 50, avec de vieux chibanis assis dans un coin, qui buvaient des cafés en refaisant le monde. Certains de mes camarades tenaient des parapluies pendant que je collais. Cela a soudé ce groupe qui s’est réuni à plusieurs reprises, notamment en allant avant le confinement coller le 8 mars une plaque devant le Panthéon, « Place des grand.e.s ho.fe.mes » en écriture inclusive. Ce qui est surprenant c’est le nombre de remarques que j’ai eu sur Internet par rapport à l’écriture inclusive et non pour le message. Les gens n’allaient pas au-delà, alors qu’il s’agissait ici plus d’un prétexte permettant de lire une plaque sur un seul support que d’une apologie.
As-tu l’impression que l’Art urbain est un courant artistique ?
Je me considère davantage comme artiste urbain que street artiste. La frontière entre les deux est pour moi la dimension commerciale utilisée pour faire vendre, qu’on retrouve désormais dans toutes les villes pour des festivals. C’est très bien car cela permet à des gens de s’exprimer mais c’est devenu une sorte de passage obligé pour les municipalités, voire pour les marques qui réutilisent ces motifs. Néanmoins, ce courant est plus vaste que ceux traditionnels comme le Surréalisme qui avait l’avantage d’une démarche intellectuelle et collective allant dans le même sens. Pour l’Art urbain, le seul point commun est la rue. Il y a tant de modes d’expression différents et tant de démarches que j’ai du mal à y trouver une cohérence permettant d’affirmer une même volonté artistique. Cela m’a fait extrêmement plaisir de pouvoir collaborer avec les Black Lines qui portent un esprit vandale et politique, mais qui ont bien voulu me faire une place dans leur fresque car ils ont vu une cohérence entre mon travail et le leur à propos de la liberté d’expression. La rue est l’unique point commun même si de temps en temps l’on se retrouve autour de thématiques ou de lieux spécifiques. Il existe donc des points d’achoppements mais sans cohérence globale.
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Photographies: A côté de la plaque
Vous pouvez retrouver A côté de la plaque sur Instagram, Facebook et son site internet.
Entretien enregistré en septembre 2020.
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