Treize Bis

TReize bis

Dans tes yeux, le reflet d'un autre monde

Mon travail est comme celui d’un sampler : je vais chercher des images, qui deviennent ma palette.”

PARCOURS

Comment as-tu commencé à travailler dans la rue ?

Avant d’être Treize Bis j’étais artiste plasticien. Je me suis mis à travailler dans la rue car je ne pouvais plus payer le loyer de mon atelier de Montreuil. La rencontre avec ma voisine de l’époque qui habitait au numéro 13bis a été déterminante. Nous avons beaucoup discuté avant de nous lancer petit à petit sur le collage. Comme j’étais déjà très intéressé par les gravures, les dessins d’anatomies et les cabinets de curiosité, nous avons directement réfléchis à ces thèmes. La rue m’offrait la possibilité de reprendre la création sans la contrainte de l’espace, hormis pour le découpage, que l’on faisait avec nos voisins, sans prétention, guidés par l’envie et la volonté de s’amuser.

Cette utilisation d’images anciennes faisait-elle également partie de ton travail de plasticien ?

Non. En tant que plasticien, je créais des boîtes lumineuses et je travaillais beaucoup sur l’anatomie du corps humain mais toujours en dessin, en lavis (encre de chine diluée) et en peinture, très rarement le collage. Il ne pourrait plus vraiment être montré car il a une identité très différente.

 

Tu qualifies tes interventions d’actes poétiques ? Pourquoi ?

Mettre de l’Art dans la rue est un acte répréhensible donc politique, mais j’insiste davantage sur l’idée du geste, de la performance. C’est l’action de coller de la poésie visuelle sur les murs qui devient un acte poétique.

Pourquoi faire le choix de l’anonymat ?

A mes débuts, on a très vite commencé à me prendre en photos et à me poser des questions qui me dérangeaient. On ne m’a pas parlé de mon travail, ni de ce que j’avais fait, mais de qui j’étais et ce que je représentais. Or, ce n’est pas pour cela que je voulais être remarqué. Je voulais aussi absolument maîtriser ce qui se passait sur Facebook. Aujourd’hui je dis aux gens qui me prennent en photo que je suis anonyme, que je ne souhaite pas être reconnu. Je mets en avant le fait que mon travail est énigmatique et surréaliste. L’anonymat est alors une prolongation du mystère, pour ne pas donner de sens de lecture ou de grille d’interprétation. Pendant longtemps, je ne voulais pas dire non plus pourquoi mon nom d’artiste était Treize Bis.

LE CHOIX DU COLLAGE

Pourquoi avoir choisi le collage comme medium ?

Je réalise un travail de récupération d’images qui m’inspire énormément : le fait de les agrandir, de les sortir du contexte du livre, fait déjà partie de la démarche. Le papier est un matériau pauvre qui m’a toujours séduit par sa fragilité. C’était aussi une possibilité matérielle : nous faisions les impressions dans l’agence de ma voisine quand tout le monde était parti, du coup nous n’avions pas besoin d’autre espace de travail.

Quelle importance accordes-tu au fait d’agir en vandale ?

J’aime coller dans des endroits légaux mais l’interdit donne ce côté un peu punk, sauvage, un sentiment de puissance et de liberté. Cela crée des émotions fortes. Je suis quelqu’un d’extrêmement sensible, donc ces moments sont pour moi très intenses émotionnellement. Il est certain que si c’était légal l’effet ressenti ne serait pas le même.

 

Repères-tu un mur pour y placer tes collages, ou as-tu déjà une image prête lorsque tu vas coller ?

Il m’arrive de prendre les mesures d’un mur et de faire des photos, afin de créer une pièce spécifique. Mais pour les travaux plus petits, je pars dans la rue et cherche, ce qui peut prendre du temps avant de finir par trouver un bon spot.

Comment appréhendes-tu l’aspect éphémère de ton travail ?

Poétiquement parlant c’est très fort. Au début, je pensais que le collage n’abîmait pas les murs, ce qui n’est hélas pas le cas. Le fait que mes pièces disparaissent donne à mon travail encore plus de force, car tout le monde ne pourra pas les voir, et cela les rend donc plus précieuses, car plus rares. Par ailleurs, cela nous renvoie aussi à notre propre caractère éphémère. En tant que plasticien je travaillais sur la trace et la mémoire, et mes collages sont ainsi liés à ce précédent travail, à ces réflexions sur la silhouette, le support/surface ou l’intérieur/extérieur.

En commençant j’ai découvert le travail de Léo & Pipo. Lorsqu’une de leurs silhouettes disparaît, il reste des vestiges, des traces de papier et de colle, et les contours demeurant sur certains murs évoquent une présence fantomatique, qui conserve une charge émotionnelle très forte. Les affiches lacérées sont aussi une source d’inspiration. Quand on connaît Jacques Villeglé on finit par en voir partout. Il y a beaucoup d’œuvres dans les couloirs du métro.

Pourtant, même si cela ajoute une force aux collages, c’est toujours violent de les voir arrachés dès le lendemain matin. Il a donc fallu apprendre à gérer cet aspect émotionnel, ainsi que les risques de toyage.

ANCIENNES PHOTOGRAPHIES

Recherches-tu tes images en fonction du thème que tu souhaites traiter ou les construis-tu à partir d’une banque de photos préexistante ?

Mon travail est comme celui réalisé avec un sampler : je vais chercher des images, qui deviennent ma palette. Je commence à posséder une belle banque d’iconographies et le plus souvent je travaille ainsi, à l’aide d’éléments déjà récupérés. Lorsque j’ai des commandes j’achète des images en haute définition. Néanmoins, la plupart du temps je les trouve dans des livres, ou je chine d’anciennes photos dans des brocantes. Je réalise ensuite un long travail de scan, qui est la partie la plus rébarbative du processus. Je les classe sur ordinateur, les répartissant entre différentes catégories : nus, plantes, anatomie, paysage etc. Pour terminer je recherche une image qui m’inspire et j’essaie de composer avec elle.

Réalises-tu ce travail de scan pour des raisons d’échelle ou pour avoir la possibilité de réutiliser les images ainsi trouvées ?

Les deux. Le scan est obligatoire pour archiver mes sources qui seront parfois utilisées dans leur totalité ou parfois juste pour récupérer une partie de l’image. Il n’est pas rare que je réutilise certaines gravures qui dans d’autres contextes n’apporteront pas la même intention. J’utilise rarement les images sources, même si cela m’est arrivé pour quelques tableaux en galerie, mais cela m’est assez difficile car je n’ai pas envie d’abîmer le livre d’origine. En outre, la question de l’échelle est primordiale pour mon travail de rue.

En recomposant une image nouvelle, tu vas en transformer le sens : ce sont en effet tes créations – et non les images d’origine – qui dégagent une atmosphère surréaliste.

C’est exact. Les collages de Max Ernst sont une inspiration que l’on retrouve, même s’il utilisait pour cela les images d’origine. Comme lui, je ne vais pas chercher le beau, sinon l’étrange. J’aime bien déranger, perturber l’œil et le sens de lecture afin de créer le trouble et susciter un questionnement chez les gens. Je ne me situe pas uniquement dans un registre morbide ou trash, même si je travaille beaucoup sur la mort et l’érotisme.

La question des multiples est toujours présente dans le travail des colleurs. Quel regard as-tu sur la possibilité de reproduire plusieurs fois les mêmes images dans la rue ?

Je ne suis pas dans l’idée du sticker. Hormis pour la Femme aux papillons, ainsi que le Chant aveugle des papillons de nuit, je ne colle pas souvent mes travaux plusieurs fois. En effet, le collage est une pratique in situ, et la création prend tout son sens dans la rue, portée par la charge visuelle du mur choisi. Comme je travaille avec Photoshop je peux réutiliser mes images, mais je fais attention à ne pas devenir une marque déposée, un « produit » Street art. Je ne cherche pas à envahir la ville.

Je mets un point d’honneur à créer de nouvelles choses à chaque fois. Mais j’ai des images qu’il est dommage de n’utiliser qu’à une reprise, car elles peuvent fonctionner sur plusieurs pièces en changeant de sens. Ce qui est génial dans le collage c’est que d’une certaine façon tout fonctionne. Mélanger des images donne toujours quelque chose, mais est-ce que le résultat me ressemble ? Je vais chercher ce qui me correspond le plus, ce qui va parfois advenir en quelques secondes, parfois en une journée. Par ailleurs, une image peut très bien rendre à un endroit et pas à un autre.

Les « yeux » font figure d’exception dans ce discours, car ils sont devenus une sorte de marque de fabrique, que je permets même aux gens de télécharger sur Facebook. Ils peuvent se les réapproprier et permettre à Treize Bis de voyager dans le monde entier. C’est un jeu de regard entre le public, la rue et moi.

PHOTOGRAPHIE ET MEMOIRE

La photographie occupe une place très particulière dans tes travaux.

J’aime bien utiliser un filtre, devenu une sorte de gimmick, qui m’a permis de développer une identité visuelle, mais cela s’est fait un peu par hasard, comme le choix de l’anonymat. Le collage est terminé une fois qu’il est dans la rue, et la photographie devient une œuvre à part entière. Elle n’est pas un témoignage car elle ne cherche pas à rendre compte de façon objective. En effet, je l’embellis par l’utilisation du noir et blanc qui ajoute une poésie supplémentaire à laquelle je suis attaché. Ce travail sur l’image est propre à chaque artiste, et il m’est arrivé d’en parler avec Philippe Hérard qui lui préfère une photographie documentaire plutôt qu’artistique.

Tu t’intéresses également à la mémoire collective.

Je travaille à la fois sur la mémoire collective et la mémoire d’une image photographique. Si elles ne sont pas forcément « collectives », ces vieilles photographies en noir et blanc renvoient déjà au passé, évoquant une certaine nostalgie et créant un romantisme. Quand j’utilise l’image de femmes, d’hommes ou d’enfants, il s’agit de personnes ayant existé, à qui quelque part je redonne vie. La notion de mémoire collective trouve aussi sa place à travers l’utilisation de gravures anciennes, ou d’œuvres de grands maîtres. C’est intéressant de faire revivre ces figures, parfois oubliées du public. Il n’y a en effet qu’une partie de la population qui a en temps normal accès à cette mémoire. J’essaie donc de créer un bon sample en recomposant une œuvre, et pas simplement en la reproduisant.

La disparition de ces collages interroge la question de la mémoire en l’absence d’images.

Les vestiges de Léo & Pipo renvoient tout à fait à cela. Le collage conduit à la mémoire, au souvenir, à l’éphémère, mais il s’agit alors d’une image disparue. Je peux aussi enlever sciemment un élément comme le visage, pour évoquer l’idée de l’image absente. J’aime les sculptures grecques cassées, auxquelles il manque un membre. Cela crée une poésie du temps qui est passé, une fragilité qui m’émeut énormément. Pour qu’une œuvre soit forte il ne faut pas tout dire: en cela j’aime l’effet des esquisses.

Photographies:  Treize Bis

Vous pouvez retrouver Treize Bis sur Instagram, Facebook.

Entretien enregistré en octobre 2019.

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