Mademoiselle Kat

mademoiselle kat

Créer pour prendre sa place

Ceci est une introduction : saint oma street art.

“. L’éphémère permet de renouveler le questionnement, et pour une femme il oblige à affirmer la place que l’on veut avoir dans l’espace urbain. Sans parler de féminisme, j’avais l’impression qu’il y avait un intérêt à inscrire ces histoires et ces images dans la rue, pour compléter l’architecture à dominante masculine existant en ville. “

parcours

Comment es-tu devenue artiste ? Quand as-tu commencé dans la rue ?

J’ai commencé à peindre dans la rue quand j’étais étudiante en faculté d’Arts plastiques à l’université de Jean-Jaurès nommée à l’époque Toulouse-le-Mirail. Je m’intéressais déjà aux expressions graphiques sur les murs, mes premières phases d’expérimentation étaient concentrées sur la matière.  Des artistes comme Antoni Tàpies ou Barcelo ont été mes premières inspirations mais aussi la tribu de N’débélés, des femmes qui font des peintures murales représentant des formes pures avec des couleurs primaires en Afrique du Sud. J’ai appris à connaître la ville en faisant des séries de photos de fragments de murs, du simple graffiti en passant par des pochoirs ou un ensemble d’affiches 3615 qui envahissaient dans les années 90 les espaces délaissés. C’est ainsi que j’ai découvert les débuts du graffiti à Toulouse en me promenant dans des terrains vagues non loin d’Arnaud Bernard.

En voyant tous ces murs peints j’ai eu envie d’en faire de même, d’abord en partant de la matière du mur que je reproduisais sur une toile tendue. Je reproduisais des graffitis, je collais des fragments d’affiche sur ma toile. C’est dans le campus de l’université du Mirail que j’ai peint pour la première fois en compagnie avec Karine sur un mur en 92. Il y’avait aussi Mosquito, un de mes potes qui était un des tout premier graffeur toulousain. Avec Karine, nous avons fait un personnage féminin sur toute une longueur de mur qui faisait bien dix mètres de long, puis une peinture murale nommée Alec Eiffel en hommage à un morceau de musique du groupe de rock les Pixies. C’était un acte sauvage, le premier d’une longue série. Nous étions soutenues par le serveur d’un café qui était resté ouvert très tard pour nous. J’ai ensuite rencontré Vanessa ; « Miss Van » étudiait aussi à l’université d’arts plastiques. Elle avait commencé de son côté à peindre avec des graffeurs dans des squats. En discutant avec Vanessa, j’ai parlé de mon intérêt pour les murs et nous sommes parties sur l’idée de faire une peinture murale ensembles. C’est ainsi que tout a commencé. C’est la fameuse période Kat & Van qui a duré de 1993 à 1995 : nous avions peu de moyens, du bleu, du blanc et du rouge. Tous les personnages qu’on a pu peindre pendant un an et demi étaient bleu ciel et rose et c’est ce qui nous a fait remarquer. Vanessa a continué ensuite sa route seule, j’ai de mon côté rencontré Fabienne, « Fafi » à qui j’ai transmis les bases de la peinture murale.  A mes débuts, tout ce qui est lié à l’art urbain est aussi lié à l’amitié, cela se rattachait pas mal à l’esprit du graffiti. J’ai en même temps commencé à vouloir créer mon univers de façon individuelle. Mon travail artistique de l’époque était très expérimental. Cette multitude d’idées graphiques déployées me permet encore aujourd’hui de revenir sur des éléments esquissés dans les années 90 pour les approfondir. 

Tu as souvent peint en binôme ; comment perçois-tu le travail en groupe ?

Il s’agissait de partager un intérêt graphique similaire et singulier et cela s’est surtout passé entre 1993 et 2000 avec Miss Van, Karine, Plume, Lus et Fafi. Je peins encore en groupe quand l’occasion se présente en compagnie de graffeurs et graffeuses car j’ai toujours aimé partagé, ça peut devenir de belles expériences graphiques ponctuelles.

Tu as en parallèle poursuivi l’exploration de différents mediums.

Je me sens avant tout plasticienne, j’ai donc continué mes expériences artistiques. J’ai co-réalisé un court-métrage avec Catherine Aïra dans lequel je joue mes propres personnages. J’ai ensuite intégré mes figures féminines dans des affiches de films fictifs. Mes sérigraphies et stickers sont eux aussi dessinés au départ à la main puis retraités à l’aide d’outils numériques ou artisanaux. Si j’utilise la bombe pour de grands murs, je préfère nettement employer l’acrylique pour la qualité de la couleur et des aplats que l’on peut obtenir, j’adore les pistolets pour les grands dégradés. Je me régale à la mine de plomb et à l’encre de chine. Pour ce qui est de mes interventions sauvages dans la rue, je peins aujourd’hui mes personnages sur papier au lieu de les peindre directement dans la rue car je ne peux plus passer trois heures dans la rue comme avant. J’ai collaboré à des expositions à l’espace d’art contemporain Lieu Commun dans lesquelles j’ai créé des costumes de fantômes féminins et des rideaux pour des décors de cinéma primitif.

TRAVAILLER SUR L’IMAGE DE LA FEMME

Tes personnages féminins ont beaucoup évolué depuis tes premiers pas jusqu’à leurs formes plus récentes. Ils sont les témoins de l’évolution de ton travail au fil du temps.

J’ai toujours beaucoup travaillé sur la ligne et le graphisme en général, l’image féminine est véhiculée dans la rue de cette façon, le graffiti m’a influencé pour cela au départ. J’ai ensuite souhaité rendre plus clair le sens de mon acte dans la rue. Au tout début je réfléchissais à plusieurs choses à la fois, passais de la forme d’un pictogramme féminin à un pictogramme masculin ou animal ; je voulais ainsi créer un espace onirique dans l’espace urbain pour attirer le regard en mêlant par pur plaisir les graphismes que je dessinais dans mon black book. Je me suis rapidement focalisée sur les femmes et les filles et réfléchis encore aujourd’hui aux jeux de proportions, de lignes sans oublier l’importance de la couleur.  

Tu as progressivement développé et dessiné des pin-up

Je me suis en effet posée des questions face aux images féminines véhiculées dans la société. J’ai grandi en regardant les guignols, les nuls et les Simpson sur la chaîne Canal+ ; j’y voyais quotidiennement tourner une pin-up sur elle-même pour évoquer quel jour nous étions ; j’ai aussi vécu les murs remplis d’affiches 3615 Ulla faisant la publicité du minitel rose. Cela me paraissait assez logique d’apporter une réponse graphique personnelle à l’image féminine en faisant des pin-up inspirées au départ par Marylin Monroe et Betty Page dans la rue. Il y’ avait là aussi une quête de liberté, l’art selon moi devait être dans la rue. Faire ces images volontairement stéréotypées dans la rue m’a permis de m’affirmer en tant que femme, qu’elles soient sexy ou plutôt graphiquement charmantes, colorées ou non. Aujourd’hui, je pense qu’il y a encore un intérêt à peindre des pin-up en tant qu’artiste dans l’espace urbain. Elles ont évolué avec le temps et ont aujourd’hui plus l’allure d’hybrides entre femmes et chats. Une série intitulée « crying women » en écho à une série de Picasso qui a beaucoup aimé voir pleurer Dora Maar est en cours de création. Le sens a pris place.

Les pin-up sont par exemple des figures exagérées et fétichisées.

Mes personnages sont trés fétichisés, ils ne sont pas proportionnellement liés à la réalité. Ils pourraient ressembler à des monstres, si l’on se réfère à la définition du mot qui vient du fait de désigner une particularité physique et se rapproche aussi du verbe montrer

Le discours porté par tes personnages a-t-il évolué entre les années 90 et aujourd’hui ?

Ce n’est plus le même discours en partie parce que le monde a changé. Les réseaux sociaux ont amplifié les images féminines stéréotypées, de nouveaux stéréotypes féminins sont nés ; je veux parler des stéréotypes non genrés. Ce que je trouve étonnant c’est que mes personnages se rapprochent de plus en plus de la volonté de certaines jeunes femmes sur des réseaux comme Instagram. Avoir un corps parfait à tout prix, redessiner son corps jusqu’à en faire quelque chose de proche du monstrueux. Sinon mes personnages féminins parlent toujours de la même chose. Elles prennent leur place dans la ville tout comme les Baby-dolls que j’ai revisité ces derniers mois, c’est encore une question très actuelle je pense.

Comment tes différentes séries se sont-elles entrecroisées ?

Chaque série soulève des questions qui lui sont propres. Que ce soit la série « Crying Woman » qui est liée à Dora Maar et au désir de voir de plus en plus d’œuvres féminines reconnues dans la rue. Les Baby-Dolls elle sont liées à un graphisme que j’appréciais beaucoup dans les années 90 et qui me semble encore nécessaire dans ce monde brute et chaotique. Les affiches de films qui n’existent pas sont venues d’un travail artistique sur un court-métrage datant de 2003 : il a mis si longtemps à être réalisé que j’en suis venue à travailler des images de faux films. Mes séries s’entrecroisent car je ne laisse tomber aucune série depuis le début.

UNE ARTISTE DANS L’ESPACE URBAIN

En quoi la rue est-elle un espace de création particulier ? Ton regard dessus a-t-il évolué au fil du temps, alors que tu y as débuté très jeune ?

La rue est un espace de création particulier car elle s’adresse à un large public, il pose pour moi la question de l’art pour tous mais aussi la question de la liberté d’expression. Sur ce point mon regard n’a pas du tout changé, j’ai toujours souhaité être proche des gens, avec un prétexte pour les rencontrer. C’est d’ailleurs pour cela que j’enseigne aussi, je trouve la transmission auprès des collégiens et lycéens complémentaire à mon travail d’artiste.

Mon regard a en partie évolué sur l’aspect illicite par la force des choses. Il est passé d’un acte gratuit, d’une libre expression mettant en avant l’idée de créer un espace onirique dans un espace urbain à des projets en lien avec des directions artistiques. Je reviens dès que je le peux à l’état initial de l’acte car c’est là l’essence même de ma création, c’est ce qui me plaît le plus.

Dirais-tu qu’il fallait s’affirmer en tant que femme dans la rue par la peinture ?

Je n’emploierais pas le mot s’affirmer, plutôt prendre sa place. C’est important de prendre une place que beaucoup de femmes n’imaginaient pas forcément. Très peu de filles peignaient dans la rue avant les années 90 : En France, Miss.tic était déjà présente en tant que plasticienne dans la rue, elle avait débuté quelques années auparavant. Être dans la rue, c’était avoir une place dans la ville, mais aussi une place dans la société. Les images que je voulais travailler étaient celles que j’avais vues à l’origine sur des affiches, des livres ou à la télévision. Le support du mur correspondait parfaitement à ce que je voulais faire d’elles, fortes de leur graphisme et de leur couleur. J’ai choisi de peindre dans la rue pour cette raison mais aussi pour le fun!

LA RUE, ESPACE DE CRéATION PARTAGé

Quel est ton rapport à l’éphémère ? Cela fait-il partie intégrante du jeu de la rue ?

Avant 2008 toutes mes peintures étaient sauvages, l’éphémère faisait partie intégrante de mon processus de création. L’éphémère permet de renouveler le questionnement, et pour une femme il oblige à affirmer la place que l’on veut avoir dans l’espace urbain. Sans parler de féminisme, j’avais l’impression qu’il y avait un intérêt à inscrire ces histoires et ces images dans la rue, pour compléter l’architecture à dominante masculine existant en ville. L’éphémère est une belle chose au final, il est un leitmotiv créatif. Se faire toyer par quelqu’un ou par les nettoyages municipaux, ça te donne de l’énergie pour continuer!

Tu as commencé dans l’univers du Graffiti, as-tu senti à un moment donné un glissement tendre vers le Street art ?

Je viens de l’univers du graffiti car j’ai commencé à peindre dans les mêmes lieux qu’eux en compagnie de Miss Van puis parfois avec eux. J’appartiens au post-graffiti pour cela. Je n’ai jamais eu l’impression de faire du street art. Certains journalistes urbains pensent que faire du collage, c’est automatiquement faire du street art… Je trouve cela réducteur car pour moi certains graffeurs font plus de street art que du graffiti…tout est relatif à la définition que chacun donne du street art. Etant étudiante en arts plastiques, j’ai dès le départ eu conscience de ce que je produisais et pourquoi j’avais besoin de peindre dans la rue.

Ce qui m’importe c’est la ville et l’interaction de mes images avec le public. Dès le milieu des années 90, le Graffiti devient ici assez populaire grâce aux personnages peints par les filles, il y en avait partout dans les rues. Le graffiti n’était pas sauvage comme à Paris, émaillé de coups, de bagarres, d’histoires assez dures dans les squats parfois dixit ce que racontaient les graffeurs parisiens à l’époque.

Le street art est un mot qui englobe beaucoup d’expressions artistiques, il évoque quelque part le stéréotype de ce qu’est l’art de rue. Les journalistes qui ne souhaitent pas approfondir pour parler d’un artiste peuvent dire que je suis street artiste tout comme Invader souvent mis dans cette référence. Pour répondre à ta question, je me sens plus plasticienne.

Peut-on selon toi toujours employer le terme de mouvement ?

Le mouvement définit le début de ma création artistique en collaboration avec miss Van, c’était comme cela que l’on en parlait. Le graffiti était et est toujours perçu comme un mouvement lui aussi. Le post-graffiti est un autre mouvement auquel j’appartiens, il désigne les artistes qui ont été inspiré au départ par le graffiti.

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Photographies: Mademoiselle Kat

Vous pouvez retrouver Mademoiselle Kat sur Facebook, Instagram et sur son site internet.

Entretien enregistré en octobre 2021.

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