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Les rencontres du peintre voyageur
Ceci est une introduction : saint oma street art.
“La peinture, tout comme le voyage, n’est qu’un prétexte pour accéder à l’autre. Cela aurait pu tout aussi bien être la musique, l’écriture, la danse… Peindre me permet surtout de vivre des choses que je ne vivrais pas, d’aller dans des endroits où je n’irais pas, de faire des rencontres que je ne ferais pas.”
le voyage
Tu ouvres ton livre Globe-Painter par une série de règles qui invitent à réfléchir à la façon de créer en voyageant : « Pas de ‘vandale’, dans un endroit où le graffiti n’existe pas. Représenter ou écrire des choses compréhensibles pour la population. Pas de dégradation des lieux touchés par la misère. Essayer de rencontrer des artistes locaux et de se comporter comme un invité. »
J’en ai encore plus désormais. Ce sont des règles que je m’applique. C’est une question de respect que je trouve naturelle : étant donné que je vais peindre sur le mur des gens et que je vais partir ensuite, je ne vais pas faire n’importe quoi. Je ne suis pas chez moi, pas dans mon pays, je vais faire en sorte que la peinture puisse être comprise et acceptée. Je n’ai pas envie de déranger. Par contre il m’est arrivé de suivre des artistes locaux qui réalisaient des graffitis vandales pour peindre avec eux.
Quand as-tu compris que l’Autre allait occuper une place essentielle dans ta démarche ?
Je l’ai compris en commençant à voyager, notamment en Amérique du Sud, en peignant dans la rue. En France, le Graffiti s’adressait aux autres graffeurs. C’était une pratique illégale, qui nous poussait à souvent peindre dans des terrains vagues ou aux abords des voies ferrées quand on avait besoin de temps. A l’inverse, en Amérique du Sud c’était beaucoup plus facile de trouver des lieux visibles par tout le monde : lorsque j’allais taper à une porte pour demander si je pouvais peindre un mur, le plus souvent les gens acceptaient. En Amérique latine, il y a aussi une démarche sociale qui m’a plu tout de suite, loin de la provocation ou de l’auto-promotion qu’on retrouvait régulièrement en France. Mes premiers dessins au Brésil représentaient une vision exotique de Rio, composée de types violents et de meufs dénudées… En arrivant dans une favela pour peindre, avec tous ces hommes armés, j’ai compris la violence qui existait dans ce lieu, je n’ai pas voulu la représenter. C’est comme ça que j’ai peint des enfants pour la première fois.
CALME INTERIEUR, CHAOS EXTERIEUR
Il y a un contraste entre le calme apparent de tes personnages et le chaos qui les entourent, ce qui confère à tes peintures un jeu sur la présence et l’absence.
Je cherche à chaque fois à créer ce contraste. Au Brésil, comme la violence existait déjà, cela ne servait à rien de la représenter. Il me semblait plus intéressant de peindre sur un mur ou dans l’espace public en faisant des personnages qui pousserait le spectateur à découvrir différemment la ville. Le choix de peindre des enfants, au-delà du fait qu’il y en ait beaucoup dans la rue, permet de parler à tout le monde ; aux enfants bien sûr mais aussi aux adultes. Cela permet d’aborder des sujets sérieux et compliqués d’une manière plus innocente, sans qu’on s’en aperçoive.
Pourquoi tes personnages ont-ils un jour arrêté de regarder vers la rue ? Peignant à Pangukrejo en Indonésie, tu expliquais à propos d’une peinture : « Je ne sais pas si elle est triste ou si elle est heureuse. Elle est assise et je pense qu’elle va se relever. Je préfère penser qu’elle regarde le futur plutôt que son passé. »
Le fait de ne pas montrer les émotions du personnage, permet au spectateur de s’identifier, de laisser place à son imagination. Je n’impose pas un point de vue, qu’il soit triste ou joyeux. Comme il s’agit d’espace public, je trouvais important que la personne qui regarde mon travail puisse mettre d’elle-même dedans, y déployer son monde imaginaire. Ce qui m’intéresse c’est le dialogue avec le spectateur ; le fait de ne pas montrer le visage renforce cette connexion, c’est sur cette absence que s’appuie le spectateur pour rendre la peinture vivante.
Tu choisis souvent pour peindre des lieux chargés émotionnellement mais sans visibilité.
Mais l’œuvre voyage ensuite grâce à la photographie et à Internet. C’est comme un billard à trois bandes. Je peins d’abord pour moi, pour me faire plaisir. Ensuite pour faire plaisir à celui qui vit à côté de la peinture et qui la verra tous les jours. Enfin, pour le reste du monde par le biais de la photographie. Pour cela, j’essaie toujours que le personnage ait un rapport avec le lieu, que cela passe par les vêtements ou d’autres objets.
PEINDRE POUR JOUER AVEC LE MONDE
En quoi la rue est-elle un espace de création particulier ?
La rue est un endroit vivant et chargé d’énergie. Elle me nourrit et nourrit ce que je fais. J’essaie de m’adapter pour dévoiler l’endroit, son contexte architectural, social, politique, culturel. Quatre-vingt-dix pour cent de mon travail vient d’une idée. J’aime bien prendre mon temps, je suis même de plus en plus lent. J’essaie de choisir des endroits tranquilles et advienne que pourra. Être dans l’urgence ne m’intéresse pas forcément.
A travers ces voyages tu témoignes d’un amour profond pour l’humanité des villes.
Je ne sais pas s’il s’agit d’amour, sinon d’une inspiration qui me nourrit et me motive. Peindre est ce que j’aime faire le plus, pour jouer avec le monde et créer avec qui existe déjà. Tout le reste est plus laborieux. Quand tu peins dans la rue tu confrontes l’imaginaire et le réel. C’est ce contraste qui est intéressant. Lorsque les peintures évoluent dans le temps, on réalise qu’après avoir inscrit sur le réel, c’est le réel qui vient travailler sur notre œuvre.
Il y a alors une dimension paradoxale entre l’imaginaire que l’on se fait d’un lieu et le fait de revenir se confronter à son propre souvenir.
Ce n’est pas toujours le cas : déjà, cela ne s’applique pas aux grands murs. Il n’y aucun intérêt hormis voir la peinture s’effacer avec le soleil. Mais lorsque je suis au niveau du sol ou que je n’ai pas demandé l’autorisation, il se passe beaucoup de choses. L’effacement de mes peintures m’intéresse car chaque chose ajoutée parle du contexte dans lequel l’œuvre a été créée. Le fait que les gens prennent ou non soin de ton travail, de voir comment il évolue, raconte tout d’un lieu. Ainsi, lorsqu’en Indonésie après avoir peint dans un village, les gens ont gardé ces peintures pour construire des maisons tout autour, cela ne fait pas uniquement plaisir, mais a aussi un sens. Quant à Paris elles sont taguées et couvertes d’obscénités, cela raconte aussi les gens d’ici.
Peut-on selon toi considérer la rue comme un vivier d’artiste ?
Quand je voyage, je ne m’intéresse pas uniquement à rencontrer d’autres artistes urbains, mais aussi des artistes traditionnels, bruts ou naïfs. J’ai pu collaborer en Chine avec des femmes paysannes qui peignent dans leur cuisine. En voyage, rencontrer seulement des types qui pensent comme moi, qui boivent le même café et la même bière que moi, n’est pas vraiment ce que je recherche. Dans chaque pays il y a des artistes qui travaillent sur leur culture traditionnelle, essayant d’en parler d’une manière moderne : ce sont ces gens-là que j’aime rencontrer.
LA RECHERCHE DU MOMENT
Quel rapport as-tu à la photographie ? Dans tes livres sont des carnets de voyage, regroupements d’une collection de moments, de visages qui témoignent d’un fort rapport à la mémoire.
Pour moi la photographie est très importante : il y a l’idée, la réalisation et la photo. Mes premiers ouvrages sont avant tout des livres de photographie : c’étaient mes cahiers de vacances, comme peut l’être le diaporama de celui qui rentre de voyage. A l’époque, je n’étais pas très doué et j’essayais de remplir les vides en montrant l’environnement. Dans Globe-Painter, il y a peu de peintures, c’est l’histoire qui est intéressante. Dans Extramuros, je joue toujours sur l’idée du carnet de voyage mais il n’y a plus de dessin. Mais dans le prochain il n’y aura que des murs car maintenant j’arrive à lier la photographie de la peinture avec son contexte.
Est-ce cette recherche du moment qui compte ?
Oui bien sûr. En planifiant le moins possible. Comme quand je pars en Jordanie pour peindre un mur pour finalement en faire trois et décider d’y retourner de nouveau l’année prochaine. De passer une semaine sur un grand mur rue Mouffetard, à parler et manger avec les commerçants et les habitants après qu’une dame se soit battue pour que je fasse cet immense mur. C’est vivre l’instant que je recherche. Comme toute personne qui s’exprime, j’ai commencé à peindre par un besoin de reconnaissance. Avec le temps j’ai compris que cette quête était vaine, que le vrai but était les partages et les moments vécus. C’est pour ces rencontres que je peins dans la rue.
La peinture relève-t-elle plus pour toi d’un moyen que d’une fin ?
Pourquoi serait-ce une fin en soi ? La peinture, tout comme le voyage, n’est qu’un prétexte pour accéder à l’autre. Cela aurait pu tout aussi bien être la musique, l’écriture, la danse… Peindre me permet surtout de vivre des choses que je ne vivrais pas, d’aller dans des endroits où je n’irais pas, de faire des rencontres que je ne ferais pas. A travers la peinture je parle de mon époque, de ce que je vois, de choses plus ou moins complexes, sans choquer, car en provoquant dans la rue, on ne s’adressera qu’à ceux qui pensent comme nous. En exprimant de manière innocente des choses compliquées on peut toucher.
Penses-tu qu’il existe des chefs-d’œuvre éphémères ?
La notion de « chef-d’œuvre me semble révolue. Elle ne correspond plus à nos modes de vie. Cela procède du fait qu’un mot comme « Art » est désormais dénaturé, s’appliquant à des choses qui n’ont rien à voir entre elles. Peut-on comparer la banane publicitaire de Maurizio Cattelan à la Pietà de Michel-Ange ? A l’instant où un urinoir est entré dans un musée tout est devenu art. L’artiste est un produit marketing dont la valeur dépend du fait qu’il a été présenté dans tel musée, telle galerie, ou est entré dans telle collection. Sa valeur est donnée par le marché qui crée à travers lui de l’argent imaginaire. Dès lors, ce qui va compter est avant tout la reconnaissance et la visibilité. Le premier réflexe d’un galeriste est de regarder le nombre de followers sur Instagram. Il faut être conscient de l’époque dans laquelle on vit, ne pas être naïf, tout en continuant à rêver et à s’amuser.
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