“Dans les sujets que je traite, une part de la tension provient de l’utilisation du matériau. La dégradation progressive de l’œuvre lui apporte une certaine poésie et une profondeur. C’est pourquoi l’intention du projet primera toujours dans mes choix esthétiques. Le papier de soie ne fait pas de concession à cet état d’esprit : si je le mouille trop en voulant le coller et qu’il y a du vent, il se déchire et est aussitôt détruit.”
J’ai commencé à peindre dans la rue en arrivant à Paris en 1999/2000. J’ai d’abord travaillé à la bombe, peignant essentiellement des visages, avant de découvrir le pochoir.
J’ai rapidement voulu explorer une autre manière d’intervenir dans la ville, pour ne pas m’en servir comme une simple galerie. C’est en voulant davantage réfléchir au contexte que le projet Open Your Eyes est né : l’idée était de travailler sur un visuel, puis de le poser à différents endroits de la ville de telle sorte qu’une fois reliés sur une carte ils reforment l’image créée. La ville et l’œuvre se trouvaient alors intimement liées, l’espace urbain devenant porteur de sens en fonction des endroits choisis. Ce projet poussait aussi les gens à regarder autrement la manière dont nous vivons ensemble et les incitait à explorer davantage ce qu’on leur propose visuellement pour développer un regard critique. Ainsi, la ville s’est progressivement imposée comme matière et sujet de travail.
Le choix du nom Open Your Eyes venait du fait qu’Eyes ou YZ étaient des diminutifs de mon prénom Yseult, mais aussi que mon travail d’alors était surtout en lien avec le regard. J’utilisais beaucoup la phrase « Les yeux sont la fenêtre de l’âme », et ces portraits frontaux du début questionnaient ainsi directement l’identité de chacun, ce que nous sommes à travers nos racines et nos expériences de vie.
J’ai plusieurs origines : ma mère était anglaise, mon père français guadeloupéen. J’ai toujours eu besoin de savoir d’où je venais, car c’était une problématique que mon père abordait souvent. De fait, bien avant de commencer mon travail plastique, j’avais déjà cette démarche de recherche identitaire. J’ai beaucoup voyagé, suis partie habiter en Angleterre et au Sénégal, puis retournée en Guadeloupe par la suite, pour questionner ces racines. Encore aujourd’hui, le fait de vivre à Abidjan est le prolongement de cette recherche. Tous mes projets sont en lien avec ce cheminement.
J’ai toujours été un peu nomade, ayant eu la chance d’avoir des parents qui m’ont transmis cette ouverture au monde. Mais je trouve que le Street art est en soi une pratique très internationale, si l’on tient compte de la façon dont les artistes sont amenés à voyager pour faire vivre leurs projets. Pour moi c’est d’ailleurs une des particularités de ce mouvement que d’avoir des artistes internationaux.
Je réalise en amont un important travail de photomontage. Je prends mes photos, les retravaille pour en exploiter plusieurs. Le rétroprojecteur va permettre la représentation plastique de mon idée.
Je travaille en atelier avec des matériaux qui ont un aspect organique et naturel. C’est pour cela que j’emploie de l’encre, du bois ou du papier. Lorsque je n’utilise pas ces éléments, je me sers de matériaux de récupération, essayant de les adapter au contexte de création. Par exemple, pour ma série Empress, je chine des objets à l’endroit où je vis car ils ont déjà une histoire et apportent une dimension supplémentaire à l’œuvre.
J’ai commencé à réaliser des lavis en utilisant de l’encre de Chine. Ils me permettent de peindre mes ombres et mes lumières plus simplement.
Au début j’utilisais du papier kraft, avant de me tourner vers le papier de soie. C’est un matériau intéressant, car il laisse apparaître le support sur lequel il est collé. Cela crée un aspect un peu suranné et le temps qui passe y ajoute une poésie supplémentaire. A la façon d’un bon vin, le travail gagne alors en profondeur et en valeur avec le temps.
Coller sur un mur blanc ne m’intéresse pas, je cherche des lieux porteurs de sens. Le projet Amazones au Sénégal s’inscrivait par exemple sur des cases tenues par des femmes. Voyager me permet de développer sur le long terme un travail contextuel s’inspirant du lieu, de ses habitants et de son patrimoine.
Je ne recherche pas particulièrement la visibilité : quand je colle une affiche je ne sais pas quelle sera sa durée de vie. Il m’est arrivé d’avoir des collages arrachés au bout d’une demi-heure, alors qu’ils n’étaient pas encore secs. Dès l’instant où je prends la photographie de mon travail j’en fais mon deuil, il poursuit sa vie et je n’y suis plus attachée.
Une de mes premières pièces avait été toyée deux jour après sa pose. Cela m’avait beaucoup touché mais j’ai compris qu’il fallait que je travaille avant tout pour moi et que l’image me servirait de témoignage. L’espace urbain est collectif, chacun a le droit de se le réapproprier. Ce qui me dérange ce sont les gens qui volent les pièces dans la rue pour en tirer profit.
Cette grande fragilité m’intéresse. Dans les sujets que je traite, une part de la tension provient de l’utilisation du matériau. La dégradation progressive de l’œuvre lui apporte une certaine poésie et une profondeur. C’est pourquoi l’intention du projet primera toujours dans mes choix esthétiques. Le papier de soie ne fait pas de concession à cet état d’esprit : si je le mouille trop en voulant le coller et qu’il y a du vent, il se déchire et est aussitôt détruit. Sa fragilité contraste avec les thèmes abordés qui sont parfois durs, que l’on parle de guerrières amazones se battant pour leur territoire, d’impératrices ou de minorités luttant pour leur culture.
Cela fait dix-sept ans que je peins dans la rue tout en évoluant toujours à travers mon parcours de vie. A l’époque d’Open Your Eyes je trouvais intéressant qu’on pense qu’il s’agissait d’un homme. Pour d’autres sujets, comme Lost in the City, cela n’avait aucune importance.
Je traite de sujets qui font viscéralement partie de moi. L’histoire des amazones du Dahomey me fascine et m’inspire en tant que femme contemporaine. C’est important de créer des univers référentiels pour que chacun puisse se l’approprier, et notamment les jeunes filles. Je me suis inspiré du parcours de femmes pour me construire moi-même, notamment Miriam Makeba et tous ses combats. C’est essentiel de parler de ces femmes, de ces personnalités qui se sont battues et ont marqué l’Histoire.
Il y a des projets qui nécessitent beaucoup de recherches, comme Amazone pour lequel j’ai travaillé sur différentes personnalités comme Yennenga, Nadte Yalla ou Aline Sitoe Diatta : des reines, des princesses et d’autres héroïnes qui se sont battues contre les colons. Connaître le sujet permet de s’en émanciper pour portraiturer ces femmes d’une autre manière. J’ai aussi travaillé avec un galeriste antiquaire – Galerie Mémoires Africaines – qui m’a prêté des accessoires anciens de différentes ethnies d’Afrique.
Pour Empress, je réalise tout un travail sur l’importance des coiffes et leur signification au sein des différentes communautés, qu’elles soient religieuses, ou servent à définir un genre, un âge, un statut social. Un projet met donc parfois plusieurs mois à se développer. Après un an et demi à travailler sur celui-ci j’en suis toujours au stade embryonnaire.
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Entretien enregistré en novembre 2017.
Rencontre avec l'artiste Treize Bis, qui, à l'aide de collages surréalistes posés sur les murs, ouvre une fenêtre vers nos imaginaires.
Rencontre avec une artiste dont la création organique enchevêtre les mondes et les passions, leur conférant des allures de fantasmagories.
Rencontre avec un artiste qui part du verbe et des mots pour créer les séries iconographiques qu'il place sur les murs de la ville.