Softtwix

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Le visage derrière le masque

Ceci est une introduction : saint oma street art.

“Elles ne sont pas là pour interpeller : si elles nous regardent dans les yeux c’est parce qu’elles assument les femmes qu’elles sont. Elles sont fortes, mais ne remettent pas pour autant le spectateur en question.”

identités plurielles

Comment es-tu devenue artiste ? Quand as-tu commencé dans la rue ?

J’avais déjà une pratique photographique, mais le fait d’aller dans la rue m’a permis de surprendre le public et de toucher tous les âges, et toutes les catégories sociales, du gamin qui le montre à ses parents à la personne âgée, sans qu’il y ait besoin d’aller voir une exposition.

softtwix street art
Est-ce important pour toi d’avoir un personnage dans la rue ?

J’aime bien le fait que ce ne soit pas moi. Il ne s’agit pas d’une protection, sinon que Softtwix puisse avoir sa propre identité. C’est une entité qui n’est pas reliée directement à ma personne : elle est profondément moi, sans que l’on puisse pourtant s’avoir s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. Je n’aimais pas l’idée de vendre mon travail en tant que femme, car je voulais qu’il existe par lui-même. En effet, dès lors qu’on relie l’œuvre à la personne en découle une forme de séduction liée à l’individu. Mon travail doit faire vibrer les gens par lui-même.

Softtwix est-elle née pour aborder le projet E.Doll ?

Softtwix est un surnom que j’avais quand j’étais au lycée. Je l’ai adopté comme pseudo après avoir débuté ce travail graphique. Je considère le temps comme un ami pour mes projets et ne brusque pas les choses. J’ai travaillé pendant deux ans pour faire naître le projet E.Doll. Je me suis constituée une banque d’images avec tous mes portraits et toutes mes blessures. Les recherches qui constituent ces personnages forment un tout et c’est pourquoi je ne pense pas m’arrêter. Certaines personnes travaillent par période, mais pour moi une recherche s’étale sur une vie, bien qu’elle puisse évoluer.

PORTRAITS (DE)MASQUES

Considères-tu que ces portraits composites relèvent du masque ? A travers ces regards sans expression apparente se joue une composition entre présence et absence.

Il s’agit effectivement d’une histoire de masques, dans le sens où ces personnages tombent le masque. La société attend des femmes, quel que soit leur âge, qu’elles restent féminines, maquillées, élégantes. Ici, elles le sont, mais elles révèlent également une autre facette en portant sur elle les cicatrices de leur histoire et de leur vécu. Paisibles, elles sont toutes différentes en ayant pourtant le même regard. C’est lui qui témoigne du lien que l’on a les uns avec les autres :  on est tous dans cette vie et l’on subit les mêmes contraintes (bien que nous ne soyons pas tous affectés par elles de la même façon), qu’il s’agisse de l’âge qui passe et de la vieillesse, des expériences de vie comme le mariage ou les enfants, la maladie, et la mort.

Pourrais-tu revenir sur l’importance du regard dans tes portraits ?

Je pense que le regard est important pour moi depuis mes débuts photographiques. A un moment il m’était même impossible de travailler sur autre chose qu’un regard frontal et je n’ai jamais aimé prendre des portraits de profil. Regarder dans les yeux c’est être présent en tant qu’individu et l’assumer.

softtwix street art
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Ces personnages féminins indépendant interpellent le passant. A travers le regard, se pose aussi la question de regarder et d’être regardé. Cela interroge sur la façon dont elles sont perçues ou sur un éventuel male gaze.

Elles ne sont pas là pour interpeller : si elles nous regardent dans les yeux c’est parce qu’elles assument les femmes qu’elles sont. Elles sont fortes, mais ne remettent pas pour autant le spectateur en question. Je n’aimerais pas qu’elles nous questionnent. D’ailleurs, ce n’est pas nous qui les regardons mais bien elles qui sont venues nous regarder. J’aime cette situation : au début on a l’impression de les voir, mais très rapidement on réalise que c’est nous qui sommes regardés. Cet échange de position est au cœur de mon travail.

Ces portraits composites rappellent d’un point de vue esthétique l’apparition des fantômes du théâtre No.

Il y a dans cette esthétique japonaise quelque chose de très délicat, fin et pur qui me touche. On m’interroge souvent sur ma tendance à refuser les performances en public. Mais j’aime bien le fait que la personne trouve le collage en se réveillant le matin. Me voir coller des pans de papier serait moins intéressant que de voir un peintre travailler. A travers ce collage nocturne, l’œuvre apparaît presque comme un fantôme car personne ne semble l’avoir posé. Paradoxalement, je disparais à travers l’acte. Ce processus d’apparition me plaît beaucoup. Il y a des choses que l’on fait par instinct, s’imprégnant de ce qui nous entoure. J’ai vécu quatre ans au Japon et mon travail en porte les traces.

LA PHOTOGRAPHIE PAR LA RUE

Comment perçois-tu le fait d’utiliser la photographie dans l’espace urbain, notamment sur l’extension du petit au très grand format que cela implique ?

Le problème du support a pour moi toujours été présent. Paradoxalement, j’ai toujours refusé le papier. Cela fait vingt ans que je suis photographe et pourtant j’ai rarement accepté de proposer mes photos sur ce support, ce qui n’a pas été sans difficultés. Pour ma première exposition, j’avais ainsi creusé des plaques de contreplaqué pour retirer une des feuilles de bois. Je préparais ensuite le bois en pourtour en le teintant et le vernissant, y ajoutant des inserts de feuille d’or ou des détails pyrogravés. Je collais mon image dans le trou formé, avant de la recouvrir d’une centaine de couches de vernis, ponçant entre chaque, de manière à insérer l’image dans la plaque à la façon d’une laque chinoise. J’ai dû arrêter cette technique très toxique car je voulais avoir un enfant.

Alors, j’ai mis au point une technique pour transférer mes photos sur bois. J’utilisais une chambre 20×25 avec un film Polaroïd 809 permettant le transfert de l’émulsion sur un autre support. Je devais le passer dans un bain à soixante-treize degrés pour faire fondre la gélatine et libérer l’émulsion, puis le ressortir pour le mettre dans un autre à cinquante-cinq degrés. C’est alors que je plaçais l’émulsion obtenue sur du bois. J’ai travaillé de cette façon jusqu’à ce que Polaroïd ferme ses portes en 2006. Arrêter cette technique a été une torture. Le passage au mur vient de ce constat : j’avais perdu ma technique de transfert, j’avais perdu l’argentique, mais le mur devint ainsi autre chose qu’un simple papier, une matière qui en ressortant dans la texture du papier m’évoquait le bois qui apparaissait à travers l’émulsion, une continuité très logique de mon travail.

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Pourquoi un tel désamour du papier ?

Je ne le sais pas moi-même, alors qu’à une époque je tirais toutes mes photos, allant au bout du processus. Cette question se repose lorsqu’il s’agit de passer de la rue à la galerie : j’ai fait une multitude de tests sur métal et sur tissu, comme de vieux draps de coton chinés en brocante. A force de tests, j’ai trouvé des recettes pour réaliser mes transferts d’encre. Mais avec cette technique je réussissais une image pour six ou sept de ratées. J’ai fini par utiliser du papier aquarelle avec des vitres anti-reflets car il offrait le contraste que je recherchais, avec des noirs très profonds. J’étais très étonnée de finir par utiliser cette technique alors que pendant vingt ans j’ai tout fait pour ne pas l’utiliser. Je pense qu’aimer et détester le papier aura été le combat de ma vie, une histoire passionnelle. Mais peut-être fallait-il ce parcours pour atteindre l’équilibre que j’ai désormais. Pour la rue je travaille avec de grands traceurs jet d’encre, tirant mes images moi-même.

La photographie est à l’origine et à la fin de ton travail, elle en est à la fois matrice et résultat. Qu’est-ce qui pour toi va faire œuvre ?

Nous ne sommes pas nombreux parmi les collagistes à travailler sur nos propres photographies. Pour ma part je me perçois davantage comme une photographe réalisant une installation. Je ne colle pas dans la rue pour m’offrir de la visibilité mais car elle fait partie de ma composition. Mon travail est une mise en abime qui n’existe pas sans la rue, l’œuvre finale étant en réalité la photo faite à la fin de l’installation. Une fois la pièce posée dans la rue et offerte au public, elle devient Street art. Je ne pourrais pas me permettre de dire que ce n’est qu’une étape car elle existe alors de cette façon pour les gens. Mais pour moi, de la création du visage à celle de l’architecture qui l’encadre, tout existe en tant que travail photographique.

softtwix street art
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As-tu toujours travaillé en noir et blanc ?

J’ai toujours travaillé le noir et blanc ; la première raison était qu’il permettait d’avoir un laboratoire argentique chez moi, ce qui est impossible avec de la photographie couleur qui n’utilise pas du tout les mêmes procédés chimiques. Seul le noir et blanc pouvait répondre à cette volonté de maîtriser mon image de bout en bout, de la capture au développement des films et au tirage des photos. Je sais néanmoins que j’ai une manière de travailler très différente de celle des nouvelles générations qui n’ont pas connu l’argentique. J’utilise désormais le numérique, mais en le traitant avec le même contraste et le même grain que celui que j’utilisais alors. Même ainsi ce n’est pas la même magie, et je pense qu’un jour je reprendrai un atelier à Paris pour pouvoir continuer à enrichir mon travail à la chambre.

Comment penses-tu tes images dans l’espace ? Les éléments d’architecture que tu ajoutes en festivals recréent un contexte qui n’existe pas au préalable.

Lorsqu’on est collagiste, il faut essayer de pousser au maximum ses maquettes, car le travail de création a lieu à l’atelier, et sur place c’est plutôt une réalisation technique. Certains artistes vont passer une semaine à peindre quelque chose d’incroyable, et c’est déstabilisant d’avoir réalisé sa création avant… Ce sont ces commandes de festivals qui m’ont poussé à réfléchir à l’architecture encadrant mon image car il n’y a alors plus la rue pour lui offrir un cadre naturel. J’ai d’abord refusé ces murs sans âme qui ne m’intéressaient pas. En ajoutant des éléments d’architecture, je crée moi-même la fusion entre le mur et le visage, biaisant pour les rendre de nouveau surprenants. Cela va plus loin que la simple photographie, d’autant plus quand je récupère des éléments issus de lieux différents, qu’ils proviennent d’une église à Chalon-sur-Saône ou d’une verrière à Bruxelles. Grâce à ces effets de profondeur, les spectateurs ont l’impression de faire face à une pièce en volume. Cela rapproche ma démarche du Street art où cet effet 3D est souvent recherché.

SUR L’ART URBAIN

Quel rapport as-tu au caractère éphémère de tes œuvres urbaines ?

Cela ne m’est pas du tout agréable : j’apprécie l’éphémère chez les autres, mais je le rejette dans mon travail. Ainsi, je ne suis pas capable de vendre une pièce unique et j’ai chez moi beaucoup d’espace occupé par des œuvres que j’ai voulu garder. J’essaye de l’accepter en considérant que cela est cohérent avec mon travail qui traite de la vie, et donc de l’éphémère. En réalisant l’image finale de mon installation, je la libère de son temps de vie in situ…

softtwix street art
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Les artistes urbains cherchent souvent un support ayant un vécu avec lequel dialoguer. Avec tes images, tu recouvres d’abord le mur pour le faire réexister à travers les cicatrices des visages. Une certaine façon de recouvrir pour remontrer.

Un mur a toujours une histoire mais celle-ci n’est pas forcément visible. Pour l’évènement Transition, à Abbeville, je me suis retrouvée dans la chambre d’enfants d’un H.L.M. Cette pièce a beau avoir une histoire, elle est très loin du Street art. Face à ces murs il faut réfléchir à la façon de réussir l’immersion, et de surprendre le spectateur qui va traverser la barre de H.L.M. en visitant une quarantaine de pièces, pour autant d’univers différents. Le challenge est là. Comme j’avais la possibilité de fermer la pièce, j’ai recréé une sorte de cachot pour tenter de transporter la personne qui la découvrirait complètement ailleurs. J’ai également collé sur la baie vitrée, en utilisant la lumière qui passait à travers le visuel pour créer une atmosphère et transporter le spectateur dans un espace parallèle.

En quoi la rue est-elle un espace de création particulier ?

J’ai eu pendant sept ans un atelier dans une imprimerie désaffecté du 19ème arrondissement. C’était un endroit rude : on avait juste de l’eau froide et la température intérieure tombait en hiver au même niveau que celle de l’extérieur, et montait en été bien au-delà à cause de la grande verrière zénithale. Dans ce type de lieu on travaille toujours avec le minimum, car il est risqué d’avoir trop d’affaires au cas où il serait muré du jour au lendemain par les forces de l’ordre. Pourtant, quand j’ai quitté Paris, au moment où je l’ai perdu, je me suis aperçue que cette rudesse me manquait. C’est cette sensation que j’ai retrouvé dans la rue : partir de nuit avec ses collages, avoir froid, avoir chaud, surveiller qu’il n’y a personne derrière soi, être prête à courir en cas d’ennui. Chacun à un discours différent, mais pour moi travailler dans la rue renvoie à une certaine difficulté. Je crois que cette rudesse amène à l’essentiel. Plus qu’un support, la rue devient ainsi un mode de travail. Ces derniers temps j’ai tendance à plutôt me tourner vers l’urbex, car à la campagne il est plus facile de trouver des lieux abandonnés. S’il est difficile d’y entrer, une fois sur place on peut rester des heures dans une même pièce, ce qui offre plus de confort de travail.

Considères-tu que l’Art urbain soit un courant artistique ?

A partir du moment où une œuvre est réalisée dans la rue il s’agit pour moi d’Art urbain. Je sais que les gens ont un problème avec le Street art, c’est pourquoi j’ajouterai aux œuvres graphiques les musiciens de rue, ceux qui font des spectacles, toutes les personnes qui cherchent à créer une émotion pour l’offrir gratuitement aux autres. La rue est une expression, une façon de toucher les gens et de les faire vibrer. Je m’y suis inscrite de fait en y laissant ma trace.

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Photographies: Softtwix

Vous pouvez retrouver Softtwix sur Facebook, Instagram et sur son site internet.

Entretien enregistré en juin 2021.

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