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TETAR

Décortiquer la structure des signes

Ceci est une introduction : saint oma street art.

“J’ai aussi beaucoup travaillé sur le fait de ne jamais me répéter, pour que des œuvres de plusieurs centaines de signes n’en contiennent pas d’assimilables les uns aux autres.”

PARCOURS

Comment es-tu devenu artiste ? Quand as-tu commencé à créer dans la rue ?

J’ai fait mes études à Toulouse et j’ai commencé à dessiner assez jeune, mais c’est au collège que j’ai découvert le Graffiti. Quand j’en croisais dans les rues, j’essayais de les retravailler chez moi et de m’en inspirer pour développer mon style. J’ai plus tard commencé à en faire dans la rue de façon occasionnelle avec un pote du collège, allant dans les terrains vagues poser notre signature ou faire des flops. C’est de là que viennent mes premières réflexions sur la lettre et mon envie d’essayer d’en faire une sorte de langage abstrait. Après le Bac, j’ai intégré une école de graphisme qui m’a permis de développer un peu plus mon approche graphique et mon travail sur la lettre. Comme je ne connaissais pas alors de gens vivant de leur pratique artistique, je ne pensais pas en faire mon métier, ou devenir artiste un jour. Je n’ai pas aimé bosser dans le graphisme, avec les commandes, les clients etc… J’ai donc cherché à faire des choses plus manuelles et concrètes et me suis retrouvé à travailler dans le bâtiment. Un peu plus tard, on m’a finalement proposé un poste de graphiste à Paris que j’ai accepté, pour réaliser un site web. En m’installant, j’ai vu qu’il y avait là bien plus de graffitis que dans les rues de Toulouse, une scène dynamique et des artistes qui avaient l’opportunité de peindre des murs. C’était l’occasion pour m’y remettre et c’est à ce moment-là que je me suis fait repérer.

LA DÉCONSTRUCTION DE LA FORME

Ton travail est une exploration de la dégénérescence de la lettre vers le signe.

Au tout départ, lorsqu’on apprend à écrire, la première chose que l’on doit savoir tracer est la lettre. On forme notre gestuelle, ce qui nous permet ensuite d’écrire inconsciemment, sans avoir besoin de réfléchir. Tout ce que l’on dessine est un peu formaté par cet apprentissage-là et il est très compliqué de sortir de ce mouvement devenu instinctif. Mon idée de départ était de parvenir à s’en détacher pour tendre vers quelque chose d’abstrait. J’ai donc cherché à contraindre mon geste pour casser ces automatismes. Cela a été un véritable désapprentissage afin de ne plus être soumis à ces réflexes et parvenir à une accumulation de signes et de motifs tout en conservant une régularité, une dynamique, un rythme.

L’écriture automatique porte en elle l’idée de répétition infinie d’un même geste. Es-tu à la recherche du geste parfait ?

J’ai eu très tôt l’idée du trait parfait, d’un tracé direct propre, faisant presque une obsession là-dessus. Cela m’est venu en commençant à travailler sur les murs. Je voulais le faire sérieusement et que le rendu soit irréprochable. Le mur est comme une performance : il faut s’entraîner pour arriver à faire un arc de cercle parfait ou une ligne bien droite juste par le geste, ce n’est pas instinctif.

Considères-tu que ton travail comporte une part de codification ?

Au début, je ne voulais pas que mes œuvres comportent deux motifs identiques, mais que chaque élément se distingue le plus possible de tout signe que l’on puisse connaître. J’ai aussi beaucoup travaillé sur le fait de ne jamais me répéter, pour que des œuvres de plusieurs centaines de signes n’en contiennent pas d’assimilables les uns aux autres. Maintenant que le cœur de mon travail tourne autour de l’idée de symétrie, j’ai fait une croix sur ce principe, même si, du fait de procéder par écriture automatique, je ne sais jamais quelle sera l’image obtenue ou le rendu final. Je procède de la même façon pour mes totems, dans lesquels tous les motifs sont séparés. J’aime cette idée de ne jamais savoir. Il en va d’ailleurs de même pour une commande : je réalise une maquette, mais si les proportions ou les couleurs restent les mêmes, les motifs varient, car chaque répétition perd une part de l’instantanéité d’un moment ou d’un lieu. Il s’agit d’un rapport à la création presque spirituel ou sacré, du moins très personnel et abstrait.

L’EXPLORATION DES STRUCTURES

Cherches-tu à conjuguer le côté instinctif du tracé avec une structure d’ensemble établie ?

Pendant un temps j’ai davantage travaillé sur la composition et le rendu, car le résultat visuel de cette écriture automatique déconstruite ne me convenait pas. C’était un travail intéressant mais l’œuvre terminée ressemblait au remplissage d’une page. L’aspect esthétique final ne faisait alors pas partie de ma réflexion. Je me suis fixé des contraintes sur la gestion de l’espace ou l’épaisseur des traits pour que la composition devienne au fil du temps plus importante. Peindre des murs a été une étape importante à ce niveau-là.

La structure s’est ainsi mise progressivement à occuper une place décisive dans la construction de tes pièces, qui portent une réflexion sur la géométrie. Le langage occupe-t-il également une place dans tes travaux ?

Je me suis mis à produire des pièces faisant apparaître une symétrie. Je ne sais pas ce qui m’a poussé à le faire. A partir de là, l’écriture a occupé une place moins importante, même si l’on retrouve toujours ce jeu sur le motif et le trait. Ces nouvelles séries font davantage appel à l’imaginaire. Ces compositions rappellent ainsi la lettre tout en s’en éloignant et demeurant abstraites. J’ai toujours travaillé à l’instinct tout en ayant une démarche de recherche et d’intellectualisation de la lettre en amont. Peut-être que ces formes me parlent parce que j’aime ce rapport qu’on peut avoir à l’infini, au non-palpable, au spirituel. Ces dernières  se détachent de tout sens, n’ont aucune signification et laissent chacun libre de les interpréter. L’important est que cela reste impalpable, mais est-ce une manière de recréer un langage ? Je ne crois pas.

Comment harmonises-tu la composition de tes pièces ?

Je cherche à comprendre ce qui me parle dans une image. Il peut s’agir d’une pierre sur laquelle des runes sont gravées ou de plein d’autres choses, cela importe peu. Je regarde comment est construite la lettre, l’écart entre chacune, la formation des phrases. Je décortique tout pour pouvoir ensuite m’en inspirer, sans jamais pour autant la redessiner à l’identique. Une fois ces informations digérées, je sais que cela ressortira de manière inconsciente et je joue avec.

Recherches-tu une simplification maximale des formes ?

Cela dépend de mon état d’esprit à un moment donné. Même si cela paraît contradictoire, auparavant quand je travaillais sur la déconstruction de la forme je n’étais pas du tout influencé par les écritures étrangères, comme la calligraphie arabe, les écritures japonaises, les pictogrammes etc… Désormais, il m’arrive d’avoir des flashs au moment de peindre et d’en jouer pour influencer une œuvre dans une direction particulière.

CRÉER DANS LA RUE

Quel rapport as-tu au caractère éphémère de l’Art urbain ?

Absolument aucun, et je ne suis pas non plus attaché à mes œuvres, du moins pas aux dessins et aux peintures. J’en suis rarement très satisfait, car même s’il y en a certaines que j’aime bien je les vois surtout comme les étapes d’une recherche sur la gestuelle et le motif. Dès lors, je ne m’attache pas à mes toiles et passe à autre chose lorsqu’elles sont peintes. En revanche, je n’ai pas le même rapport aux sculptures et aux pièces en bois brûlé que je fais en ce moment, sans doute parce qu’il s’agit d’objets. C’est le propre du dessin que de créer du volume sur un support plat, ce qui revient déjà à essayer de nous mentir. L’objet, à la différence de l’image qui présente de l’artifice en permanence, est concret. On ne peut pas tricher avec l’objet, ou plutôt l’objet ne peut pas tricher avec nous pour faire croire qu’il est en 3D : il l’est.

En quoi la rue est-elle un espace de création particulier ?

Selon moi, peindre dans la rue (hors commande payée) est complètement différent du travail d’atelier. Les gestes à exécuter ne sont pas du tout les mêmes, ni les conditions de travail. La gestuelle est plus présente, il y a une part de performance.  En atelier on peut travailler au chaud, prendre son temps, réfléchir à une pièce et y revenir, ce qui est plus difficile avec le mur. Par exemple, je fais des sessions de peinture rapide avec certains artistes comme Bault. Agissant dans la rue, on ne perd pas de temps. On peut appeler ça du fast painting car lorsqu’on réalise une collaboration avec d’autres artistes, il faut s’adapter rapidement. A l’inverse, si je peins seul je serai beaucoup plus concentré, visant un résultat plus léché.

Le Street art est-il selon toi un courant artistique ?

Je ne sais pas, mais s’il ne l’est pas encore il le deviendra sûrement. C’est une éternelle question à laquelle tout le monde a sa réponse, comme celle de la distinction ou rivalité entre Graffiti et Street art. Le Street art est à mon avis encore trop jeune : à l’époque de Gérard Zlotykamien ou d’Ernest Pignon-Ernest, il n’y avait pas une telle prolifération d’artistes. Il me semble donc compliqué de parler d’un mouvement qui aurait démarré avec eux, même s’ils ont peut-être ouvert une porte. Je le perçois plus comme étant pour l’instant un dérivé du Graffiti, car une grosse majorité des artistes en vient ou a été influencée par cette pratique. Ce qui est certain c’est qu’il est désormais impossible de passer à côté.

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Photographies:  Tetar

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Entretien enregistré en janvier 2021.

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