Mahn Kloix

mahn kloix

L'écho des luttes contemporaines

Ceci est une introduction : saint oma street art.

“Mon travail puise sa source dans la résilience des gens. Pour moi c’est le fait de ne pas se laisser faire face à une force qui nous impose quelque chose.”

un engagement humain

Comment es-tu devenu artiste ? En quoi le fait de voir les « Protestataires » nommées person of the year du Time en 2011 a été un moment charnière dans ton passage vers l’art urbain ?

Je pense qu’être artiste est avant tout une démarche intellectuelle, ainsi que sa mise en forme. Le processus de réflexion vis-à-vis de mon travail a été très long : je suis passé dans un mode de création actif au moment où j’ai senti je pouvais assumer ce que j’avais envie de présenter. Avant même de travailler sur les photographies de Peter Hapak, j’ai voulu peindre les portraits de protestataires, suite à un évènement que j’avais vécu en Turquie l’année précédente, un mouvement populaire né au cœur d’Istanbul. J’avais été marqué par l’énergie qu’avait les gens de ne pas se laisser dicter une conduite.

Ton parcours porte une réflexion sur le point de vue à adopter entre l’activisme, l’art et le documentaire.

Je travaille beaucoup à partir d’informations qui viennent des médias, utilisant presque exclusivement des portraits de personnes existantes. De fait mon rapport au vivant est très important, mêlant de la documentation, du journalisme d’observation tout en provoquant un double renvoi : en effet, si une de mes interventions rencontre un écho médiatique, les gens concernés peuvent me contacter. J’ai ainsi été en contact avec la grande majorité des gens dont j’ai peint le portrait.

Ces rencontres viennent le plus souvent en amont ou en aval de la création de l’œuvre ?

Certaines rencontres se sont faites avant : j’ai alors pu dire explicitement ce que je voulais faire ou quelle photo je souhaitais utiliser. Certaines personnes ont ainsi fourni elles-mêmes les images. Pour mon projet avec les Femen, nous nous étions rencontrés et étions d’accord sur ce que j’allais faire, même si je me suis ensuite débrouillé pour aller poser mes collages. Pour une fresque comme celle de la chanteuse turque Nûdem Durak, je n’avais contacté personne avant d’attaquer la peinture. Cependant, j’ai mis son nom sur le mur et, avant même d’avoir achevé son portrait, l’image était en ligne. Des comités de soutien m’ont alors contacté, me mettant en relation avec son frère avec qui j’ai pu échanger en utilisant Google Translate, qui a lui-même pu montrer des photos du résultat à sa sœur emprisonnée. L’échange qui se passe dans ces moments-là est très fort.

LA MEMOIRE D’UNE EPOQUE

On constate toujours un léger décalage temporel entre le moment de l’évènement et celui choisi pour l’action artistique.

Je ne réagis pratiquement jamais à chaud, car j’ai toujours trouvé cela mal placé de s’accaparer un sujet au prétexte qu’il est dans l’actualité. Quand du temps est passé il est possible d’avoir du recul sur la situation : si on en reparle alors, si on la replace dans son contexte, elle gagne en pertinence. Ma prochaine fresque parle de ce qu’il s’est passé à Ceuta il y a un an et demi. Une jeune volontaire de la Croix-Rouge accueille un migrant sur une plage, qui s’écroule dans ses bras, alors qu’il fait deux mètres et elle un mètre soixante. Le contraste est fort entre cette personne toute frêle d’un côté et ce géant de l’autre. L’image a été diffusée dans la presse espagnole et la fachosphère s’est attaquée à cette fille en considérant qu’il était immonde « d’accueillir les envahisseurs ». Si les choses se sont calmées je trouve intéressant d’en parler aujourd’hui, car ce qui s’est passé alors pourrait survenir à nouveau.

Pourrait-on parler en référence à ton travail de « mémoire du présent » ?

J’aime cette expression de « mémoire du présent » : il y a un décalage qui né du fait d’être dans un mode de communication encourageant les flux de données perpétuels, les informations n’ayant de valeur que parce qu’elles existent à un instant T, disparaissant très vite, laissant les gens passer en permanence à autre chose. Cela a toujours été ainsi et n’est pas apparu avec les réseaux sociaux, c’est pour cette raison que je trouve intéressant de parler de mémoire, mais ancrée dans le présent.

A travers ton projet sur les Femen, tu interroges aussi la mémoire des lieux. Les collages font ainsi réexister le passé parfois très récent des endroits où elles ont agi.

Si j’en parle, c’est ce que ce passé est aussi futur, qu’il peut se réitérer. Cela ne m’intéresse pas de réaliser les portraits de femmes s’étant battues pour l’obtention du droit de vote en France à l’époque. Le droit de vote des femmes françaises est acquis, on ne l’enlèvera pas, bien que cela fût certainement une preuve de résilience face à un système d’y parvenir. A l’inverse, le fait qu’une préoccupation actuelle, comme l’accès à l’IVG, puisse être remis en cause me touche. Si hier le résultat des élections avait été différent la question aurait été posée. A travers cet exemple, je tente de parler de ce que nous sommes, et des combats sociaux que nous menons aujourd’hui.

Dès lors, cela te semblerait-il juste de parler à travers tes actions de réactivation des luttes ?

Je ne pense pas les faire réexister, plutôt montrer qu’elles ne sont pas éteintes, qu’elles existent encore. Ce n’est pas parce qu’il y a eu une action à un moment donné que tout a changé. Si le problème avait été réglé je n’en parlerais peut-être plus. Il s’agit plutôt pour moi de donner un écho à une action toujours vivante, d’où le titre de mon Opus En résonances.

UN CRI FACE AU MONDE

Tu évoques l’idée de résilience : quelle différence fais-tu entre ce terme et l’idée de résistance ?

Ce n’est pas sûr que je peigne des fleurs un jour. Mon travail puise sa source dans la résilience des gens. Pour moi c’est le fait de ne pas se laisser faire face à une force qui nous impose quelque chose. La résistance est un mouvement, elle implique plusieurs personnes, alors que la résilience, bien que très proche, témoigne d’in glissement vers l’intime. Occupy Wall Street, les Indignés, sont avant tout des rassemblements d’individus. Mon travail parle des gens, pas des mouvements, c’est pour cela que j’emploie ce mot. C’est une chose que l’on a chacun à l’intérieur de nous.

A travers le projet Small is Big, tu témoignais de l’importance de l’humain en donnant la voix à des personnes ordinaires prises au cœur d’évènements de sociétés extraordinaires.

La fresque du mur d’Oberkampf raconte l’histoire de Roméo et Juliette au présent à travers celle d’un couple homosexuel. Deux filles se mettent ensemble, une espagnole, une égyptienne, ayant ses parents à Dubaï. Quand ces derniers l’apprennent, ils lui font croire que sa grand-mère est malade pour qu’elle rentre dans ce pays où l’homosexualité est passible de la peine de mort. Le père les séquestre, confisque leurs papiers, mais elles parviennent à s’enfuir vers l’Arménie, avant d’être arrêtées en Turquie, puis mises en prison. C’est le consul d’Espagne qui les fait finalement libérer pour les rapatrier. En décidant de raconter cette histoire, elles rentrent en résilience. Pour autant, l’acceptation de l’homosexualité dans nos sociétés est un sujet qui dépasse ces jeunes filles, puisqu’il nous concerne tous.

Beaucoup d’icônes sont représentées dans l’Art urbain. A travers ces figures mises sur un piédestal, on peut se demander ce qui prévaut entre la sublimation de l’individu ou l’action qu’elles incarnent.

J’ai envie de rendre hommage aux personnes, tout en faisant en sorte que celui ou celle qui regarde le portrait puisse éventuellement comprendre de quoi il s’agit, ce qui n’est pas du tout évident. C’est pour cette raison que je mets parfois mes sujets en scène. La notion d’icône ne m’importe pas. Que je peigne un portrait de Greta Thunberg, ou celui d’un anonyme avec une tortue, le sujet reste le même. Il m’arrive de me retenir de représenter certaines personnalités qui me parlent pourtant. Julian Assange est une icône, et j’avais envie de réaliser son portrait pour parler à travers lui de la liberté de la presse. Mais en tant qu’individu sa moralité a été remise en question de manière publique, alors qu’il est accusé d’agressions sexuelles. Je ne sais pas si c’est vrai, si c’est une machination ou s’il est un prédateur. Mais je ne le représente pas pour sa moralité, sinon pour ce qu’il défend, tout comme je le ferais pour un anonyme.

LA RUE COMME CAISSE DE RESONANCE

A travers ces lieux de mémoire tu réalises aussi un travail de contextualisation. Cela contribue-t-il à faire de la rue un espace de création particulier ?

J’utilise l’espace public parce qu’il est public, accessible à tous, que c’est un espace de communication permettant cette idée de caisse de résonnance. De temps en temps, mon travail peut prendre une dimension contextuelle. Pour Protesters, je suis allé placer des affiches à l’endroit où avaient eu lieu les manifestations, travaillant avec la mémoire du lieu. Pour le projet sur les Femen, il a fallu retracer toutes les places où elles avaient agi. Si je pouvais toujours procéder de cette façon je pense que j’aimerais le faire. Mais il y a aussi des réalités pratiques : je ne vais pas refuser des opportunités de peindre des murs dans des endroits qui ne sont pas concernés, sinon je ne pourrais pas avancer. C’est aussi difficile de systématiquement se rendre dans les endroits concernés, que ce soit d’un point de vue logistique ou familial. Enfin, les histoires dont je fais écho ne se déroulent pas toutes dans la rue.

La contextualisation a cependant un impact direct sur les mediums utilisés : entre le collage et la fresque, le choix du support dépend de la possibilité ou non d’intervenir dans le cadre d’origine, changeant aussi l’objectif de la création.

Utiliser le collage permet de ne pas dégrader le lieu de pose, notamment quand je le place sur l’Opéra de Paris ou sur le parvis de Notre-Dame. Cette pratique relève presque du happening artistique : avec les portraits des Femen, j’ai pu constater, amusé, que ceux qui ont été enlevés les plus vite ne sont pas ceux auxquels j’avais pensé, et réciproquement. Le niveau de risque rentre aussi en considération : au Trocadéro il n’est pas possible de faire un dessin car il y a des agents de sécurité partout. Cependant, je ne fais presque plus de collage car le rendu ne me plaît pas, sans compter qu’il reste beaucoup plus éphémère que la peinture.

Le collage et la fresque relève cependant de dynamiques temporelles différentes.

Il y a une différence graphique entre les deux : avec le collage on recouvre le mur de plaques de papier. Or, je n’aimais pas du tout le fond blanc dans mon travail. J’ai donc fini par découper les zones de blanc, pour aboutir à des filaments de papier collés sur le mur, comme pour le portrait de Julian Assange. Cela engendre une contrainte technique forte car c’est le portrait devient alors très difficile à coller. C’est aussi pour cette raison que je me suis mis à peindre directement sur le mur, passant de portraits comme celui de Greta Thunberg en 2019 à celui de Cédric Herrou l’année suivante, puis à ceux de Chloé et Ioulia, avec toutes ces nuances de gris. Je m’adapte néanmoins à mes projets comme à Poitiers où des contraintes de temps m’ont obligé à réaliser uniquement un tracé en noir pour pouvoir réaliser ces dix muraux.

CHOIX DES MEDIUMS

Comment travailles-tu sur tes projets pour aboutir au portrait ?

C’est un processus de création très lent. Quand je me saisis d’un sujet je passe beaucoup de temps à lire, regarder des vidéos, essayer de comprendre de quoi il s’agit. Je cherche ensuite plein de photos liées aux évènements jusqu’à en choisir une qui me plaît, que j’adapte ensuite au dessin en ajoutant ou supprimant des éléments. L’étape suivante est la construction de la maquette en atelier, ou sur le mur si le lieu a été choisi auparavant.

Considères-tu que ton approche graphique soit conduite par la ligne et le tracé ?

Je pars toujours de la ligne. Après avoir passé du temps à me documenter sur un sujet je travaille très vite, partant d’une ligne continue, même lorsque je termine sur des aplats. C’est un fil conducteur que j’enroule et déroule, que l’on retrouve dans tout mon travail, toujours à la recherche de création de matière à travers le trait, essayant de ne pas passer par le hachurage pour les ombres. Se lancer des défis permet de développer une recherche perpétuelle.

Tous tes projets se construit-ils avec une démarche plurielle, du choix des supports (collage, fresque) à la nature de l’intervention (portrait, rencontre) ?

Cette idée de plurimedia renvoie vraiment au fait d’allier une intervention artistique à la production d’éléments vidéo complémentaires. J’aime beaucoup le faire, mais cela demande des moyens considérables que je ne peux pas toujours rassembler, notamment en termes de temps. Pour Protesters, j’ai dû interviewer plusieurs personnes, avant de monter une vidéo, puis dérusher, traduire, ajouter des sous-titres. Néanmoins, partir du réel pour pouvoir en parler et le redocumenter reste toujours très important pour moi.

L’art urbain est un cadre d’expression pour beaucoup d’artistes aux techniques et objectifs différents. Pourquoi le mot street-art est-il capable de les regrouper ?

J’ai ma propre façon de travailler, de m’accaparer les sujets. Mais je suis loin d’être un précurseur de l’art urbain. Certains artistes agissent pour certaines revendications depuis longtemps et je ne fais que m’inscrire à leur suite à ma manière. Si personne ne veut utiliser le mot street-art, c’est parce qu’il est notamment mal vu par un mouvement précurseur qui est le Graffiti, dont l’état d’esprit est très viriliste et autonome. Cependant il ne faut pas se voiler la face, ce ne sont que des mots et, un street-artiste est un artiste qui intervient dans l’espace public, point.

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Photographies: Mahn Kloix

Vous pouvez retrouver Mahn Kloix sur Facebook, Instagram et sur son site internet.

Entretien enregistré en avril 2022.

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