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Regrouper les énergies sous un même emblème
Ceci est une introduction : saint oma street art.
“L’héraldique est opaque, suivant des règles très précises et réservée historiquement à la noblesse. Je cherche à la renouveler dans une écriture plus moderne en désacralisant son caractère sacré tout en gardant les codes liés au Moyen-Âge de la dorure, meilleur medium pour distiller l’énergie, et de la mandorle.”
PARCOURS & 9ème CONCEPT
Comment es-tu devenu artiste ? Quand as-tu commencé dans la rue ?
J’ai commencé très tôt dans la rue, à treize ou quatorze ans avec Stéphane Carricondo, en taguant. J’habitais dans le 78 et étais assez connu sous le nom d’Atom the Spy, car je peignais dans les années 80 toute la ligne entre Rambouillet et Paris à la bombe. Arrivant dans une école de graphisme à Paris, nous avons rencontré Jerk et nous sommes mis davantage à la peinture traditionnelle. J’ai toujours voulu travailler dehors mais nous étions dans un premier temps moins enclin à le faire, car nous ne connaissions pas encore très bien la ville. C’est au début des années 90 que nous avons retrouvé la rue en fondant le 9ème Concept et en commençant à poser des stickers (près de quatre mille cinq cent). Il n’y avait à l’époque que deux autocollants dans le métro : le nôtre jaune et celui, blanc, d’un groupe de rock qui s’appelait The Naked Apes.
La ligne tribale dont tu t’inspires renvoie au mot « tribu » et à l’idée de communauté. Quelle importance à le collectif dans ton parcours ?
Avec Stéphane Carricondo nous étions fils uniques, il nous fallait des potes. Jerk est arrivé, puis d’autres larrons nous ont rejoint. Des marques nous ont appelé, ont commencé à nous donner des budgets car elles cherchaient une autre manière de communiquer, notamment les alcooliers dans le milieu de la nuit. Grâce au tatouage éphémère, nous avons pu lancer une lignée de nouveaux graphistes car nous avions besoin d’aide pour nos tournées dans toute la France. Ces talents réunis ont permis au collectif de prendre beaucoup d’importance. Aujourd’hui, ces jeunes sont plus connus que les anciens car ils ont construit leur carrière beaucoup plus vite. C’est une grande fierté d’avoir pu leur offrir une rampe de lancement, et c’est maintenant que nous nous occupons de nos propres carrières. Nous sommes comme des débutants, avec néanmoins le background d’un collectif qui compte sans doute parmi les plus vieux français, voire mondiaux d’Art urbain ! Il ne faut cependant pas s’endormir sur ses lauriers, et chaque individualité doit pouvoir s’exprimer pour que ça rejaillisse sur l’ensemble du groupe. Ainsi, les initiatives transverses ce sont multipliées, que ce soit les salons de tatouage de Jeykill et Veenom, ou le Terrier monté par Olivia de Bona, Théo Lopez et Matthieu Dagorn. Aujourd’hui, tous sont très indépendants, mais nous essayons de nous réunir pour faire des projets ensemble de temps en temps.
Le 9ème concept est un collectif « ouvert », avec peu de membres fixes.
Quand nous sommes arrivés dans les années 90, les collectifs historiques comme les Frères Ripoulin ou les Musulmans fumants étaient, ou ce sont, séparés. A l’instar des groupes de musique ils avaient fusionné sur une même ligne : à l’inverse, nous avons plutôt cherché à développer les spécificités de chacun sur un support commun. C’est pour cette raison que nous avons monté des expositions comme « Sang9 », le « Labyrinthe », « Scratch Paper » … C’est important de mettre en valeur cette pluralité et de passer par l’individu. A trois nous avions déjà des écritures très fortes, nous avons voulu les cultiver avec les autres.
DE LA LIGNE AU BLASON
Ton travail a progressivement basculé vers l’abstraction au travers d’une transformation de la ligne.
J’ai tout de suite adopté une écriture tribale : je suis breton du côté de mon père et j’avais côté maternel un grand-père forgeron, proche des compagnons. Cette ligne vient de cet héritage celtique, d’un paquet de livres lus sur ce tracé, avant de la développer en Australie et ailleurs. C’est un reflet de moi à un moment donné. Elle s’est par la suite réinventée dans les tatouages éphémères du 9ème Concept, dégageant la force et l’énergie d’une ligne de vie sur la peau ou le vêtement qu’elle marquait. Elle est aussi issue de mon goût pour la bande-dessinée, dont je suis un fervent collectionneur, car l’encre est la source de tout dessin. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai commencé par la figuration, réalisant énormément de visages.
Cette abstraction naît d’un démembrement d’éléments figuratifs.
J’ai commencé à vouloir décomposer les visages avec du café, à jouer sur les effets de superpositions, de tâches, de coulures. Je suis ensuite parti uniquement des yeux, avant progressivement de rassembler des symboles variés sous forme de médaillons, construits comme des puzzles capables de transmettre une énergie au public. Pour le mur Cicero du XIIe arrondissement, je voulais qu’on puisse y retrouver des éléments appartenant au quartier, mélangeant des trames du Moyen-Âge, des plantes, des motifs trouvés dans les églises. Ensemble, ils constituent ces mandorles chargées de l’énergie nécessaire à retranscrire l’ambiance ou l’âme d’un quartier. Le mur se charge ainsi d’une dimension humaine qui permet aux habitants de s’y attacher.
Ton médaillon est comme une coquille vide que tu viens remplir de motifs, le transformant en véritable talisman. Se dégage-t-il une signification particulière de chacun de ces assemblages ?
C’est un cocon vide. Ainsi, je pars chaque fois d’une architecture globale pour la remplir d’une multitude d’éléments. Au fil du temps, je me suis constitué un alphabet composé de flammes, de cuches, d’arabesques et de tribales. Pour la devanture d’un restaurant à Montreuil, j’ai ajouté plusieurs ingrédients comme des plantes sauvages, des écailles de poisson, des cornes de cerf… Les rayons servent ensuite à diffuser l’énergie. Cela confère une charge à la pièce créée et permet à l’émotion de surgir. C’est une incantation avec une clé permettant à la personne qui la regarde ou l’adopte d’être en corrélation avec ce qu’elle représente. C’est encore embryonnaire, mais j’entraperçois ce vers quoi je tends : un travail duplicable socialement dans toutes les villes et régions, car toute communauté à une origine, des racines et des valeurs et c’est formidable de pouvoir restituer cela en symbole.
Le fait de travailler sur l’icône et l’or joue sur un rapport sacré/profane, une dimension déjà explorée dans tes précédents travaux.
L’héraldique est opaque, suivant des règles très précises et réservée historiquement à la noblesse. Je cherche à la renouveler dans une écriture plus moderne en désacralisant son caractère sacré tout en gardant les codes liés au Moyen-Âge de la dorure, meilleur medium pour distiller l’énergie, et de la mandorle. Dans un quartier, il s’agira de demander aux gens leur animal totem, leur plante ou bâtiment préféré, pour créer un médaillon dans lequel tous puissent se retrouver. Ces créations permettent ainsi de revendiquer une identité en la montrant de manière empilée à travers un symbole graphique.
LA VILLE A PLUSIEURS
Le sticker, par son accessibilité, sous-tend un rapport particulier à la ville.
Avec le 9ème Concept, nous avons toujours voulu que nos actions soient gratuites. Ce que nous avons gagné en travaillant avec des marques a permis de faire vivre le collectif en étant réinvesti dans des expositions. On conserve cette idée de collection, de cartes Panini : si les gens voulaient des pansements Sang9 lors de notre action, on leur en donnait. On a même vu des étudiants avec des stickers. Notre but était, à travers ce dispatch, de pouvoir s’approprier ces petits supports de rue. Avec les Francs Colleurs nous avons encore agrandi cette famille, l’élargissant aux réseaux de copains, pour apporter l’Art dans la rue, partager entre artistes et proposer autre chose qu’une image toujours répercutée à travers ces modules qui se montent en écailles de poisson. Cette idée de partage, présente depuis nos débuts, est cependant très antinomique par rapport à la façon dont fonctionne la société.
Quel rapport le sticker entretient-il avec l’illégalité ?
On a commencé à coller des stickers dans la rue en plein jour (comme les premières affiches Sang9), alors que les gens nous regardaient, cherchant des endroits déjà délabrés que l’on pouvait embellir. Le côté légal ou non n’a jamais été une priorité. En effet, quand la clé de voûte réside dans le partage, tout devient plus simple. Nous avons même donné des stickers à des flics ! Notre dernière action s’est faite de jour dans des quartiers de Paris difficiles comme les Halles ou les Champs-Elysées, autour de l’Arc de Triomphe de Christo et Jeanne-Claude. Personne ne nous a rien dit car cela paraissait naturel, même si l’on se méfie quand même des agents de la mairie de Paris.
En quoi le pochoir induit-il un rapport au temps différent ?
Tous les murs que j’ai peints sont légaux. Lorsqu’on travaille dans la ville on est directement en contact avec les gens du quartier. Une interaction va alors naître : ils vont aimer, ne pas aimer, interroger. Cela crée un vrai rapport social et une passerelle peut se créer, comme lorsque j’ai peint dans le XVIIIe autour du Secours populaire. Il y avait un totem social avec un visage un peu abîmé, qui pleurait, mais auquel j’ai redonné sa noblesse pour redonner de l’énergie aux gens qui n’en avaient plus. Une discussion est née avec les gens me demandant de quoi il s’agissait. C’est ce lien qui est important. Dans un tel contexte il faut néanmoins rester concentré sur son travail pour ne pas s’y diluer.
L’important est-il que cela soit fait dans la rue indépendamment de toute question de durée ?
Les quelques murs que j’ai peints ont tenu longtemps. Mais à partir du moment où tu places une création dans la rue elle y devient liée, qu’elle soit enlevée dans l’heure, le lendemain, ou qu’elle tienne deux ou trois ans. C’est le principe de la vie même : apparition et disparition. Lors de notre périple en Inde, nous avons vu des artistes réaliser des mandalas qui étaient brûlés deux heures plus tard. L’énergie se distille alors d’une autre manière, plus courte et intense, car c’est l’intention mise dès le départ qui s’évapore et se restitue dans ce qu’il y a autour.
SUR L’ART URBAIN
L’Art urbain est-il selon toi un courant artistique ? Si oui, considères-tu en faire partie ?
Selon moi, il s’agit sans doute d’un des plus grands mouvements des derniers siècles. La Figuration libre et la Figuration Narrative contenaient en germe tous les ingrédients de l’Art urbain, sauf le plus essentiel. Un artiste comme Peter Klasen disposait de l’affiche déchirée, du pochoir, du sticker, mais, à ma connaissance, il n’en a jamais vraiment mis dans la rue. Ce courant porte beaucoup d’étiquettes car une multitude de pratiques y sont associées, de l’affichage au collage, de la bombe au pochoir, après avoir puisé son essence dans le Graffiti. C’est aussi un mouvement ayant émergé grâce à Internet. Avant, pour voir une œuvre, il fallait la voir en vrai, alors que maintenant tout le monde peut la découvrir en ligne. Cela incite les gens à créer et à aller vers les autres dans la rue, ce qui est génial, même s’ils s’estiment parfois trop vite peintres urbains. L’Art urbain est en ce sens une vitrine sociale, pour des gens qui ne vont pas toujours naturellement dans les galeries ou les musées : il y a toujours une barrière au fait de se déplacer pour s’intéresser à l’Art. Un pochoir en bas de chez soi intrigue, qu’il soit beau ou raté. C’est un reflet de la vie, un miroir de notre société.
Comment reconnaître la valeur d’une œuvre urbaine ?
On arrive à une telle saturation dans les villes que je pense qu’un écrémage est nécessaire. Avec le 9ème Concept, nous avons développé un travail autour de la ligne et de l’écriture qui explique que nous soyons plus sensibles à une certaine esthétique. Parfois dans la rue je me demande ce qu’apporte certaines choses, si elles font avancer le propos. A l’inverse, une artiste comme Lor-K a tout compris : elle prend des objets dans la rue, les y transforme pour les y restituer. De cette façon la boucle est bouclée. Mais peu d’artistes réfléchissent de cette façon, alors que beaucoup de pans restent encore à explorer, évoluant de pair avec la société. Dans notre société de l’image, la rue est passée de sous-exploitée à une vitrine qui l’est parfois trop. Pourtant, je trouve intéressant de pouvoir s’arrêter sur une image fixe posée sur un mur, et la rue a permis de faire émerger des talents qui n’auraient jamais osé s’exprimer autrement.
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