Thom Thom
L'affiche creusée ou le temps retrouvé
Ceci est une introduction : saint oma street art.
“Mon travail est assez reposant par la présence d’un sujet, sans que l’on soit pour autant soumis au slogan publicitaire ou au logo, que je lacère systématiquement. En brouillant toutes ces couches, je les transmute en quelque chose qui reste de la matière publicitaire mais qui n’est plus de la publicité. “
PARCOURS
Comment es-tu devenu artiste ? Quand as-tu commencé dans la rue ?
J’ai un problème avec le mot artiste, qui appartient pour moi à la génération précédente, pour le meilleur avec Miss.Tic qui se présente comme une artiste « tout court », pas uniquement « urbaine », pour le pire avec des gens faux-culs reproduisant un schéma d’artiste-bourgeois hérité du 19ème siècle. Je préfère néanmoins le terme d’artiste urbain à celui de street-artiste, même si au départ je m’intéressais surtout à la réalisation. Mon premier souvenir marquant est un clip de David Bowie, China Girl, composé d’effets vidéo et de superpositions que l’on retrouve toujours dans mon travail. J’étais enthousiasmé par ce langage expérimental de l’image que l’on retrouve dans les génériques, les clips et certaines séquences oniriques, faites d’ajouts, de multiplication, de split screen et de fondus enchaînés. C’est pour cette raison que j’ai suivi des études techniques de cinéma à l’école Louis Lumière. Mais à la sortie, j’ai rapidement compris qu’un film se produit plus qu’il ne se réalise. Le réalisateur n’est qu’un maillon qui, si l’on le nomme auteur, n’a cependant rien à voir avec la création manuelle. Il ne s’agit pas forcément de gens ayant un message à transmettre ou une idéologie forte.
Lors de ma toute première intervention j’avais à dix-sept ans. Je me suis fait choper par un flic qui m’a dit qu’il ne fallait pas céder au conformisme. J’y ai réfléchi pendant une dizaine d’années pour me retrouver à faire des choses qui relèvent davantage du détournement ou de la défiguration d’un média préexistant, ce qui confère un côté méta-médiatique à mon travail. Découper des affiches publicitaires a ainsi été un moyen de transposer cette volonté déçue : j’avais commencé à coller depuis peu lorsque je me suis aperçu le lendemain que des gens avaient retiré ce que j’avais fait d’une manière très intelligente, utilisant une chaise pour y accéder. Je n’ai jamais rencontré ces personnes mais j’ai réalisé que la rue est un endroit où toute action suscite soit de l’indifférence, soit un challenge, un enchainement. Il y a une dimension magique dans la fonction performative du graffiti et de l’inscription murale. C’est à la fois quelque chose de très neuf et contemporain, presque futuriste, mais aussi un acte primitif qui s’estompe progressivement : Jacques Villeglé présente une réflexion similaire avec son alphabet socio-politique.
J’ai toujours voulu créer des œuvres, produire des choses. Durant mes études, j’ai réalisé que cela passerait par des objets pouvant tenir quelques siècles sans difficultés, mais très délicats et compliqués à manipuler. Même la transition entre différents mediums est destructrice : j’ai vu China Girl en direct sur une chaine hertzienne, enregistré sur une VHS. Je ne retrouverai jamais cette qualité de ma vie, car si les couleurs sont un peu plus vives, c’est une certaine finesse qui a été écrasée par le numérique. De plus, une bobine ou un disque dur n’ont rien de séduisants, alors qu’une toile est un produit fini que l’on peut regarder, bien qu’elle reste fragile. Alors que quand je vois mon papier vieillir je sais qu’il nous enterrera, que si les couleurs partent la forme subsistera. C’est là qu’est pour moi l’enjeu : faire des objets dont la fonction est de nous survivre, sans quoi nous sommes un peu des escrocs.
L’AFFICHE, TERRAIN DE COUPES
As-tu d’abord été intéressé par l’affiche en tant que support ou medium ?
Je me baladais déjà avec un cutter pour découper les affichettes du Front National. Je n’avais pas d’autre réflexion que cette pratique de destruction : en effet, à mes débuts, j’ai d’abord pensé coller les éléments représentant mon logo (créé en terminale avec mon ami Antoine et qui représente un T et un A mélangés), dans une démarche égocentrique. En le redécoupant j’ai tracé un triangle dans les épaisseurs qui sont tombées comme des confettis : j’avais une nouvelle technique. Les gens qui étaient présents m’ont encouragé à continuer. L’affiche m’intéresse en tant que medium et support : c’est un objet multimédia, regroupé sur plusieurs couches. Mes œuvres les plus intéressantes sont en effets celles qui vont permettre de remonter dans le temps sur deux ou trois mois. A travers cette archéologie contemporaine, on s’aperçoit de la cohérence au niveau de la palette, des tendances vis-à-vis de la saturation de l’image.
Le découpage oblige aussi à avoir un temps d’action plus lent dans la rue.
Même si je ne parviens pas toujours à m’y astreindre, j’essaie de passer la première heure à carotter, c’est-à-dire découper les endroits les moins intéressants de l’affiche, afin de me renseigner sur les couches inférieures. Les gens qui me croisent pendant cette étape où il n’y a rien à voir me laissent tranquille ou me prennent pour un fou car ils ne comprennent pas ce que je fais. Je ne laisse aucune trace, aucun papier ne tombe, car je mets tout dans mes poches. Cela me permet, en allant jeter le tout à la poubelle, de prendre un peu de recul en traversant la rue. Ainsi, je ne peux pas faire un quatre par trois en moins de deux ou trois jours. Il faut donc que l’affiche reste inchangée pendant cette période, alors qu’elle ne restera ensuite que quelques jours avant d’être de nouveau recouverte. Une certaine logique se met alors en place, car sur un même spot je vais pouvoir retrouver les découpages précédemment effectués pour pouvoir les intégrer à l’œuvre suivante. Mais les meilleures choses que je peux faire en extérieur atteignent un degré de fragilité qui rend toute découpe difficile.
Ta méthode de travail se base-t-elle sur une part aléatoire ?
C’est exactement comme l’improvisation dans le jazz. Il y a une partition que je connais et qui me permet d’aller dans certaines directions. Je suis très procédurier : je ne touche pas aux yeux, à la bouche, au nez, utilisant plutôt des images frontales car le cerveau ne supportera pas la charge d’informations d’une photographie de profil. J’ai retiré une ou deux fois les yeux, mais dès lors il ne s’agit plus d’un visage, sinon d’un masque. Or, mes compositions sont de l’ordre du miroir, du reflet et de la symétrie, qui me permet de renvoyer le spectateur à une interprétation car finalement, ce que je manipule, c’est l’œil de celui qui regarde. A travers ce processus, j’essaie d’enlever le maximum, tout en conservant un équilibre. Retirer trop peu revient à créer des effets d’écailles, qui se rapprochent du pochoir. Ce n’est pas mauvais, mais si le découpage est plus petit que la taille de l’œil le cerveau va se mettre à y voir un motif similaire à de la peau de serpent. A l’inverse, retirer un plus grand morceau joue sur l’effet de tatouage et de la scarification : ainsi, en symétrisant le découpage, on donne une piste d’interprétation au cerveau qui sera incapable de dire quelle couche est au-dessus et laquelle est en-dessous. C’est d’ailleurs pour cela que les gens en me regardant faire pensent que je fais du collage. Si la couche inférieure est rouge notre esprit va penser qu’il s’agit de maquillage. C’est une forme de Gestalt, ce que notre esprit va vouloir synthétiser pour recréer ces maquillages artificiels qui relèvent du masque, l’image du dessous se projetant alors au-dessus du visage.
Parler de palette similaire signifie-t-il que ta pièce est composée en ayant en tête les différentes couleurs ou sont-elles fragmentées ?
La teinte m’importe peu, même s’il est important que je puisse m’appuyer sur des saturations fortes comme le vert tendre Heineken, un jaune de jus d’orange, du rouge. Sans cela je jetterai l’affiche, à moins qu’il s’agisse d’un sujet incroyable. Une fois la découpe réalisée, j’ai une chance sur dix pour aboutir à une couleur magnifique : j’ai obtenu une fois un rose assez fulgurant pour ne travailler qu’avec, mais c’est très rare. La plupart du temps je me mets alors à réaliser des découpages plus petits à l’intérieur des premiers, essayant de retrouver les traits du visage, notamment le découpage des pommettes. Je m’intéresse beaucoup au travail des pochoiristes pour voir comment ils résolvent cette question : C215 réalise des sortes de zonages en S pour essayer de troubler le regard et que l’attention ne s’y attarde pas. En rendant ces endroits flous avec de petits découpages ou de fines lignes au spray, il préfère ne pas donner d’intention pour la réserver aux cheveux, poils et rides. A l’inverse, je suis un peu plus proche d’Artiste-Ouvrier qui a des techniques parfois un peu plus anguleuses. On se demande alors si l’on peut agir comme s’il s’agissait d’un vitrail.
Comment retires-tu les affiches de la rue ?
C’est difficile maintenant car il y a de moins en moins de panneaux, ils sont plus petits et moins accessibles. Les gros budgets s’en sont détournés. Quatre-vingt-dix pour cent du temps j’arrache des affiches H&M dans le métro. J’ai trouvé plusieurs techniques mais c’est horrible car l’arrachage fait un bruit sinistre qui crée une ambiance pesante dans la station. Les gens ont aussi souvent peur que je tombe sur les voies. Une fois, à Opéra, j’ignorais qu’il y avait sur la place une manifestation du Front National. Des gendarmes en civil qui faisaient la sécurité sont venus m’interpeller alors que je commençais à retirer une affiche de Beyoncé. J’ai répondu au premier degré que j’étais un fan et que c’était pour ma chambre.
Après le décrochage travailles-tu sur l’arrachage brut ou y-a-t-il recomposition ?
Si j’arrive à récupérer un gâteau de sept ou huit couches – ce qui est exceptionnel – la question ne se pose pas car il y a aura suffisamment de matière. La plupart du temps je me retrouve avec trois ou quatre couches. Dans ce cas, je préfère mettre un faux fond derrière avec quelques couleurs qui me permet de me protéger si je perce ou de gratter s’il n’y a pas de matière intéressante dans les couches précédentes. Je pense que mon travail nécessite au moins quatre couches pour être vraiment beau. La découpe est comme un lac : si la couleur n’est pas bonne on creuse en laissant une petite plage tout autour, en laissant deux îles à l’intérieur. Mais en réduisant la surface par deux on finit par perdre de l’intérêt, car les couleurs s’annulent ou reviennent.
LE MIROIR AUX ALOUETTES
L’affiche publicitaire est un miroir tendu vers nos désirs. Ton action agit directement sur la publicité en tant que telle mais également sur la mémoire collective qu’elle véhicule.
Mon travail est assez reposant par la présence d’un sujet, sans que l’on soit pour autant soumis au slogan publicitaire ou au logo, que je lacère systématiquement. En brouillant toutes ces couches, je les transmute en quelque chose qui reste de la matière publicitaire mais qui n’est plus de la publicité. C’est une chose que j’ai vécu en commençant il y a vingt-et-un an, en mai 2000. C’était au moment de la bulle Internet et il y avait une série de campagnes pour des sites, à travers une publicité très agressive. Je me souviens notamment d’une femme prenant un bain de boue avec un cochon. J’ai découpé des triangles par-dessus : après coup les gens désignaient ce travail en m’en octroyant la paternité. Mais depuis les écrans ont remplacé l’affiche : il m’arrive d’être intéressé par une information mais lorsque je tourne la tête elle a déjà disparu et je suis obligé d’attendre qu’elle revienne. Je me suis donc tourné depuis quelques années vers la publicité sauvage, plébiscitée par les marques de luxe ou demi luxe, même si la colle utilisée ne permet pas d’obtenir les meilleurs résultats.
Il y a un paradoxe entre la durée de création et celle de conservation de ce medium éphémère.
Un panneau publicitaire est toujours placé à l’endroit où il est le plus visible. Ce serait absurde de le positionner au fin fond de la campagne. Pas mal de personnes me disent que ce qu’ils aiment c’est avant tout me voir faire, sans même regarder le résultat. Certains m’en ont ainsi parlé plusieurs années après. Cette dimension anti-pub est à la fois basique et situationniste. J’effectue un travail de brouillage en créant une situation qui remet en cause la fonction publicitaire. Même si cela ne reste que quelques jours c’est assez intéressant. Je m’en voudrais toujours de ne pas avoir eu mon échelle à Francfort. Il y avait une énorme pub pour Intimissimi, une marque de sous-vêtements italien, très vulgaire. Quand les sujets sont plus grands que nature cela leur confère en effet un côté à la fois kitsch et statuaire.
L’affiche n’est pas la seule façon que tu as de retravailler avec le matériau de la rue.
Mon travail passe aussi par le détournement. Dans les années 2000, le slogan des affiches d’adoption d’animaux était « Venez nous adopter » que j’avais transformé en « Venez nous torturer » : quelqu’un n’avait pas supporté et était venu la gratter. Parfois j’aimerais davantage être reconnu pour ces détournements : le dernier était autour d’un spectacle de Shen Yun, une troupe de danse persécutée par le gouvernement chinois car associée au Falun Gong. A partir d’une double affiche gare de l’Est, j’ai redécoupé les lettres pour écrire « Schengen ». A l’époque des Printemps arabes, j’avais détourné une publicité pour des hôtels réalisée par l’artiste Ben pour y ajouter « Ali » : alors qu’il venait d’être renversé, cela fonctionnait très bien avec le slogan « Se sentir chez soi autre part. » Pour une affiche de tourisme sur la Tunisie « si belle et si proche » avec une femme marchant dans le désert, j’avais transformé « Tunisie » en « L’usine ».
REGARD RETROSPECTIF
Le Street art est-il pour toi un courant artistique ? Si oui, considères-tu en faire partie ?
Je pense que le concept de courant artistique est complètement sclérosée. Lorsqu’on s’intéresse à l’histoire on retrouve des traces d’un art urbain dans les années 60 et 70 à travers le mouvement Provo. Le mot art désamorce la réflexion, peut-être faudrait-il mieux parler de culture. Les urbanistes n’ont toujours pas pigé ce qu’est le Graffiti : s’il y avait eu une baisse du nombre de graffeurs cela se saurait. A l’inverse, lorsqu’on considère le nombre de personnes qui vont expliquer que les tags sont de l’Art mais que les collages féminicides sont un acte politique, on comprend au service de quoi s’est mise cette idéologie qui réduit l’Art à l’esthétique ou à une provocation dépolitisée comme l’Art contemporain.
Nous sommes aujourd’hui à un tournant générationnel, lié à l’expansion de la communication numérique. On retrouve désormais l’idée de taguer, de faire des photos sur son wall Facebook, à travers des avatars qui sont autant de doubles. Les cultures urbaine et numérique sont beaucoup plus proches qu’on pourrait le penser. Il existe désormais une population pseudo-experte faite de collectionneurs, qui n’a plus la même candeur que les photographes des années 90 et 2000, qui entraîne une certaine rigidification de la création urbaine. Il faudra attendre encore vingt ou trente ans pour que cela devienne un objet un peu mieux compris. Nous verrons comment cette carte postalisation de l’urbanisme évoluera.
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